Les Guadeloupéens sont-ils résilients ?

Être résilient ne signifie pas être invulnérable. Il s'agit de résister, de vivre et de se développer positivement, malgré l'adversité et les traumatismes.
Ainsi, après chaque catastrophe naturelle, on entend parler de la résilience de la population locale.

 
Certes, dans la Caraïbe, les individus, régulièrement brutalisés par les éléments, finissent toujours par se relever et résister psychiquement aux épreuves de la vie. Mais avons-nous le choix ? Et cette force, l’avons-nous toujours dans notre ADN ?

Entretien « Alerte Guadeloupe », avec Raymond OTTO, anthropologue.

Extrait de cette interview réalisée par Nadine FADEL :

Alerte Guadeloupe : En quoi le peuple Guadeloupéen est-il résilient ?
 
Raymond OTTO : Nous sommes résilients pour plusieurs raisons. Et, d’ailleurs, pas que les Guadeloupéens. Les Caribéens sont des peuples résilients, parce qu’ils n’investissent rien sur le long terme. Ils savent qu’ils vivent sur une terre de feu et de cyclones  et que tout peut être anéanti, en une nuit, en une heure, en dix minutes. D’ailleurs, après Irma, à Saint-Martin, les Européens ont inventé une catégorie de personnes qui n’existe nulle part, même pas sur Mars : les naufragés climatiques. Ils n’ont pas su faire résilience. Alors que nous, les cyclones, on les prend les uns après les autres, on perd tout et, malgré cela, on survit.

« Etre résilient c’est intégrer que la vie n’est pas lisse. »

Alerte Guadeloupe : Ils sont venus au paradis et ils on trouvé l’enfer. C’est ainsi qu’ils l’ont vécu ?

Raymond OTTO :
Oui. Le paradis des uns est toujours l’enfer des autres. Nous, nous savons que « apré lapli ni botan »(1) !
On est un peuple résilient par essence. C'est-à-dire que l’on rebondit toujours et on se nourrit toujours, comme avec des apprentissages, des évènements, des cassures ou des accidents qui se produisent dans nos vies. Bien sûr, nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne : certains sont plus résilients que d’autres. Mais, de manière générale, la résilience est cette notion sur laquelle a travaillé la chorégraphe, Léna BLOU : c’est le « bigidi »(2). On est jamais en équilibre stable. On est perpétuellement sur une position oscillante... dans tout ce qu’on fait ! Cela nous permet de rebondir... au cas où « zafè mélé »(3). La résilience est une force. Mais une force qu’on est en train de perdre.

Alerte Guadeloupe : Quelle différence, fondamentalement, entre hier et aujourd’hui ?

Raymond OTTO :
Nos jeunes intellectuels ne sont pas résilients, parce qu’ils ont vécu pleinement l’assimilation, à tel point qu’ils ont perdu leur propre estime d’eux-mêmes. Les familles d’avant supportaient plein d’événements et d’accidents, en gardant la tête haute et en disant « dèmen ké méyè »(4). On croyait en l’existence d’un jour meilleur à venir. Autre phrase typique d’ici : « On vi san soufrans sé pa on vi »(5). Comme s’il fallait intégrer, dans notre parcours, que la vie n’est pas lisse. Or, depuis deux générations, alors que l’on va entrer dans le fonctionnariat, on va supprimer les épreuves de la vie, qui nous permettaient d’être des êtres résilients. Aujourd’hui, dès le moindre petit problème, on baisse les bras et on croit que tout est fini. Il faut que les gens se ré-ancrent dans ce territoire. Je vais mettre le titre d’un ouvrage d’Edouard GLISSANT à ma sauce : « il faut qu’on arrête de vivre dans un pays rêvé et qu’on revienne dans le pays réel », car c’est dans le pays réel qu’on puise nos forces.
Traduction du créole /
(1)  « Apré lapli ni botan » : Après la pluie, vient le beau temps.

(2)  « Bigidi » : concept selon lequel on est en déséquilibre permanent, mais on ne tombe pas. lenablou.fr/fr

(3)  « Zafè mélé » : les choses sont compliquées.

(4) « Dèmen ké méyè » : Demain est un autre jour ; ça ira mieux.

(5) « On vi san soufrans sé pa on vi » : une vie sans souffrance n’est pas une vie.

L’anthropologue Raymond OTTO intervient notamment au sein du Centre de Ressources Observatoire des Inadaptations et des Handicaps
www.croih.fr