Le groupement bananier de Guadeloupe lance sur le marché local ses premières bananes certifiées bio de la variété Cavendish. Les fruits, produits par une agricultrice de Capesterre-Belle-Eau, sont vendus dans quelques magasins bio, mais le mûrisseur vise surtout les grandes et moyennes surfaces.
Bernadette Dormoy fait figure de pionnière au sein du groupement bananier « Les Producteurs de Guadeloupe » (LPG). Elle est la première à pouvoir mettre en vente, à la fois à l’export et sur le marché local, des bananes certifiées « agriculture biologique », de la variété Cavendish, autrement dit la variété de banane dessert commune, la « poyo », cultivée partout dans le monde.
L’agricultrice, qui a pris la suite de son père, en 2016, à la tête d’une petite exploitation de près de 7 hectares, section Saint-Sauveur à Capesterre-Belle-Eau, a franchi le pas en 2017, après l’ouragan Maria du 18 septembre. Elle décide alors de convertir en bio la totalité de ses surfaces, dont les 5,12 hectares de banane, mais aussi sa culture de canne à sucre. Les circonstances s’y prêtent, puisqu’après les destructions causées par le cyclone, l’exploitante, comme tous les autres planteurs, doit mettre en jachère plusieurs parcelles de banane, selon les préconisations du groupement, qui veut ainsi échelonner le retour de la banane guadeloupéenne sur le marché français.
« Ça passe ou ça casse ! »
Bernadette Dormoy pourrait alors rejoindre les quelques producteurs qui se lancent dans le bio avec la nouvelle variété de banane, la « CIRAD 925 » (rebaptisée « Pointe d’Or »), particulièrement adaptée à ce mode de culture sans intrants chimiques, puisque cet hybride est tolérant à la cercosporiose, la principale maladie du bananier. « J’ai préféré rester sur la Cavendish, que je maîtrisais », explique l’agricultrice. Il est vrai que son exploitation, proche de la mer, ne connaît pas la pluviométrie élevée des zones d’altitude, qui favorise le développement du champignon destructeur de feuilles. « En culture conventionnelle, j’avais déjà réussi à me défaire des traitements fongicides, en contrôlant les attaques du champignon uniquement par la technique de l’effeuillage, et cela fonctionnait ».
En novembre 2018, Bernadette Dormoy déclare ses parcelles à l’Agence Bio. Sa culture de banane est recensée ainsi en « conversion vers l’agriculture biologique ». A ce moment-là, la productrice est la seule, avec un autre planteur de Capesterre (Claude Bihary, situé à La Sarde) à vouloir relever ce défi de la Cavendish bio. « Je me disais à l’époque : « ça passe ou ça casse ! ».
Coûts de production plus élevés et rendements en baisse
La conduite bio doit répondre à un cahier des charges très strict. « La gestion de l’enherbement, sur mon exploitation, est exclusivement mécanique, avec la débroussailleuse et le girobroyeur. La lutte contre la cercosporiose noire, se fait de manière dite chirurgicale : les salariés, avec le coupe-feuilles, doivent retirer les nécroses sur chaque feuille. C’est très long et méticuleux ».
Mais les principaux changements de pratiques concernent la fertilisation organique, qui remplace les engrais de synthèse, et également le traitement post-récolte, appliqué sur les fruits avant l’emballage, pour limiter les maladies dites « de conservation », provoquées par d’autres champignons. La levure naturelle utilisée n’est pas aussi efficace que les fongicides autorisés en conventionnel.
La banane bio coûte plus cher à produire, à la fois en termes de main d’oeuvre et d’intrants. « Le surcoût est d’environ 50%. Rien que pour la fertilisation, le coût de l’engrais organique est de 4 000 à 7 000 euros par hectare, au lieu de 2 000 € environ pour les engrais chimiques », indique Lucile Mevel, ingénieure agronome, référente pour la banane bio au sein du groupement de producteurs.
Et les rendements eux sont inférieurs, d’une part parce que les fertilisants bio agissent plus lentement sur la croissance des bananiers et le développement des régimes que les engrais minéraux ; d’autre part à cause des pertes supérieures liées aux différentes maladies fongiques. Bernadette Dormoy le constate : son ratio carton/régime a chuté à 0,9 en moyenne (moins d’un carton de bananes emballées pour un régime récolté), contre 1,4 en conventionnel.
Bernadette Dormoy, productrice de banane bio
« Mes rendements ont baissé de 25%. Les régimes sont plus petits. Et le coefficient carton/régime est beaucoup plus faible »
Disponible sur le marché local
L’agricultrice espère donc que ces surcoûts seront en partie compensés par la valorisation commerciale de sa banane bio. Cela ne pouvait être le cas pendant la phase de conversion, durant laquelle ses fruits, même cultivés selon le cahier des charges biologique, étaient commercialisés comme de la banane conventionnelle, en l’occurence sur le marché local. Grâce à la période de jachère, la durée de conversion, théoriquement de trois ans, a pu être réduite d’un an sur une première parcelle d’1,80 ha, certifiée bio depuis novembre 2020.
Bernadette Dormoy a ainsi repris ses exportations, à la fin de l’an dernier, en expédiant en France hexagonale, les premières bananes Cavendish de Guadeloupe estampillées « AB ». Le colis est payé 20 € au planteur, contre 12 € pour un carton de la catégorie extra en culture conventionnelle.
Mais le marché local n’est pas oublié. La mûrisserie Agrub, située à Capesterre-Belle-Eau, qui commercialisait déjà les fruits de Bernadette Dormoy en Guadeloupe, les positionne désormais dans les rayons bio. Les premiers colis (une vingtaine) ont été livrés le 12 mars à trois magasins spécialisés à Baie-Mahault et aux Abymes. Les cartons portent un logo vert spécifique « banane Guadeloupe Martinique bio », et chaque main de bananes est identifiée par un sticker similaire. Prix actuel au détail : autour de 2€/kilo.
Les livraisons, assurées actuellement deux fois par semaine, vont s’élargir à d’autres enseignes bio, mais à court terme, ce sont surtout les grandes et moyennes surfaces qui sont visées, comme l’explique Olivier Opique, co-gérant de la mûrisserie Agrub :
Olivier Opique, mûrisseur de bananes
Le marché guadeloupéen de la banane dessert est d’environ 5 000 cartons par semaine. La bio pourrait représenter à terme quelque 500 cartons, soit 10% de ce marché. « Nous ne tablons pas sur un volume précis. L’objectif principal est que chaque point de vente, magasin spécialisé ou GMS, ait un rayon de banane bio ; que le consommateur puisse trouver partout cette banane bio locale. Il est inconcevable d’avoir des planteurs qui s’investissent dans ce mode de production et qu’on ne puisse pas trouver leurs fruits sur les étals de Guadeloupe », souligne Olivier Opique.
Bernadette Dormoy, elle, produit au total entre 170 et 200 cartons de banane par semaine (export et marché local). Le tiers est certifié bio, et à partir de novembre 2021, toute sa production sera labellisée. D’autres planteurs suivent. A ce jour, treize producteurs adhérents à la SICA LPG sont engagés dans la Cavendish bio, sur une surface totale de 96 hectares, ce qui représente environ 5% de la sole bananière de la Guadeloupe. L’essentiel de cette banane, en conversion, est exportée. Elle devrait connaître un meilleur sort que la "Pointe d'Or" bio, lancée en mars 2020 sur le marché français, mais qui s'est révélée un échec commercial, obligeant les planteurs concernés à détruire leurs parcelles.
L'échec commercial de la Pointe d'Or, thème du magazine agricole Kamannyòk du 20 mars 2021, sur l'antenne radio de Guadeloupe La 1ère.
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