Dans un communiqué publié jeudi après-midi (26 décembre 2024), le conseil de transition d’Haïti a nommé le ministre de la Justice, Patrick Pelissier, au poste de ministre de la Santé par intérim jusqu’à ce qu’un remplaçant soit trouvé pour le ministre sortant, Duckenson Lorthe. Ce dernier a été limogé après les meurtres de deux journalistes et d'un policier mardi dernier (24 décembre) par des membres de gangs.
L'une des pires attaques contre des journalistes
Ces derniers ont fait irruption dans l’hôpital général et ont tiré sans discernement sur les journalistes qui étaient là pour couvrir la réouverture de l’établissement. Il s’agit de l’une des pires attaques contre les médias haïtiens, avec deux décès et sept blessés.
Jean Feguens Regala, un photographe qui a survécu à l'attaque, a déclaré que les journalistes avaient été invités à l'hôpital par le ministère de la Santé mais que la sécurité ne semblait pas à la hauteur d'une telle manifestation. "Lorsque nous avons pris contact avec une unité de police, les policiers nous ont dit qu'ils n'étaient pas au courant de l'événement" a-t-il expliqué.
Le ministre de la Santé ne s'est d'ailleurs pas présenté à cette cérémonie, pour des raisons qui n'ont pas été communiquées.
Une réouverture non "autorisée" par les gangs
C'est ainsi qu'il a justifié cette attaque sanglante. Des membres de la coalition de gangs, "Viv Ansanm" qui a pris le contrôle d'une grande partie de Port-au-Prince, ont encerclé l'hôpital et ouvert le feu à travers une porte métallique. Une vidéo filmée à l'intérieur au moment de l'attaque montre cette porte à l'extérieur de l'hôpital se déformant sous une pluie de coups de feu, alors que les journalistes se précipitaient pour tenter d'entrer dans le bâtiment.
Peu de temps après l'attaque, Johnson "Izo" André - considéré comme le chef de gang le plus puissant d'Haïti et faisant partie de "Viv Ansanm" a publié une vidéo sur les réseaux sociaux revendiquant la responsabilité de l'attaque. La vidéo indique que la coalition des gangs n’avait pas autorisé la réouverture de l’hôpital.
Des blessés isolés
"Nous entendions que les coups de feu se rapprochaient de nous" raconte Jean Feguens Regala. "Certains ont été touchés à la poitrine", "ont eu une partie du visage détruite, d'autres ont reçu une balle dans la bouche ou dans la tête" raconte le photographe.
Il n'a survécu que parce qu'il est resté caché derrière un poste de garde en béton. "Si je m'étais précipité ou si j'avais couru à l'intérieur de l'hôpital pour me cacher, je suis sûr que je ferais partie des victimes."
La suite de son récit est toute aussi glaçante. "Nous avons commencé à appeler à l'aide pour les victimes qui saignaient abondamment", a-t-il déclaré. "Il n'y avait ni médecin ni infirmière dans les environs". Pire, "alors que l'hôpital était sur le point de rouvrir, il n'y avait pas de matériel médical disponible pour prodiguer les premiers soins aux journalistes victimes et aux autres victimes", a déclaré le photographe, ajoutant que faute de gants, ils avaient utilisé des sacs en plastique.
Quand la police a finalement répondu aux appels à l’aide des journalistes, après deux heures, elle a dû franchir un mur avec une échelle, car les gangs contrôlaient encore la plupart des rues.
"Ces gens ont passé plus d'une heure à perdre du sang", s'est indigné Jean Feguens Regala.
La sécurité en question
Mardi, l’Association haïtienne des journalistes a publié une déclaration appelant le gouvernement, qui fonctionne à peine, à ne pas mettre la vie des journalistes ou du public en danger en organisant de tels événements. Regala a déclaré qu'il était clair dès leur arrivée sur place que la zone autour de l'hôpital n'était pas sûre.
Leslie Voltaire, président par intérim d'Haïti, s'est exprimé : "J'adresse mes condoléances aux personnes victimes, à la police nationale et aux journalistes", a-t-il déclaré mardi, dans un discours à la nation.
Un système de santé en crise
Les attaques de gangs ont poussé le système de santé haïtien au bord de l’effondrement, provoquant des pillages, des incendies et la destruction d’établissements médicaux et de pharmacies dans la capitale. La violence a créé une augmentation du nombre de patients et un manque de ressources pour les soigner. Récemment, Médecins sans frontières avait dû suspendre ses activités, en raison d'attaques.
Jean Feguens Regala a d'ores et déjà déclaré qu’il ignorerait les appels de sa famille à se retirer du métier de journaliste.
"Le travail doit se poursuivre pour garantir que la population soit tenue informée", a-t-il déclaré.