Il faut faire la distinction entre revendications sociales et mouvance complotiste. Comme dans l’hexagone, ceux qui diffusent les théories complotistes se sont greffés ou tentent de se greffer aux mobilisations sociales. La trame commune part d’un constat, la faillite de l’Etat et des élus locaux sur plusieurs dossiers : la pollution au chlordécone et l’incapacité de régler des dossiers tels que la distribution d'eau potable. Cette défiance particulière a renforcé le premier ressort du "complot" : le rejet de l’ordre établi. Les élus, l’Etat, les médias, dits main stream, sont mis au pilori. Il n’y a plus de crédit accordé à cette parole censée être « officielle ». Pour enfoncer le clou, en Guadeloupe, des groupuscules usent d’actions médiatiques pour voler au secours de telle ou telle cause, pour je cite « faire avancer le dossier ». Des actions qui renforcent cette défiance de représentativité politique, voire syndicale. L’élu est vu comme le relai d’intérêts cachés.
Selon les spécialistes, il n’y a pas plus de thèses complotistes en Guadeloupe que dans le reste du monde, mais force est de constater qu’elles sont bien présentes.
Didier Destouches, maître de conférences en droit à l’Université des Antilles et essayiste.
Deuxième ressort : la construction d’un discours alternatif basé sur la peur. L’éradication de la population guadeloupéenne, par exemple, avec comme spécificité la dénonciation d’une négation du savoir-faire local dans le domaine avec la pharmacopée.
Il faut aussi souligner qu’il y a des dysfonctionnements en Guadeloupe, comme les dossiers de l’eau, du CHU, de la pollution au chlordécone…
Didier Destouches, maître de conférences en droit à l’Université des Antilles et essayiste.
Le tout est propulsé par une formidable caisse de résonnance : les réseaux sociaux, c’est le troisième ressort. Les fakes news sont exponentiellement multipliés à la faveur des transferts. Des articles qui imitent les médias traditionnels ou des vidéos de personnalités, couvert d’un apparat d’expertise certifiée « vont vous révéler tout ce que l’on vous cache."
Une logique réactionnaire qui intervient sur le champ politique.
Tous les ingrédients des thèses complotistes sont là. Les éléments communs avec l’hexagone sont utilisés. D’abord il y a une défiance vis-à-vis de l’ordre établi. Ensuite un récit alternatif contre les thèses officielles et enfin des réseaux sociaux comme caisses de résonnance. Pour autant l’explication de cette emprise particulière en Guadeloupe s’appuie aussi sur des stratagèmes particuliers. Il y a des spécificités locales à prendre en compte. Si en France c’est essentiellement l’extrême droite qui est à la manœuvre, en Guadeloupe, c’est en réalité un mélange complexe et explosif.
Au fil des ans, l’échiquier politique guadeloupéen a mué. Les réactionnaires ne sont plus d'extrême gauche, ni du camp nationaliste, mais d’un mélange idéologique divers, mâtiné de thèse de droite réactionnaire, voire d’extrême droite. Il y a une fragilisation du lien social parce qu’il y a un manque de proposition politique qui fasse sens. Un manque de récit collectif… cela provoque une confusion des guadeloupéens. Pour preuve une abstention importante aux différentes consultations électorales. Certains trouvent refuge dans ces thèses alternatives.
Un phénomène qui se nourrit d’une défiance généralisée.
Didier Destouches, maître de conférences en droit à l’Université des Antilles et essayiste.
La rhétorique complotiste se fonde sur deux piliers le doute et la peur. On jette le doute sur les représentants, une doute fondé sur les inquiétudes structurelles concernant la Guadeloupe et la peur de cette épidémie de covid, ces dernières constituant des ingrédients explosifs. Les guadeloupéens sont en recherche de solutions, de propositions. Ils veulent trouver celui, ou celle, qui, selon les spécialistes, remplisse ce « besoin d’unicité ».
Didier Destouches, maître de conférences en droit à l’Université des Antilles et essayiste.