C'est une histoire célébrée en Guadeloupe, Martinique, ou Guyane mais oubliée dans le reste de la France : le départ par milliers, dès 1939, de jeunes gens originaires de ces territoires pour fuir le régime de Vichy et rejoindre la France libre.
Question : La Dissidence est un mouvement peu connu dans l'Hexagone : de quoi parle-t-on exactement ?
Sylvie Meslien : "C'est d'abord le maréchal Pétain qui a utilisé ce terme en apprenant le refus de nombreuses personnes, aux Antilles françaises, de l'armistice de 1940. Très concrètement, il s'agit de jeunes gens, parfois même très jeunes, les forces vives de ces territoires, qui quittèrent la Guadeloupe et la Martinique de façon clandestine pour rejoindre les Forces françaises libres après l'appel du général de Gaulle.
C'est un mouvement à distinguer des actes de résistances au régime de Vichy, qui ont été nombreux sur ces territoires jusqu'à ce que les îles soient libérées en 1943".
Qu'est-ce qui les poussait à partir de leurs îles, dans ces conditions?
"Quand Pétain instaure le régime de Vichy, il impose partout un retour à l'autoritarisme: les femmes n'ont plus le droit de travailler, les réunions publiques sont interdites, les festivités également... Politiquement, lors de l'annonce de la reddition de la France en 1940, de nombreux élus locaux s'insurgent contre. On n'admet pas que la France a pu perdre la guerre et il y a un désir de libérer la France, la République qui a aboli l'esclavage. Mais ces élus ont rapidement été réduits au silence et remplacés par des fidèles au régime, souvent békés (descendants de colons blancs, ndlr).
Pour les Antillais, ce retour à une société muselée, traditionnelle, paternaliste et répressive fait craindre un regain du racisme et de velléités esclavagistes. Enfin, les Alliés imposent un blocus à ces îles qui a des conséquences terribles : elles sont extrêmement dépendantes des importations de nourriture (...) et ont dû développer en un temps record une sorte de souveraineté alimentaire, mais les conditions de vie sont terribles.
Les jeunes préfèrent partir, créant ainsi une vraie pénurie de main-d’œuvre, notamment agricole".
Quel est le parcours de ces dissidents ?
"On parle de jeunes gens, souvent des hommes d'environ 18 ans qui fomentent leur départ clandestinement. Il faut partir par la mer, payer des passeurs. Par exemple, Frantz Fanon a profité du mariage de son frère Félix pour partir en pleine nuit.
Les jeunes partent souvent à bord d'embarcations comme des gommiers (bateaux traditionnels, ndlr) très instables, pour éviter d'être repérés. Les destinations sont essentiellement la Dominique ou Sainte-Lucie (îles voisines de la Guadeloupe et Martinique), sous domination anglaise.
Là-bas, ils sont accueillis, nourris par des représentants du général De Gaulle, notamment le colonel Massip à la Dominique. Certains partent ensuite au Canada, d'autres aux Etats-Unis, à Fort-Dix, un immense camp d'entraînement militaire. Nombreux sont ceux qui, de là, iront en Afrique du Nord et participeront au Débarquement de Provence en août 1944.
Que reste-t-il de ces dissidents, dont la reconnaissance nationale est venue tardivement ?
"Nicolas Sarkozy a été le premier à reconnaître les dissidents, leur apport dans la guerre et à les décorer. Ensuite, François Hollande a également appuyé et continué ce travail lors du 70e anniversaire du débarquement de Provence.
Quand on échange avec les quelques survivants encore là, c'est à la fois, pour eux, une très grande fierté mais aussi un peu de déception qui va avec la prise de conscience de l'arrivée tardive de cette reconnaissance.
Peu de travaux existent autour de la Dissidence. Le film d'Euzhan Palcy ("Parcours de dissidents", 2005) fait date sur le sujet et quelques livres d'historiens en parlent. Cette histoire est enseignée à l'école aux Antilles, dans le cadre de l'adaptation des programmes scolaires. Mais il y a encore beaucoup à faire autour d'eux".