La mobilisation de 2009 en Guadeloupe. Du jamais vu auparavant.
Il faut dire que ce paroxysme de la mobilisation voit une population guadeloupéenne qui ne s’était pas forcément prononcée jusque là, rejoindre ceux qui, depuis le mois de décembre, ont fait monter chaque fois, d’un cran supplémentaire, les attentes du regroupement de syndicats, associations et autres mouvements que compte le "Lyannaj Kont Pwofitasyon" (LKP).
Du jamais vu
Peut-être la lenteur des négociations, peut-être le sentiment d’une légitimité, quant à ce qui est revendiqué ou, pour certains, peut-être les deux... toujours est-il que, ce 29 janvier, si l’on s’attendait à atteindre un fort niveau de mobilisation qui légitimerait encore plus le mouvement et ceux qui le portent, beaucoup sont surpris, y compris parmi les responsables du LKP, par l’ampleur du mouvement et le nombre de Guadeloupéens qui ont choisi de marcher dans les rangs tracés par ce collectif.
C’est d’ailleurs une première, quant à la force de mobilisation. Tous les mouvements précédents, étaient eux aussi partis d’un objectif précis, pour ensuite s’étendre à un stade plus identitaire, mais aucun n’avait semblé concerner autant de Guadeloupéens.
En février 1952, il s’agissait de revendications salariales des ouvriers de la canne, rejoints en cela par les fonctionnaires puis, dans plusieurs communes, le mot d’ordre de grève s’étend, jusqu’à l’intervention au Moule des CRS qui fait quatre morts, parmi les ouvriers de la canne.
En mai 1967, la révolte naît d’un acte raciste et ira jusqu’à exprimer le mal être guadeloupéen.
C’est un peu le sens de la mobilisation en 1985, du 25 au 29 juillet où, derrière la revendication propre pour la libération de Georges Faisans, les Guadeloupéens sont en quête d’une identité qu’ils revendiquent.
Et 2009 vient clore cette liste.
Certains d’ailleurs voient dans cette histoire des mobilisations de masses, en Guadeloupe, un aspect cyclique qui verraient les Guadeloupéens, à certaines périodes, atteindre un paroxysme qui s’exprime alors, dans un contexte de mobilisation générale et qui s’appuie toujours sur une revendication sectorielle, pour ensuite s’étendre à des motivations plus identitaires.
Il ne faut pas croire, pour autant, que les Guadeloupéens en sont à attendre le grand soir pour entrer dans un mouvement social ou sociétal. C’est souvent l’absence de réponse des autorités ou des organisations patronales, ou encore l’intervention -brutale- des forces de l’ordre, qui a conféré à ses différentes dates de l’histoire de la Guadeloupe l’ampleur qu’elles ont alors connue et un caractère mémoriel qui s’attache désormais à elles.
"La Gwadloup sé tan nou...", un chant fédérateur.
65.000 personnes qui n’ont probablement pas les mêmes motivations. Mais, on aura du mal, aujourd’hui encore, à mesurer l’impact réel de la chanson phare du mouvement. Tous l’entonnent d’un seul chœur : "La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup sé pa ta yo, yo péké fè sa yo vlé, adan péyi an nou".
S’il nous faudra revenir sur le "yo" et le sens que chacun lui donne à ce moment-là, il n’y a aucun doute sur l’aspect identitaire du "nou". Il est fondateur d’une reconnaissance mutuelle et d’un objectif commun : défendre les intérêts de la Guadeloupe.
Soulignons maintenant que, avant 2009, la Guadeloupe avait connu de nombreux mouvements sporadiques, mais aucun n’avait réussi à cristalliser l’attention et recueillir leur adhésion.
Beaucoup émettent un doute, quant au fait que tous les manifestants de février 2009 aient marché dans les rues de la Guadeloupe pour obtenir une hausse de leur salaire. Il faut donc chercher ailleurs le carburant de leur mobilisation. Peut-être la force galvanisante de ce qui est devenu l’hymne du LKP. De fait, la chanson crée une bi-polarité : il y a le "nou" et il y a le "yo".
Pour comprendre le "nou", il faut pouvoir définir le "yo". C’est de cette définition que naît l’adhésion des uns et des autres au mouvement. Le "nou" se forme quand le "yo" est identifié. Et, dans ce "yo", tous n’auront pas mis les mêmes fiches. Certains croient y reconnaître les traits de l’Etat et du gouvernement ; d’autres en font le symbole des patrons en Guadeloupe, d’autres enfin lui donnent une couleur ; les blancs sont les "yo". Les autres, tous confondus, sont les "nou".
Et c’est dans cet état d’esprit, avec chacun le sens qu’il donne au mouvement et à ses dirigeants, que plus de 65.000 Guadeloupéens vont se retrouver dans les rues de Pointe-à-Pitre, scandant à qui veut l’entendre et déjà pour soi-même : "La Gwadloup sé tan nou, la Guadeloupe sé pa ta yo, yo péké fè sa yo vlé adan péyi an nou".
Des mots, une situation qui auront, en tout cas, inspirés beaucoup sur l'état de la société guadeloupéenne.
Il y a eu le collectif des artistes, il y a eu le culturel. Le 25 janvier 2009, "Mas a konsians" c'est 30.000 personnes qui défilent. Pendant cette période de travail intense, il y a eu le manifeste des neuf intellectuels. Erol Nuissier a sorti un document intitulé : "Un avenir impossible". Jean-Pierre Sainton titre un 6 pages : "Le mouvement et l'absurde". Jacky Dahomay, lui, revient sur une question essentielle, dans une situation ainsi, que voulons-nous, Guadeloupéens ?
Alain Abdréa, UPLG
Les années maigres
Comme à chaque fois, après ce type de conflits, la Guadeloupe se "rendort" comme s’il ne s’était rien passé. Dès lors, aucun de tous les conflits sociaux qui ont émaillé l’actualité de la Guadeloupe, n’a été suffisamment mobilisateur, pour servir de nouvelle mèche sociale.
Certes, les leaders syndicaux ont lancé plusieurs appels en ce sens mais, le faible nombre de participants les a conduits eux-mêmes à ne pas faire référence au LKP et à sa force mobilisatrice, pour ne pas avoir à gérer une telle comparaison. Tout au plus, chaque organisation syndicale, soutenue ou pas par les autres, mène son combat mais ne peut compter que sur ses propres adhérents pour parler de mobilisation.
Autre mèche utilisée, celle des différents procès des leaders syndicaux. Ils sont souvent l’occasion d’un appel à la grève générale, mais ne se traduisent guère autrement que par la mobilisation des seuls adhérents, là aussi. La rivalité patronat-blanc/ouvriers-noirs, ne suffit plus pour galvaniser les foules.
La grève de Milénis, un cadeau pour le 10ème anniversaire du LKP
Il faut regarder avec beaucoup de précaution le mouvement des salariés de l'hypermarché de Milénis. Il est symptomatique de l’après LKP 2009. Au départ, la CGTG est un peu seule à lancer le mouvement, mais elle est vite rejointe par la section UGTG du centre commercial. Très vite, s’installant dans la durée, le conflit change de nature, avec l’entrée en scène de Jean-Marie Nomertin. Le leader syndical s’y connait, il sait comment donner au mouvement un nouveau souffle. Son altercation avec les gendarmes, le 18 janvier 2019 et sa rapide interpellation incitent les autres organisations syndicales à se manifester sur le terrain. Très rapidement, Elie Domota autant que Jean-Marie Nomertin sont en première ligne, même s’ils accordent toujours la première place aux responsables syndicaux du conflit.
Le nombre de jours de conflit s’égrène alors et les théoriciens du LKP ne se trompent pas. Cette fois la mèche peu prendre. Leur appel à manifester le 9 février est, en quelque sorte, un test pour voir si cette fois, la mobilisation peut prendre et réveiller l’esprit LKP pour susciter l’adhésion du plus grand nombre.
Mais en face, le préfet Philippe Gustin a, lui aussi une grille de lecture des événements et du calendrier. Il a, très probablement, joué un rôle dans l’interpellation de Jean-Marie Nomertin et sa rapide libération. Probablement pour afficher à la fois sa fermeté, sa bonne connaissance du calendrier et sa mission d’éviter tout nouvel embrasement.
D’ailleurs, son implication personnelle, comme médiateur dans le conflit de l'hypermarché de Milénis avec, dès le départ, une date de fin de la médiation, est en quelque sorte une preuve de son objectif affiché de couper l’herbe sous les pieds des nouvelles composantes du LKP. En pressant les dirigeants de l’entreprise à faire des propositions acceptables par les grévistes, il force ainsi le destin de ce mouvement et tente le tout pour le tout pour que la mèche ne fasse pas long feu.
Pas un anniversaire, la continuité de la lutte
Elie Domota l’aura dit et répété : il ne s’inscrit nullement dans l’atmosphère du dixième anniversaire du LKP, mais seulement dans la lutte syndicale. Pourtant, il est évident que toutes les organisations syndicales ont vécu des lendemains amers, à cause de l’impossibilité de mobiliser les Guadeloupéens dans un nouveau mouvement de protestation. Elles n’y songent pas moins pour autant.
Et à chaque mouvement, elles sont face à la même équation : comment transformer un mouvement sectoriel en détonateur de mobilisations sociétales. Elle est à l’origine de tous les précédents mouvements. Mais il faudra peut-être plus que cela. Certes, la Guadeloupe n’est pas prête à vivre un apaisement définitif entre tous ses "nou" et tous ses "yo". Mais il faudra très probablement être dans le bon cycle et, qui sait, avoir un nouvel hymne fédérateur. L’avenir nous le dira.