Lors d’un entretien accordé à Polynésie La 1ère, samedi (19 août 2023), pour clore son déplacement de quatre jours dans le Pacifique, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, a annoncé le lancement d’une mission pilotée par son ministère et consacrée aux monopoles dans les Outre-mer.
Il y a trop de monopoles économiques en Outre-mer, en général (...). Et, donc, c’est pour cela que je vais lancer une mission, dès mon retour à Paris, avec Philippe Vigier, le ministre des Outre-mer, qui m’accompagne et qui va piloter cela. Une mission du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, pour faire le constat des monopoles (...) Parce que, quand il y a des monopoles, il y a des prix très élevés.
Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer
En Guadeloupe, syndicats et associations de consommateurs doutent de la sincérité du Ministre de l’Intérieur, quant à changer les choses en faveur d’une baisse des prix significative.
En tout cas, enfin, il s’intéresse à cette problématique, pour des élus d’opposition.
Réguler les économies des Outre-mer, une nécessité
"Mieux vaut tard que jamais !", s’exclame dans un communiqué le sénateur de Guadeloupe Victorin Lurel (Parti Socialiste), qui salue la "soudaine lucidité", certes tardive, de Gérald Darmanin qui, selon lui, "semble avoir découvert l’existence de monopoles économiques dans les Outre-mer".
Victorin Lurel dénonce et déplore le fait que l' "arsenal d’outils législatifs et réglementaires pour réguler les économies ultramarines, contrôler les marges et lutter contre les pratiques monopolistiques et anticoncurrentielles", prévu par la loi Lurel de 2012 et la loi Egalité réelle de 2017, votées sous le quinquennat Hollande, n’ait pas été utilisé à bon escient.
Plutôt que s’inscrire dans la continuité de cette voie résolument volontariste pour lutter enfin efficacement contre la vie chère dans les Outre-mer, le président de la République a fait le choix du laisser-faire libéral qui l’inspire depuis son élection.
Victorin Lurel, sénateur PS de la Guadeloupe
Il résulte de ce choix de l’exécutif, conclut le sénateur, "l’explosion des écarts de prix entre l’Hexagone et les Outre-mer". Pour l’élu Guadeloupéen, une énième mission n’est synonyme que de perte de temps, dans la mesure où le constat, quant à la vie chère dans les Outre-mer, est déjà dressé, notamment dans le dernier rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, datant de juillet dernier.
"Poudre aux yeux !"
Hilarion Bevis-Surprise, secrétaire général de l’Association de défense, d'éducation et d'information du consommateur (ADEIC) en Guadeloupe, dénonce une annonce sans vraie volonté de faire évoluer la situation actuelle. Pour lui, le ministre de l’Intérieur fait de l' "anticipation politique".
On est vraiment étonnés d’entendre ce genre de discours, étant donné que les monopoles existent depuis tantôt (...). En fait, c’est une annonce politique. Monsieur Darmanin est en train de préparer les élections, lorsque Macon va partir. C’est un peu lancer une phrase, pour ne rien dire (...).
Hilarion Bevis-Surprise, secrétaire général de l’ADEIC Guadeloupe
Même point de vue, de la part d’Elie Domota, ancien secrétaire général de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG) et ancien leader du Lyannaj Kont Pwofitasyon (LKP), organisation à l’origine de la grève sans précédent contre la vie chère de 2009. Il considère la sortie de Gérald Darmanin comme une "annonce publicitaire", sans vraie volonté de faire évoluer la situation actuelle.
C’est une annonce publicitaire, pour nous donner l’illusion que le gouvernement s’attaque à cette question de la "pwofitasyon" sur les prix. Il faut rappeler qu’en 2009, avec le gouvernement, nous avons signé un encadrement des prix des produits de première nécessité, qu’ils n’ont jamais mis en place. Et, pour nous, c’est ce qu’il faut faire. Nous avons fait l’expérience : nous avons suivi des produits dès leur sortie d’une centrale d’achat, à Paris. Une plaquette de beurre de 250g, en France, coûte à peu près 87 cts. Après la Douane, en Guadeloupe, elle est à 1€ et, pourtant, à l’étalage, on la trouve à 2,50€, voire 3€ dans certains magasins. Ça signifie que ce n’est pas le transport, ce n’est pas le coût du carburant, ce ne sont pas les taxes qui expliquent le coût surélevé des produits. Les responsables sont les marges exorbitantes, que nous appelons "pwofitasyon" ! (...).
Elie Domota, représentant syndical UGTG - LKP
Elie Domota dénonce l’alignement des prix qu’exercent les grandes enseignes dans l’archipel.
On nous fait aussi croire que la concurrence va régler le problème. Or, que constatons-nous ? Toutes les nouvelles enseignes qui viennent en Guadeloupe alignent leurs prix leurs concurrents qui font du profit à outrance (...).
Elie Domota, représentant syndical UGTG - LKP
Ambitions politiques de Gérald Darmanin
L’annonce de cette mission d’évaluation des monopoles en Outre-mer intervient alors que le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer ne cache plus ses ambitions, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2027. Il se serait bien vu premier ministre, en remplacement d’Elisabeth Borne, mais Emmanuel Macron l’a maintenu à la place Beauvau. Alors, il fait le choix de s’émanciper.
Il tente de renouer des liens avec son ancien parti Les Républicain, pour faire aboutir sa loi sur l’immigration, régulièrement repoussée.
Il veut, en même temps, porter un discours social.
Et il se sert des territoires ultramarins comme tremplin et pour ses ambitions personnelles, selon un conseiller politique de l’exécutif. En terres ultramarines, il élargit ses sujets d’intervention, en parlant sport ou réchauffement climatique.
Malgré la période des grandes vacances, Gérald Darmanin occupe le terrain et l’espace médiatique, en multipliant les apparitions et les déclarations. Mais les résultats concrets sur l’emploi et le coût de la vie tardent à se concrétiser.
Dans cinq jours (le 27 août), il va faire sa rentrée politique chez lui, à Tourcoing (Nord), lors d’une réunion publique sur le thème des classes populaires.