Dès l'entrée de son bureau, Lucien Abdul annonce la couleur : "Il ne faut pas être pressé..." Le chef du service des passeports de la ville des Abymes fait référence aux délais pour obtenir un passeport ou une pièce d'identité. Entre 65 et 90 jours pour obtenir le précieux titre.
Sans conteste, le nombre de demandes a augmenté, reconnaît-il. Mais Lucien Abdul l'affirme, "il n'y pas de problème particulier pour la réception du public". Pourtant, que ce soit aux Abymes, ou même dans les "petites" communes, àl'instar de Vieux-Fort ou Deshaies, les délais pour un rendez-vous se rallongent inexorablement.
Deux ans de retard à cause du Covid-19
Durant la crise sanitaire, voyager n'était pas possible, puis compliqué, en raison des mesures liées à la vaccination. De nombreuses pièces d'identité périmées durant la période n'ont pas été renouvelées.
Depuis la fin 2021, les demandes de création ou renouvellement de titres d'identité ont connu une hausse inédite, causée tant par la sortie progressive de la pandémie de Covid 19 et le rattrapage des demandes que par l'engouement pour la nouvelle carte d'identité ou le fait que des titres d'identité valides soient plus souvent exigés, notamment pour voyager.
"Il faut prendre rendez-vous 3 mois à l'avance puis 3 mois pour obtenir son passeport" explique un agent municipal. Marlène Moko comme ses collègues doivent parfois faire face au mécontentement des administrés.
Certains nous disent qu'ils vont se plaindre au maire, lui écrire ou l'appeler. D'autres sont en colère et parfois, on nous lance des noms d'oiseaux. [...] Nous sommes impuissants parce que les dossiers sont traités en fonction de leur arrivée.
Marlène Moko, agent municipal de la ville des Abymes
Marlène a décidé de prendre davantage de rendez-vous afin d'écouler les dossiers.
Lucien Abdul, lui, tente d'expliquer les choses. Pour obtenir un passeport, chaque citoyen doit passer par 3 étapes : l'instruction, la validation et la production. Pour le chef du service des passeports de la ville des Abymes, ce sont les deux dernières qui pêchent...
Il faut réussir à diminuer les délais pour la validation et donc la poduction. Avant, on pouvait avoir un passeport en 15 jours. [...] L'Etat doit améliorer la situation dans les CERT et au centre de production.
Lucien Abdul, chef du service des passeports à la ville des Abymes
Si elle prend en charge les cartes grises des deux départements, la Guadeloupe dépend du CERT (centre d'expertise et de ressources titres) de la Martinique pour les demandes de passeports et pièces d'identité. Le "manque de moyens" au CERT expliquerait les délais, selon Lucien Abdul.
D'autant plus qu'il y a eu un défaut de "matières premières pour la fabrication des pièces", rappelle Marlène Moko.
Les administrés doivent donc faire preuve de patience. Beaucoup espèrent partir en vacances durant les mois de juillet et d'août. De nombreuses demandes affluent actuellement mais il semble peu probable que les documents arrivent à temps.
Lucien n'hésite pas à leur donner quelques conseils : "prendre rendez-vous assez tôt et surtout ne pas faire de réservation de billet d'avion avant d'avoir leur titre en main".
Conseil avisé car un départ en vacances ne constitue pas une mesure urgente pour obtenir son passeport.
La préfecture de Guadeloupe a d'ailleurs fait une mise au point quant à la délivrance d'un titre en urgence.
La demande de passeport d’urgence est examinée au regard de l’urgence du déplacement justifiée par motifs humanitaires graves ou professionnels dûment avérés, sans que la délivrance ne revête un caractère automatique.
En ce qui concerne les motifs humanitaires, il s’agit essentiellement du décès d’un ascendant, descendant direct ou collatéral direct (fratrie). Et pour des déplacements d’ordre professionnel, l’urgence n’est caractérisée que pour un déplacement imminent, imprévisible et qui ne peut être reporté. Les autorités réclameront également d’apporter un argumentaire quant à la présence indispensable de l’intéressé et les dates prévues.
L'engagement de la Première ministre
Des délais longs également dans l'Hexagone. En conséquence, le 21 avril dernier, la Première ministre Élisabeth Borne s'est engagée à diviser par deux d'ici à juillet et août, les délais pour obtenir une carte d'identité ou un passeport.
Ces délais, aujourd'hui en moyenne de 66 jours, seront ramenés "à 30 jours" dès les Grandes vacances et "à 20 jours à l'automne" partout en France, a précisé la cheffe du gouvernement lors d'un point-presse. Il s'agit, a-t-elle complété, d'arriver à "1,8 million de rendez-vous par mois", soit un doublement par rapport à il y a un an.
Deux leviers pour parvenir à ce résultat : "faciliter la prise de rendez-vous" en connectant la totalité des petites communes au site national de prise de rendez-vous d'une part, et en accompagnant celles qui procèdent par téléphone ou par une visite à la mairie d'autre part.
Elle a par ailleurs dit sa volonté de "renforcer la capacité, le nombre de rendez-vous disponibles", grâce par exemple à une extension des horaires d'ouverture via des incitations financières. Quelque 650 bornes de recueil des empreintes seront également déployées, "en ciblant particulièrement les 30 départements dans lesquels on constate aujourd'hui des délais (trop longs, ndlr) ou des difficultés".
Au total, ces mesures représenteront 100 millions d'euros de soutien "pérenne" de l'Etat aux collectivités, a ajouté Élisabeth Borne, souhaitant "rassurer" les maires sur "le fait qu'ils recrutent des agents" pour ces nouveaux rendez-vous.
Il y a un an déjà, l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) avait annoncé le déploiement de moyens supplémentaires avec l'objectif de parvenir à un retour à la normale en juillet-août 2022.
Puis mi-janvier 2023, la ministre déléguée aux Collectivités, Dominique Faure, a annoncé l'ouverture de 500 nouveaux guichets partout en France pour permettre à davantage de mairies de recevoir les demandes de titres. 20 millions d'euros avaient aussi été débloqués pour les communes au titre de la dotation pour les titres sécurisés.
L'Hexagone est ainsi passé d'environ 9 millions de demandes en 2019 à plus de 12 millions en 2022.