La lettre de Tony Bloncourt, résistant oublié de l'Histoire

Tony Bloncourt, en 1937, en Haïti, avec sa mère Noémie.
La cérémonie du 8 mai s'est déroulée près d'une rue qui porte le nom d'un jeune résistant communiste de 22 ans d'origine guadeloupéenne, fusillé par les Allemands en 1942. Malgré cet hommage, Tony Bloncourt figure parmi les oubliés de la Guerre. Avant sa mort il a adressé une lettre à ses parents.
Si les élèves français ont largement entendu parler de Guy Moquet, du nom de ce militant communiste devenu symbole de la Résistance durant la Guerre 39-45, ils n'ont pour la plupart jamais entendu parler de Tony Bloncourt. Les élèves guadeloupéens ne sont pas plus familiers de ce jeune étudiant communiste, mort à 22 ans, fusillé par les Allemands, au Mont-Valérien, dans les Hauts-de-Seine. Un résistant né en Haïti de parents guadeloupéens. 

Résistant de la première heure

Tony Bloncourt naît en Haïti, le 23 février 1921 à Port-au-Prince. Ses parents, Yves et Noémie, tous deux Guadeloupéens sont partis s'installer en Haïti pour y enseigner. 
En 1938, le jeune homme part s'installer chez sa tante Yolande, dans l'Hexagone. Il y suit des études de sciences et donne des cours de mathématiques et de littérature, pour subvenir à ses besoins. 
L'étudiant est déjà un militant communiste.

Il prend part à la manifestation du 11 novembre 1940, marche de milliers de lycéens et d'étudiants, considérée comme l'un des tous premiers actes publics de résistance à l'Occupation. 
Avec ses camarades des Etudiants communistes, ils mènent d'autres actions, dont la tentative de sabotage d'une voie ferrée. Tentative qui échouera. 
Le 21 août 1941, avec ses compagnons de résistance, ils se rendent au métro Barbès. L'un d'eux, Pierre Georges tue l'officier allemand Alfons Moser. Bloncourt, devait lui s'occuper d'un autre officier, Schoetz. Il n'arrive pas à s'y résoudre. L'opération tourne court. Lors de son procès il déclara : "Je ne sais pas ce que j’ai eu. À cette minute, à ce moment précis, je n’ai pas vu un officier allemand, je n’ai vu qu’un homme".
Deux semaines plus tard, ils incendient des camions allemands, sans faire trop de dégâts. 

Morts en héros de la Résistance

En octobre 1941, Tony Bloncourt échappe de peu à une arrestation de la Brigade spéciale de la police judiciaire. Peu de temps avant, l'un de ses compagnons de lutte, interpellé, a livré des noms, dont celui du jeune résistant d'origine guadeloupéenne. Il est en cavale pendant deux mois. 
Mais le 5 janvier 1942, il est finalement arrêté avec 6 autres membres de l'Organisation spéciale. 
Leur procès a eu lieu 2 mois plus tard. Un procès express durant lequel un conseil militaire allemand impute 17 attentats aux 7 résistants âgés de 18 à 27 ans. 
Ils sont tous les 7 reconnus coupables. 
Le 9 mars 1942, les 7 hommes sont fusillés au Mont-Valérien et inhumés au cimetière d'Ivry-sur-Seine. 3 ans plus tard, une cérémonie, en présence des parents de Tony Bloncourt y a lieu . 
Ce n'est que le 9 mars 2000, que les 7 résistants furent décorés de la Médaille militaire, de la Croix de guerre avec palme et de la Médaille de la Résistance à titre posthume. Une plaque commémorative rappelle qu’ils sont "Morts pour la France".

Une émouvante lettre d'adieu

Peu de temps avant sa mort, Tony Bloncourt écrit une lettre à ses parents. Il sait qu'il ne les reverra jamais...

Sa lettre : 

"Maman, papa chéris, Vous saurez la terrible nouvelle déjà quand vous recevrez ma lettre. Je meurs avec courage. Je ne tremble pas devant la mort. Ce que j’ai fait, je ne le regrette pas si cela a pu servir mon pays et la liberté ! Je regrette profondément de quitter la vie car je me sentais capable d’être utile.


Toute ma volonté a été tendue pour assurer un monde meilleur. J’ai compris combien la structure sociale actuelle est monstrueusement injuste. J’ai compris que la liberté de vivre, ce que l’on pense, n’est qu’un mot et j’ai voulu que ça change. C’est pourquoi je meurs pour la cause du socialisme. J’ai la certitude que le monde de demain sera plus juste, que les humbles et les petits auront le droit de vivre plus dignement, plus humainement. Je suis sans haine pour les Allemands qui m’ont condamné et je souhaite que mon sacrifice puisse leur profiter aussi bien qu’aux Français.

Je garde la certitude que le monde capitaliste sera écrasé, que l’ignoble exploitation cessera. Pour cette cause sacrée, il m’est moins dur de donner ma vie. Je suis sûr que vous me comprendrez, papa et maman chéris, que vous ne me blâmerez pas. Soyez forts et courageux. Mon cœur est plein de tendresse pour vous et déborde d’amour. Maman chérie, je t’aime comme jamais je ne t’ai aimée. Je sens maintenant tout le prix de l’œuvre que tu as entreprise en Haïti.

Papa chéri, toi qui es un homme fort, console maman. Sois très bon en souvenir de moi. Maman Dédé chérie, tu as la même place dans mon cœur que maman. Tous, vivez en paix, ne m’oubliez pas. Je vous embrasse bien fort comme je vous aime."


A (re) voir le reportage d'Alex Robin et Rémi Defrance :
©guadeloupe

 

Reconnaissance en Haïti

Cette lettre fut très vite publiée à Haïti, au Mexique, aux États-Unis. Son frère Gérald raconta qu'Haïti avait fait de Tony Bloncourt un héros national. Sa lettre fit le tour des écoles de Port-au-Prince, lue par les écoliers. 
Une reconnaissance qui arrivera peut-être un jour jusqu'à l'île de ses parents, la Guadeloupe, puis la France, le pays pour lequel il s'est battu et pour lequel il est mort.