Violences sexuelles sur mineurs : les annonces gouvernementales vues comme des « mesurettes »

Les violences sexuelles subies pendant l’enfance provoquent une souffrance extrême et durable.
Le gouvernement a annoncé, le mois dernier, qu’il allait renforcer les moyens de lutte contre l’inceste et les violences sexuelles sur mineurs. Mais, pour la doctorante Claire Leguillochet, les mesures annoncées ne répondent pas à l’urgence et la gravité de la situation.

Le gouvernement entend suivre les préconisations de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) et a annoncé, le 21 septembre dernier, plusieurs mesures pour renforcer les moyens de lutte contre les atteintes sexuelles sur mineurs.

Le projet prévoit notamment "le retrait de principe de l’autorité parentale, en cas de condamnation d’un parent pour violences sexuelles incestueuses sur son enfant", a précisé le Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti.
Par ailleurs, une campagne nationale de communication est prévue.
Le réseau des associations d’aide aux victimes devraient être renforcé, pour un meilleur accompagnement de l’enfant, tout au long du processus pénal.
Il est enfin question de former les professionnels : ceux aptes à détecter les signes de maltraitance, ceux qui recueillent les témoignages et signalements, ceux qui œuvrent à la prévention et à la sensibilisation, ou encore ceux qui accompagnent les victimes.

Ces violences touchent annuellement 160.000 enfants, en France, selon la Ciivise. Une personne sur dix en a été victime dans l'enfance et en garde des séquelles, parfois dévastatrices, selon cette commission créée en janvier 2021, pour inspirer des politiques publiques de protection des mineurs. En effet, les violences sexuelles subies pendant l’enfance provoquent une souffrance extrême et durable.

Des "mesurettes", de l’avis d’une doctorante de Fouillole

Il existe peu de chiffres, pour dresser un bilan du phénomène d’inceste et de violences sexuelles sur mineurs en Guadeloupe.

Claire Leguillochet a travaillé sur l’enfance en danger, dans l’archipel, durant son Master 2 à Fouillole (Université des Antilles), ainsi que pendant sa formation d’avocate et au Tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre. Cette professionnelle est désormais doctorante à Fouillole, spécialisée dans les droits du mineur en danger.

Pour elle, ce nouveau train de mesures est loin de suffire, pour faire face au problème ; il n’est là question que de renforcer des dispositifs déjà existants.

C’est une forme d’annonce de com. On est encore dans l’inertie. Depuis 2007, il y a eu des mesurettes législatives, sur mesurettes législatives. C’est-à-dire qu’on a évité des réformes de fonds, qui étaient pourtant nécessaires.

Claire Leguillochet, doctorante à Fouillole

Claire Leguillochet, avocate

Le retrait de l’exercice de l’autorité parentale, ce n’est pas nouveau et ce n’est que pure logique, estime la doctorante, qui regrette aussi que l’accompagnement des victimes soit confié à des acteurs associatifs.

Ok, c’est du nouveau. Mais c’est toujours déjudiciariser. C’est toujours rabaisser les moyens de mettre en œuvre la protection de l’enfance. Parce que ce qui est urgent, aujourd’hui, c’est renforcer les pouvoirs et les effectifs des juges des enfants, leur donner droit à un avocat aussi (comme toute personnes majeure) pour garantir leurs intérêts de victimes. C’est, certes, plus onéreux, mais c’est plus proche des exigences de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Claire Leguillochet, doctorante à Fouillole

Pourtant, le système judicaire français dispose de tous les outils pour garantir la protection de l’enfant et réprimer les auteurs d’infractions.

Quant aux professionnels qui gravitent autour des mineurs, leur formation va de soi, aux yeux de la doctorante ; tout travailleur est censé être formé pour les missions qu’il assume.

Ainsi, Claire Leguillochet estime que les annonces gouvernementales, loin d’être le fruit d’un travail de fond ni une réforme structurelle, sont synonymes de fragilisation de la coordination des services.

L’affaire de tous

La lutte contre l’inceste et les violences sur mineurs doit mobiliser chaque citoyen, en plus de la machine judiciaire.

Les enfants ne disposent quasiment plus de protection effective, tant par la célérité des prises en charges, que par leur complexité. Et pourtant il y a des actes effroyables qu’on ne peut laisser commettre dans notre société, des individus dangereux à éloigner des enfants et des enfants à soigner.

Claire Leguillochet, doctorante à Fouillole

Les faits de violences, de viols et d’agressions sexuelles sur mineurs sont "presque banalisés ou tus", déplore Claire Leguillochet, qui rappelle qui s’agit bien d’actes délictuels et criminels, "les plus abjects de notre code pénal", si bien que chacun doit se sentir concerné, renchérit-elle.

Claire Leguillochet plaide aussi pour la proactivité, impliquant les psychologues, médecins et infirmières scolaires, dont les visites médicales pourraient être obligatoires, renforcées et plus régulières. Ces professionnels auraient aussi pu animer des ateliers de prévention, au sein des établissements.

Là où le bât blesse

Pour Claire Leguillochet, dans la lutte contre l’inceste et les violences sexuelles sur mineurs, la difficulté réside dans le repérage et la prise en charge des jeunes victimes. Mais il est injuste, affirme-t-elle, de dire que le système judiciaire est défaillant pour protéger l’enfance en danger.

Il existe des lois, qui sont censées être efficaces, d’ores et déjà écrites depuis plusieurs décennies et des magistrats qui travaillent d’arrache-pied quotidiennement pour les faire appliquer et protéger ses enfants.

Claire Leguillochet, doctorante à Fouillole

Seulement voilà, l’extrajudiciaire (associations, foyers, collectivités...) empiète sur le système judiciaire, pour un cumul non coordonné en matière de circulation des informations ; un réseau qui fonctionne, qui plus est, avec des moyens réduits. C’est là que le bât blesse, du point de vue de Claire Leguillochet.