"Je vous demande, du plus profond de mon âme, de ne pas me condamner pour un crime que je n'ai pas commis." Ce sont les derniers mots prononcés par Germain Balmokoun ce mardi matin lors de son audience devant la Cour d'Assises de Guyane, au centre-ville de Cayenne.
30 ans requis par l'avocate générale
C'est un homme au visage impassible qui se présente sur le banc des accusés ce mardi, à 8h00. Il est accusé d'avoir - entre le 2 et le 3 décembre 2016 - assassiné son épouse, Thu Ha Tran Thi. C'est le dernier jour de procès, il débute par le réquisitoire de l'avocate générale, Aminata Touré.
En préambule, elle rappelle la lutte contre les violences faites aux femmes, au cœur des préoccupations depuis des années. Puis, "il est temps de parler de cette femme dont on a trop peu parlé justement", dit l'avocate générale. Thu Ha Tran Thi venait du Vietnam, elle était âgée de 47 ans et ses ossements ont été retrouvés en 2019, enterrés à plus de 1.60 mètres de profondeur, sur le terrain de son mari.
La victime était ligotée avec du ruban adhésif et de la corde. "On ne saura jamais vraiment ce qu'il s'est passé en raison de l'habilité, des manœuvres, de la chance même de l'auteur des faits", ajoute la magistrate. Elle aborde le caractère de l'accusé, décrit par des témoins comme un homme intimidant.
Depuis trois ans, je me demande quelles sont les conditions de cette mort, car l'accusé ne sait pas l'expliquer [...] Ce que l'on sait, c'est que les faits sont imputables à une personne et cette personne est devant nous.
Avocate générale
Lors de son réquisitoire, elle rappelle les éléments mis en évidence : un bâton entouré de cheveux longs et bruns retrouvé avec l'ADN de G. Balmokoun, du chloroforme (ainsi que des recherches internet faites par l'accusé à ce sujet), mais aussi des paroles qu'aurait prononcées l'homme après la disparition de sa conjointe.
"Le mensonge n'est que la vérité des lâches", conclut l'avocate générale. Elle requiert 30 ans de réclusion criminelle sans période de sûreté à l'encontre de Germain Balmokoun, avec 10 ans d'interdiction de port d'arme et 15 ans sans occuper un poste à responsabilité.
"D'autres pistes crédibles et sérieuses ont été écartées"
C'est au tour des avocats de la défense de prendre la parole. Ils s'adressent aux jurés. Me. Éric Bichara estime que son client "a d'emblée été désigné coupable, ce qui a eu pour conséquence que d'autres pistes crédibles et sérieuses ont été écartées". Il pointe du doigt des incohérences dans les récits de plusieurs témoins, précise des faits et en rappelle d'autres.
Il évoque notamment un appel manqué - passé depuis le téléphone de la victime le 8 décembre (soit plusieurs jours après sa mort) - à une connaissance. "Qui est l'auteur de cet appel ?", interroge l'avocat de la défense. Une question qui restera sans réponse. Il parle aussi de l'anonyme qui a localisé de manière précise le corps de la victime et prévenu les autorités. "Il craignait la Justice", d'après la défense.
Maître Jérémy Stanislas prend la suite de la plaidoirie. Dans cette affaire, il souhaite combattre les "fausses idées" ou "idées reçues". Il ajoute "qu'elles ne reposent sur rien". En effet, le manque de preuve est pointé par tous dans cette affaire, s'ajoutent à cet élément les deux années écoulées entre la disparition de Thu Ha Tran Thi et la découverte de son corps.
Beaucoup de questions accompagnent notre réflexion et on ne peut pas faire mine qu'elles n'existent pas.
Me. Jérémy STANISLAS, avocat de la défense
Enfin, l'avocat rappelle que G. Balmokoun s'est rendu à la gendarmerie le 4 janvier pour indiquer aux autorités qu'il y avait eu "du passage sur son terrain" et qu'aucune vérification n'avait été faite par ces derniers. Par ailleurs, l'accusé avait également engagé un inspecteur privé pour savoir ce qu'il était arrivé à son épouse. C'est à la fin de la plaidoirie que, dans une ambiance lourde, l'ancien directeur d'école prend la parole une dernière fois. Il clame toujours son innocence.
Je ne peux exprimer ce que je ressens. Je n'ai pas grand-chose à rajouter. En tant que petit-fils d'Indien, je vis dans l'amour et la paix. Je n'ai jamais eu d'acte violent. Je vous demande, du plus profond de mon âme, de ne pas me condamner pour un crime que je n'ai pas commis.
G. BALMOKOUN, accusé
25 années de réclusion criminelle
Il faut à peine plus de deux heures aux jurés pour se prononcer. Le jugement tombe : Germain Balmokoun est déclaré coupable du meurtre avec préméditation de son épouse, Thu Ha Tran Thi. Il écope de 25 ans de réclusion criminelle, d'une interdiction de détention ou de port d'arme de 15 ans et d'une interdiction définitive de travailler dans la fonction publique. Il doit aussi verser des indemnités : 25 000 euros au père de la victime et 15 000 euros à chacun de ses frères pour le préjudice moral.
"Un verdict que l'on s'attendait à avoir", nous dit Me. Corinne Yang-Ting Boulogne, avocate de la partie civile. Et de poursuivre : "Il a toujours nié les faits, mais nous avons toujours su sa culpabilité. Et aujourd'hui je crois que Justice est passée, enfin. La famille de cette jeune femme peut considérer que leur détresse a été entendue".
Les avocats de la défense n'ont pas souhaité répondre à nos sollicitations. Ils disposent de 10 jours pour faire appel.