Les obsèques d’Antoine Lamoraille décédé le 22 mars dernier devraient se dérouler la semaine prochaine à Apatou annonce le maire de la commune, Moïse Edwin. L'édile salue la mémoire d'un progressiste qui a toujours apporté sa contribution aux affaires municipales.
Un pionnier militant au service de la transmission
Cet Apatoutien a marqué de son empreinte les peuples de Guyane. Il fut un militant culturel et politique dont se souvient longuement et avec une grande émotion Roland Delannon, ancien militant indépendantiste et directeur d' IRIG Défis Guyane à la retraite :
« J’ai connu Antoine dans les années 1976 en tant que militant indépendantiste avec Raymond Charlotte. Il militait au FNLG au Front National de Libération de la Guyane. Ils animaient collectivement un journal d’information qu’ils distribuaient à Cayenne. Antoine faisait partie de ces alukus qui étaient venus travailler à Cayenne ou à Kourou dans les années soixante où se construisait la base.
Antoine était un militant dirigeant c’est comme cela que l’ai connu. Il était aussi le fondateur du MBLG, le Mouvement de Libération des Bonis de Guyane créé en 1977 pour pouvoir se présenter aux élections contre le grand Man Tolinga, une autorité coutumière incontournable et maire aussi de Papaïchton. Antoine disait qu’il ne fallait pas confondre la tradition et la politique. Avec ses camarades, ils ont mis en place une opposition. C’étaient des militants de gauche alors que le Grand Man Tolinga était de droite. La droite à cette époque contrôlait la Guyane. Ces jeunes bonis étaient partisans d’une évolution statutaire. Cela a été un schisme dans la communauté boni. Ces militants se sont heurtés à l’hostilité des anciens. La campagne électorale a été très dure.
Depuis cette époque nous avons cheminé et sommes restés des amis proches. »
Roland Delannon poursuit son récit :
« Lorsque Mitterrand a été élu en 1981, il a amnistié les militants politiques qui étaient dans les geôles françaises. Il y avait des Canaques, des Guyanais, des Guadeloupéens et Antoine faisait partie des 5 Guyanais qui avaient été déportés en juillet 1980 à Paris. Amnistié, il est revenu à Cayenne et a décidé de rentrer dans sa commune d’origine, Apatou, où il est toujours resté.
Nous avons entretenu des liens très forts. De mon point de vue, c’est une perte incommensurable car il était à la fois un philosophe, un sage. Il fait partie des détenteurs de la mémoire collective aluku.
Il a agi comme un décanteur qui connaît de l’intérieur le cheminement de l’épopée historique boni et a toujours travaillé dans le cadre de l’intégration. Il fait partie de ceux qui ont dédié leur vie à l’émancipation des Guyanais, à une construction d’une société dans laquelle les groupes fondateurs ont chacun leur place. Il n'a jamais cessé d'œuvrer dans ce sens. Ce sage, ce connaissant, s’intéressait à tout ce qui se passait dans le monde et était attaché à transmettre.
La transmission fait partie des qualités intrinsèques qui étaient les siennes comme sa grande humilité, sa dignité et sa force de caractère. Heureusement ce maître Tembé a eu une reconnaissance active, il a été médiateur culturel et a pu transmettre son savoir aux collégiens de sa commune. Il a créé l’association Mama Bobi, une association très importante qui a rayonné des deux côtés du fleuve. Lamoraille est d’ailleurs très reconnu au Suriname beaucoup plus qu’en Guyane comme artiste, comme politique, et dans le milieu de la pharmacologie.
C’était un pionnier dans le sens profond du terme. Un Guyanais qui mérite de figurer dans les annales historiques de la société.Pour moi, c’est un frère de 50 années de compagnonnage qui part prématurément.
Un Maître, un leader culturel qui a fait rayonner l’art Tembé
L’ancienne garde des Sceaux, Christiane Taubira s’est exprimée aussitôt à l’annonce de la disparition d’Antoine Lamoraille saluant son engagement politique et culturel :
« Antoine AOUEGUI dit LAMORAILLE avait conservé un sourire adolescent.
Combattant politique, combattant culturel. Lamoraille était un puits de science sur l’art tembé. Il avait souci de transmettre, en connaissance, en habileté, en sensibilité. Et en totalité : depuis le choix des bois selon leur texture, leur résistance, leurs vertus, jusqu’au sens des formes et des couleurs. Il y ajoutait la symbolique des messages révélés ou implicites. Il expliquait tout l’art de vivre que reflétaient ces traits et ces courbes, juxtaposés ou entrelacés.»
Les œuvres d’Antoine Lamoraille ont été exposées à travers le monde (Washington 1990, Paris 1998, 2022 etc.) véhiculant ainsi l’héritage du Marronnage. Il a réussi à établir un lien fort entre les différentes générations en transmettant les sciences et cultures traditionnelles des sociétés du Maroni. Il maîtrisait à la perfection les techniques du Tembe qui figure dans l’Art Populaire Contemporain. Pour l’ensemble de son œuvre, Lamoraille s’est vu décerner en septembre 2004, entre autres prix, le grand prix de la Transcendance à la Biennale du Marronnage.
Tchisseka Lobelt, chargée de projets culturels au Conseil culturel se souvient d’une très belle exposition organisée en 2015 sur travail d’Antoine Lamoraille, ce grand Dòkò, passeur de culture :
« Au-delà de ses conférences auxquelles j'ai pu assister, je conserve le souvenir d'une exposition réalisée avec son soutien en 2015 pour le compte du Conseil général. Grâce à Antoine Lamoraille, nous avons fait venir à Cayenne 80 Tembé de la collection Mama Bobi ainsi que 4 magnifiques portes prêtées exceptionnellement pour cette exposition. A cette occasion, Antoine Lamoraille avait également animé une conférence « Tembé peint un visuel pour l'émancipation » Une grande figure s'en va laissant derrière lui un passé militant et de nombreuses œuvres faisant autorité dans le domaine du Tembe »
Un Transmetteur irremplaçable
L’écrivain Joël Roy coauteur avec Antoine Lamoraille du livre « Parlons Mawinatongo, le taki-taki revisité » et plusieurs autres ouvrages ainsi que l’artiste Francky Ameté mettent en avant la perte d’un Transmetteur :
« Grâce à Antoine Lamoraille, la culture bushinengué est restée vivante. Grâce à lui nous restons accrochés aux branches de cet arbre qu’il était pour nous tous. Nous tous c’est-à-dire des gens comme Francky Ameté, Carlos Adaoudé et tant d’autres "tembeoeman" et moi-même à un niveau plus modeste à l’origine de ces lignes. Ce sont les fruits de cet arbre qu’Antoine a nourri de sa propre sève qui ont fait de nous, ce que nous sommes devenus, des "tembeoeman", des artistes ou autres... et surtout à son image, à notre tour, nous sommes devenus des transmetteurs. Transmetteurs de quoi, mais de connaissances et surtout au-delà de toutes les vanités c’est à lui que nous voulions ressembler. Nous savions qu’il était au milieu de nous tous le « poto mitan ». Il était aussi un guerrier mais ses armes étaient ses paroles, il ne coupait pas des têtes mais il voulait sauvegarder la culture des Noirs Marrons. Avec lui c’est une partie de nous qui s’en est allée et bien trop tôt. Sans lui nous avons beaucoup perdu, nous avons tous perdu. Wan bigi manenge gwe »
Quelques titres d'ouvrages :
- Peuples en marronage : ouvrage co écrit par Joeël Roy, Antoine Lamoraille et l'Association Mamabobi
- D'un héritage frontalier : Antoine Lamoraille et Olson Kwadjani
- Devoir marronner aujourd'hui dans les espaces des Guyanes : Joël Roy et Antoine Lamoraille
- Petit Noyau et les animaux : Joël Roy, Brigitte Day et Antoine Lamoraille
- Sur les traces de Boni : Association Mama Bobi