La sortie en salle du film le 14 février " Bob Marley : One love" a remis la lumière sur un genre musical né au 20e siècle à la Jamaïque : le reggae. On réentend sur les ondes locales les chansons de Bob Marley qui ont fait vibrer la planète entière durant des décennies. La carrière de Bob Marley a été courte mais d’une intensité rare avec un rayonnement mondial qui en a fait le prophète d’un genre musical qui ne s’est jamais démodé depuis 50 ans.
De la Cadence Lypso au Reggae
Pour Eric Théolade, pianiste de l’emblématique orchestre guyanais Blackwood la découverte du reggae et de Bob Marley s’est faite à l’âge de 13 ans en 1973 :
« À l’époque je fréquentais les booms, j’ai entendu un son, je me suis intéressé mais j’écoutais beaucoup dans la Cadence Lypso, le groupe Liquid Ice, qui avait toujours des morceaux de reggae dans ses albums. Il y avait un orgue chez mes parents, je jouais en écoutant toutes ces musiques. Le reggae est un support idéal pour exprimer ses idées comparativement au zouk, c’était un rythme qui allait bien avec une forme de militantisme. Peu à peu j’ai senti que c’était cette musique qui me faisait vibrer réellement. Par la suite j’ai intégré le groupe Blackwood dans les années 80 et depuis, nous avons toujours cheminé dans ce genre musical ».
Eric Théolade a assisté à plusieurs spectacles de Bob Marley en France. Cela a commencé en 1978 à Nice à l’occasion de la tournée « Babylon by bus » en Europe :
« Je suis allé à ce concert mais j'ai vu Bob en tout trois fois. La dernière fois c’était à Bordeaux et j’avais même déjà acheté ma place pour son concert prévu en 1981 mais il est mort avant. J’étais convaincu par ce mouvement musical de longue date mais il fallait que je voie celui qui représentait véritablement le reggae. C’était quelque chose d’incroyable, à Bordeaux pour aller devant la scène, j’ai dû marcher sur des gens.»
L’engouement pour le reggae à l’époque en Guyane est très fort. Le musicien apporte une explication avec la présence de nombreux Saint-Luciens, le mouvement rastafari étant aussi ancestral dans cette île qu’à la Jamaïque. Il rappelle aussi l’influence du groupe français I and I composé à 80% de Guyanais (Roger Jadfard, Macklier Junior, Hervé Benth). Le pianiste évoque ses tournées avec Universal Youth de Ras Benji, avec Nikko, Roy, Grégory Isaac.
« Je suis devenue mélomane grâce au reggae »
Robert Loe-Mie est un passionné de musique qui s’est rendu à la Jamaïque et possède toute la collection des disques de Bob Marley depuis les années 60. Il a assisté en France à trois des concerts du chantre du reggae :
« Le reggae n’a pas été apprécié tout de suite en Guyane. Étudiant au milieu des années 70 à Paris quand je revenais en Guyane avec des disques de reggae c’était une histoire pour les faire écouter. À la boîte de nuit « La grotte » animée par René Cicéron je devais le supplier pour qu'il passe Bob Marley qui n’était pas encore très connu.»
Mais finalement le déclic s’est fait :
«Le reggae est venu naturellement avec les autres musiques caribéennes qu’on avait l’habitude d’entendre en Guyane comme la musique typique et après par la Cadence lypso. On se reconnaît dans le reggae, on se retrouve et cela a commencé à bien marcher à la fin des années 70. Bob Marley acquiert une renommée internationale. En France où la musique anglo saxonne cartonnait les gens découvraient aussi le reggae. Marley a explosé avec l’album « Exodus » en 1979. Nous, les quelques initiés, en Guyane, l'avions découvert avec l’album « Natty Dread ».
« Je suis devenu mélomane grâce au reggae. Je collectionnais les disques, les revues, je suis plutôt jazz maintenant mais Bob Marley m’a amené loin, très loin musicalement. Avec lui, on était porté tout autant par sa musique incroyable que par les paroles de ses chansons fortes et militantes. J’écoutais tous les groupes reggae en vogue à l’époque mais on peut dire que Bob Marley et les Wailers c’était autre chose ».
Et cette musique a littéralement inspiré des musiciens en Guyane avec la naissance de groupes reggae dans les années 80 comme I and I, Universal Youth, Nikko et le Ying Yang Band et Blackwood. Des groupes qui se sont fait connaître aussi à l’international.
Selon le mélomane Robert Loe-Mie, le reggae a perdu de son influence en Guyane. Ce qui fonctionne actuellement auprès des nouvelles générations serait plutôt du reggae dance all qui occupe majoritairement l’espace musical avec un univers parolier beaucoup moins onirique. Mais cela n’empêche pas que la musique reggae continue d’influencer le public et demeure bien installée sur la scène mondiale. Ce passionné de musique cite le musicien Peter Tosh s’exprimant sur Marley après sa mort et déclarant « Il n’y a que les cons qui meurent ». Une déclaration jugée négative qui a suscité l’incompréhension sur le moment mais qui s’explique positivement : « au contraire cela voulait simplement dire que lorsque tu as marqué le temps comme Bob l’a fait, tu ne meurs pas, on ne t’oublie pas à l’inverse de ceux qui n’ont rien fait ! » et d’ajouter
« Marley est immortel, toutes les générations le connaîtront, j’en suis persuadé ». Et de conclure : « On ne s’attendait pas à ce qu’un petit monsieur sorti du ghetto de Kingston puisse donner à cette musique et à la Jamaïque une telle dimension. »
19 chansons de Bob Marley traduites en créole guyanais
Le journaliste Nicolas Pietrus, diplômé de langues et cultures régionales, passionné par la musique de Bob Marley a traduit quelques-unes de ses chansons en créole guyanais. L'ouvrage intitulé "Bob Marley 19 chansons adaptées en créole guyanais" a été édité chez "CDA Editions".
Un travail entrepris avec des amis en 1981 après la mort du musicien et qui a, finalement, abouti 30 ans après en 2011.
Dans ce travail d’adaptation d’une partie du répertoire de Marley, on peut citer : « Buffalo Soldier » qui devient « Solda Bifalo » alors que le tube « Exodus » ou « Lèkzod » et démarre ainsi : « Lèkzod, mouvman pè Jah, Lésé mo di to sa » tout comme cet autre titre collector « Waiting in vain » devient très prosaïquement « Mo pa lé antan pou bon tchò ». Un travail de traduction et d’interprétation intéressant sur des paroles qui ont inspiré les fans du chanteur jamaïcain.
Le reggae a été inscrit en 1978 au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, preuve s’il en était besoin de son rôle essentiel dans l’univers musical.