De la Côte d’Ivoire au Maroni
« Boni aux origines d’un peuple » s’ouvre sur un sacrifice. Une reine décide de sacrifier son fils pour sauver son peuple.Terrible geste de la Reine Abla Pokou mais les Dieux le lui demandent. La Reine Abla Pokou est à la tête d’une dynastie royale qui sera appelée Baoulé en Côte d’Ivoire. Parmi ces suivantes, une jeune fille, Adjoua, elle aussi connaîtra un grand destin. Elle sera la mère d’un des chef marron rebelle légendaire Boni, né esclave, en Amérique du sud dans la région du Maroni.
Le destin ne tient qu'à un fil
Malgré les avertissements des esprits, un jour, elle s’éloigne du village et est kidnappée. Le destin, son destin. La fatalité. Adjoua sera faite prisonnière. Une belle prise pour les esclavagistes. Elle a une allure royale. Un port altier, un regard conquérant, elle a tous les atouts requis.
L’époque est terrible pour les noirs africains. Des milliers d’hommes et de femmes sont enlevées, quelque soit leur lignée. Les esclavagistes frappent au hasard avec leurs complices africains avides de bijoux de pacotille ou de simple vengeance. La guerre tribale fait rage avec en toile de fond les territoires qui sont conquis.
La traite n’est pas que la vente d’esclaves ou de prisonniers par des Rois Africains. Personne n’est à l’abri. Certains sont enlevés, arrachés au hasard d’une rencontre, à leurs familles, leurs villages, leurs existence. C’est le cas d’Adjoua. L’espace d’un instant, sa vie bascule . Elle se retrouve à bord d’un navire négrier. Direction l’Amérique du sud puis le Surinam et la région du Maroni.
Un ouvrage très fouillé
Serge Bilé l'auteur nous fait découvrir cette histoire hors norme. Une histoire romancée certes mais combien plausible. Le journaliste a fait un véritable travail d’investigation. Il raconte l’histoire de l’esclavage mais il narre également l’histoire des Baoulé. Cette lignée royale de Côte d’Ivoire dont des milliers de fils et de filles ont été déportés vers les colonies françaises, espagnoles, hollandaises et anglaises pour constituer une main d’œuvre servile .
Adjoua fait partie des proches de la Reine. L’auteur décrit les coutumes, les traditions, de ce peuple. Il évoque également la conquête du pouvoir au sein d’un royaume divisé. Un ouvrage aux nombreuses références historiques ponctué par des contes tirés de la mythologie ivoirienne, des chants …Adjoua devient esclave sur une plantation située au Surinam, la Guyane hollandaise. Ses maîtres lui ont donné un nouveau nom Klara. Et puis elle rencontre Tiouka, un amérindien. C’est l’amour fou. De cet amour fusionnel naîtra Boni. Boni le chef rebelle, le guerrier. Celui qui, une fois s’être enfui dans la forêt deviendra le maître des armées dans la forêt hostile amazonienne. Le reste est une autre histoire.
Un chef guerrier véritable stratège
Boni a vraiment existé. Il s’appelait Boni Okilifuu. Il a été le chef des rebelles marron réfugiés dans la forêt amazonienne. Une communauté qui a refusé un traité de paix avec les puissances coloniales. Durant un siècle et demi, du Surinam au Maroni, les Boni ont réussi à rétablir ainsi un rapport d’égal à égal.Rien n’arrive par hasard. L’histoire, la grande et la petite permettent lors de leur restitution de comprendre que le hasard n’existe pas. Ces hommes et ces femmes déportés aux Etats-Unis, en Amérique du sud, dans la Caraîbe, quelques siècles après, composent le ciment de la race noire aujourd’hui .
Le livre de Serge Bilé "Boni aux origines du peuple"paru dans la collection Grands destins des éditions Rymanay en est une nouvelle illustration.
Serge Bilé , journaliste, auteur, écrivain habité par l'âme Boni
MCT : Vous avez écrit un certain nombre d’ouvrages qui permettent de mieux connaitre, voir démystifier la cause des noirs, pourquoi cette fois vous être attaché à raconter l’histoire de l’origine des Boni ?SB : Je ne peux répondre à cette question sans faire un retour en arrière. En 1993, je suis journaliste à RFO-Paris. On me propose de venir présenter le journal télévisé en Guyane. J’accepte et je débarque à Cayenne. A la rédaction un collègue me dit : « Comme tu es Africain, tu devrais aller sur le fleuve Maroni. Il y a des noirs marron là-bas, les Boni, qui vivent avec les mêmes traditions que chez vous. Ce sont des descendants d’esclaves du Dahomey ». Il ne m’en faut pas plus. Je saute dans un taxico jusqu’à Saint-Laurent-du-Maroni. Puis encore deux heures de pirogue jusqu’à Apatou. Et là, c’est le choc ! Ces gens, leurs gestes, leur façon d’être, leurs noms, leurs coutumes, c’est comme si je me retrouvais en Côte d’Ivoire ou au Ghana ! Je me rends chez le capitaine. Il me confie son plus grand regret : n’avoir jamais pu aller sur la terre de ses ancêtres qu’il méconnaît au point de me demander : « C’est comment en Afrique ? Est-ce qu’il y a la neige là-bas ? » Je rentre le lendemain à Cayenne avec une idée folle en tête : organiser le voyage du retour. La rédactrice en chef de RFO-Guyane Anastasie Bourquin appuie le projet et met une équipe télé sur le coup. Six mois plus tard, me voilà à Abidjan avec une dizaine de Boni, dont le boxeur Jacobin Yoma. Ça a été un voyage plein d’émotions pour eux et pour les Ivoiriens qui les ont accueillis avec tous les honneurs dus à ceux qui reviennent sur la terre de leurs aïeux. Aujourd’hui, 25 ans après ce voyage, je veux boucler la boucle avec ce livre.
MCT : -C’est sans doute un retour aux sources car vous êtes vous-même Ivoirien, est-ce pour cela que vous êtes si attaché à l’histoire esclavagiste de la Guyane ?
SB : Tout ce que je réalise aujourd’hui dans le domaine littéraire, je le dois aux Boni. Cette rencontre a été décisive pour moi. Je dois à mes séjours sur le Maroni une prise de conscience fondamentale qui a orienté toute la suite de ma vie : un combat est nécessaire, celui de la mémoire et de la réappropriation du passé. Mon court passage en Guyane m’a donc poussé à m’intéresser à l’histoire des peuples noirs pour révéler le destin de ces gens dont on ne parle jamais et permettre aux Africains de connaitre les hommes et les femmes de la diaspora. Et vice versa !
MCT : -Vous avez avec ce livre écrit un roman historique très documenté, comment avez-vous effectué vos recherches ?
SB : Chaque livre est une aventure parce que j’aborde des sujets inédits pour lesquels les documents sont rares. Ecrire un ouvrage sur le seul passager noir du Titanic ou sur le samouraï africain Yasuke, le premier étranger à intégrer l'élite guerrière nippone, c’est un réel défi. J’ai la chance d’avoir parmi mes lecteurs des passionnés qui m’apportent leurs concours pour retrouver des textes anciens ou les traduire. C’est le cas d’une Guadeloupéenne Nadia Obertan qui m’a aidé pour ce livre. Elle a vécu aux Pays-Bas, elle parle le néerlandais, elle a fait le lien avec les archives hollandaises et en particulier l'Université d'Utrecht qui détient des écrits précieux sur l’histoire de Boni et du Surinam. Quand j’étais en Guyane, j’ai également collecté auprès des Archives départementales un certain nombre d’éléments qui m’ont servi pour ce livre, 25 ans après. A tout cela s’ajoutent des recherches personnelles en Côte d’Ivoire, des entretiens menés là-bas et sur le Maroni, et l’apport enfin des travaux d’anthropologues français comme Jean Hurault, néerlandais comme Wim Hoogbergen et ivoiriens comme Harris Memel-Fotê.
MCT :-Vous avez vécu en Guyane, quelles sont les similitudes relevées entre descendants d’esclaves et les Ivoiriens ?
SB : Il me faut d’abord préciser que les Boni sont issus de plusieurs contrées africaines. Avant qu’ils ne fondent leurs cultures pour ne former qu’une seule, on trouvait parmi eux des Loango d’Angola, des Ewé du Togo, des Fon du Dahomey, des kikongo du Congo ou encore des Akan du Ghana et de la Côte d'Ivoire. Etant moi-même Akan, j’ai été particulièrement sensible aux pratiques culturelles que les Boni ont conservé spécifiquement de ce groupe ethnique. C’est d’ailleurs ce qui m’a frappé lors de mon premier séjour à Apatou en 1993. On m’a présenté une jeune fille qui s’appelait Affibah, comme la mienne. Affibah est un prénom Akan qu’on attribue à une enfant née le vendredi en Côte d’Ivoire comme en Guyane. Je me souviens que le capitaine d’Apatou m’avait égrené ce jour-là d’autres prénoms Akan qui existaient alors chez eux, comme Kouakou, Koffi ou Kodjo. Les Boni ont également hérité des Akan le tambour apinti qui permet d’appeler une personne, où qu’elle soit dans le village, ainsi que le héros de leurs contes qu’est l’araignée, réputée pour sa ruse et son intelligence. En Côte d’Ivoire, on l’appelle Ananzè et au Ghana Anansi comme en Guyane.
MCT :-Boni est pour moitié amérindien, c’est une réalité historique ?
SB : Je me suis référé aux travaux de l’anthropologue néerlandais Chris de Beet. Il nous apprend qu’en 1771 plusieurs nègres marron ont été capturés par les Hollandais qui les ont interrogés pour savoir qui était Boni et d’où il venait. Un des prisonniers a dit que le père de Boni était un Blanc et sa mère une Noire. Cette version a été popularisée par le capitaine écossais Jean-Gabriel Stedman qui faisait partie de l’expédition militaire envoyée au Surinam en 1773 pour mater les insurgés. Stedman a écrit que Boni était le fils de Van der Mey, le propriétaire de la plantation Barbakoeba, où sa mère avait été esclave. Mais l’anthropologue néerlandais Wim Hoogbergen a depuis contesté cette allégation. Par contre, un des nègres marron capturés par les Hollandais, a affirmé que Boni était un Kaboeger, c'est-à-dire le fils d’un Amérindien et d’une négresse. Une des femmes arrêtées a également indiqué que le père de Boni était amérindien. J’avais donc tous ces éléments en ma possession et comme dans un roman on peut prendre certaines libertés, j’ai choisi l’option amérindienne pour différentes raisons.
MCT : -En Côte d’Ivoire, évoque-t-on ces histoires liées à des descendants de famille royale Baoulé, déportés en Amérique du sud ?
SB : Non, c’est une histoire méconnue comme tout ce qui touche à l’esclavage. Hélas. C’est comme si les gens avaient honte ou peur de regarder le passé en face. En 1998, pour le Cent cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage, j’avais réussi à convaincre le ministre de la Culture de l’époque, Bernard Zadi Zaourou d’ériger une statue en hommage aux nègres marron. Mais deux ans plus tard, avec le changement de majorité, la statue a été déboulonnée et remplacée par une autre de l’apôtre Jean. Pour autant, les historiens sur place n’ont jamais cessé de chercher. Ils ont retrouvé au Brésil et au Mexique les traces d’hommes et de femmes qui avaient été déportés de la Côte d’Ivoire. Ils ont également établi que les Hollandais ont exporté de la côte ivoirienne 95.100 esclaves entre 1710 et 1795. Aujourd’hui, au niveau des pouvoirs publics, les mentalités sont en train de changer. En juillet 2017, dans le cadre de la Route des esclaves, une stèle a été inaugurée en présence de personnalités américaines et antillaises. Cette stèle se trouve à Kanga Nianzè. Ce village était l’ultime étape avant la vente et le départ forcé. Les marchands emmenaient jusqu’à la rivière Bodo les captifs, épuisés, sales et couverts de poussière. Les habitants de ce village les lavaient, habillaient, soignaient, nourrissaient et réconfortaient. L’an prochain, si tout se passe bien, je retournerai à Pâques en Côte d’Ivoire avec une délégation de Boni, dont le chanteur Rickman G-Crew qui donnera un concert à Aidjan. Le ministre de la Culture Maurice Bandaman m’a chargé de monter cette opération financée par le gouvernement ivoirien. C’est le signe que les choses bougent !
MCT : -Vous écrivez des ouvrages qui permettent de recontexter l’histoire de la diaspora dans l’histoire contemporaine, vous pensez être un écrivain engagé ?
SB : Je ne me considère pas comme un écrivain engagé mais plutôt comme un homme passionné. Je m’intéresse à l’histoire des Noirs parce que c’est mon histoire et que je la trouve fascinante, avec ses ombres et ses lumières. Je souhaite contribuer à donner des repères à nos jeunes dans un monde où leur monde est souvent occulté. Je souhaite apporter ma pierre à l’édifice en accord avec ce fameux proverbe africain qui dit : « Tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur ».