Brésil : Jaïr Bolsonaro, nomme un nouveau chef de la police, entre provocation et destitution…

De nombreuses voix réclament sa destitution, notamment pour sa gestion de l’épidémie de covid-19 et à cause d’ un scandale politico-judiciaire. Mais Jaïr Bolsonaro défie les institutions. Il vient de nommer un nouveau chef de la police et hausse le ton.
Jaïr Bolsonaro persiste et signe. Ce lundi, il vient de nommer Rolando Alexandre de Souza, à la tête de la police fédérale. C’est un proche d’Alexandre Ramagem, ami de la famille Bolsonaro, dont la nomination avait été annulée, la semaine dernière, par la Cour suprême.
La veille, devant ses partisans, le chef de l’Etat brésilien s’en était pris à cette même Cour suprême et au Congrès. Insistant sur l’indépendance des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Au nom de la défense de la démocratie et de « la liberté, de gouverner sans ingérence pour travailler pour l'avenir du Brésil », le président avait même durci le ton, faisant au passage, un appel du pied aux militaires :

« les gens sont avec nous, les forces armées qui sont en conformité avec la loi, l'ordre, la démocratie, la liberté sont aussi de notre côté. Allons de l'avant, je prie Dieu pour que nous n'ayons aucun problème cette semaine, car nous avons atteint la limite, il n'y aura plus de discussion à l'avenir, nous ne demanderons pas seulement, nous appliquerons la Constitution, elle sera respectée à tout prix. Demain, le nouveau directeur de la PF (Police fédérale) sera nommé, et le Brésil ira de l’avant.»

 

Crise politique et demandes de destitution


Le président semble donc aller vers l’épreuve de force avec la Cour suprême. L’annulation de la nomination d’Alexandre Ramagem faisait suite à la démission de Sergio Moro. L’ex ministre de la justice avait accusé le chef de l’Etat d’avoir limogé le précédent patron de la police fédérale afin de nommer un proche, pour s’immiscer dans des investigations sensibles. La Cour suprême a d’ailleurs ouvert une enquête, qui pourrait déboucher sur la destitution du chef de l’Etat.
Une destitution réclamée à cor et à cri par de nombreuses personnalités de tous bords et de tous les milieux. Une trentaine de demandes en ce sens ont été envoyées au président de la Chambre des députés.
D’autant qu’une autre enquête de la cour porte sur un rassemblement devant le quartier général des armées. Le président y a participé. Les manifestants réclamaient le retour à des dispositions en vigueur pendant la dictature militaire. Une initiative qualifiée de pré-coup d’Etat par des commentateurs.
Enfin des adversaires l’attaquent directement pour « crime de responsabilité », à cause de sa gestion de la pandémie. Ils réclament le transfert de certains pouvoirs au vice-président, le général Hamilton Mourão….


En cause : le « corona-scepticisme » de Jaïr Bolsonaro


Car ce qui ne passe vraiment pas est l’attitude « corona-sceptique » de Jaïr Bolsonaro. Le président qualifie l’épidémie de covid-19 de grippette, prend régulièrement des bains de foule sans protection, et critique les mesures de confinement, mises en place par les gouverneurs des Etats composant le Brésil. Une attitude qui a provoqué l’éviction du gouvernement, en avril dernier, de Luiz Mandetta. L’ex ministre fédéral de la santé, médecin, approuvait le confinement.
 

L’ »Axe de l’Autruche »


Obsédé par des arguments économiques, le chef de l’Etat souhaitait encore le 1er mai dernier que tout le monde reprenne le travail.
Pour Olivier Stuenkel, professeur de relations internationales, à la Fondation Getulio Vargas de Sao Paulo, cité par le Financial Times, Jaïr Bolsonaro se trouverait dans une sorte d’ « Axe de l’Autruche », avec ses homologues du Nicaragua, du Turkmenistan et du Belarus. Un cartel de dirigeants qui nie la gravité de la pandémie.


« Et alors » ?


Interrogé récemment par la presse sur le nombre croissant de morts dans le pays (les derniers chiffres officiels font état de 7085 morts pour 102 000 cas) , le président avait répondu :


«Et alors? Que voulez-vous que j’y fasse? … je ne fais pas de miracle ...»


Le lâchage de l’opinion…et des parlementaires


Jaïr Bolsonaro garde un noyau dur de partisans qui n’hésitent pas à s’en prendre aux journalistes ou aux personnels soignants critiquant leur héros.
Mais son attitude vis-à-vis du covid-19 est globalement désapprouvée, semble-t-il, par la population. Selon des sondages récents, une majorité relative de Brésiliens jugerait négativement sa gestion de l’épidémie. Une fraction équivalente de l’électorat souhaiterait sa démission. Cependant, le public reste plutôt défavorable, mais de peu, à la tenue d’une procédure de destitution.
Un lâchage progressif par l’opinion qui pourrait, avec la crise politique, et la gestion largement critiquée de la pandémie, favoriser les défections parlementaires à l’égard du président. Trouver une majorité des 2/3 à la chambre des députés, pour voter une destitution, ne serait plus impossible.
 

Et l’armée ?


Reste une inconnue : quelle serait l’attitude de l’armée en cas de destitution ? Difficile de répondre. Le président mise clairement sur l’appui de l’Etat-major. Mais les ministres militaires ont tout fait pour arranger les choses entre Jaïr Bolsonaro et leurs collègues qui ont quitté le gouvernement. Visiblement, ils ne partageaient pas l’intransigeance du président. En outre, le fait que le vice-président, éventuel remplaçant du chef de l’Etat destitué, soit un militaire, ne serait-il pas une garantie pour les généraux ?  Cela ne devrait-il pas finalement contribuer à inciter les troupes à rester dans leurs casernes ?...