A quelques minutes de la répétition générale, des jeunes femmes Teko et Arawak plaisantent, lovées dans les fauteuils moelleux de l’auditorium de l’Encre. Assises par terre, certaines enfilent les dernières perles sur des étoffes rouges roucou.
La veille, elles ont travaillé jusqu’à une heure du matin pour que leurs tenues traditionnelles soient parfaites avant la représentation. L’enjeu est de taille : elles vont bientôt monter sur scène pour faire rayonner les différentes cultures amérindiennes de Guyane.
Une genèse participative
Ce n’est pas seulement leurs voix que les comédiennes de cette performance vont porter vers le public. Ce sont les récits, les espoirs et les luttes de plus d’une centaine de femmes issues de tous les peuples amérindiens du territoire.
Une matière collectée lors de d’ateliers d’initiation à l’expression audiovisuelle et artistique. Pendant trois semaines, les femmes de Camopi, Sainte-Rose de Lima, Paddock-Paradis et Taluen ont pu bénéficier de ces savoirs-faire. Un outil d’émancipation pour la co-créatrice du projet, Marjorie Delle-Case.
Comme la plupart des belles histoires, tout commence par une rencontre. Un soir à Taluen, Marjorie Delle-Case discute avec Linia Opoya, la potière du village. Cette dernière est enthousiaste quand Marjorie Delle-Case lui raconte qu’elle est DJ de musique électronique. C’est devant cet intérêt que la productrice, auteure et DJ décide de créer un cycle d’ateliers pour apprendre aux femmes amérindiennes à se servir des outils audiovisuels.
Dans les différentes communautés où le projet est proposé, l’accueil est chaleureux. Les femmes présentes comprennent vite l’intérêt d’apprendre à maîtriser le son et l’image pour sauvegarder leurs cultures et les faire rayonner. À chaque session, tout commence par un repas où les participantes échangent autour de leurs attentes. Marjorie Delle-Case et les artistes qui l’accompagnent, dont la photographe Julie Boileau, proposent ensuite des activités adaptées : expression théâtrale, photo, vidéo, montage son…
En tout, c’est plus d’une centaine de femmes qui se prête à ce jeu créatif. Huit artistes amérindiennes sont ensuite accueillies pour une résidence de création, afin de transformer toutes ces productions en un spectacle complet.
Immédiatement, la complicité se crée entre ces représentantes de peuples différents, mais confrontées à des problématiques communes. Une magie de la sororité qui se retrouve sur scène...
Une performance aux multiples facettes
Face à une matière aussi protéiforme, le défi est ensuite de créer un spectacle cohérent, qui permette à chacune de s’exprimer et de porter la voix de ses sœurs. Sous la direction d’une metteure en scène, les huit artistes amérindiennes mêlent alors leurs différentes formes d’expression.
Pour Ti’Iwan Couchili et Mauricienne Fortino, ce sera le conte. Sylvana Opoya préfère jeu théâtral, qu’elle pratique depuis quelques années en parallèle de sa carrière dans l’enseignement. Sa tante, la dernière potière de Taluen, est aussi sur scène pour partager les secrets de son art. Elle raconte les gestes et la matière, pendant que des jeunes filles filment ses mains, la vidéo est projetée en direct derrières elles. Une rencontre entre technologie et tradition, comme pour remplir cet espace entre le passé et l’avenir, où nombre de jeunes amérindiens semblent avoir du mal à se situer.
Plusieurs thèmes reviennent comme un fil rouge à travers les performances. Au-delà de l’artisanat et des danses, les femmes évoquent aussi les difficultés de leur quotidien. La violence, commune aux femmes de toutes origines même si ses expressions varient, mais aussi la pollution au mercure qui ravage la santé de leurs communautés, ou encore la situation sociale des peuples autochtones en Guyane. Sans tabou, les artistes parlent des traditions associées aux règles et à la maternité dans leurs cultures respectives, une façon de transmettre aux jeunes filles présentes et de poser des bases de réflexion pour l’avenir.
Le premier chapitre d’une histoire à épisodes
Si la première représentation de Femmes Puissantes a lieu à l’Encre ce mercredi 3 novembre à 17h, ce n’est que le début du chemin pour les artistes du projet. Elles vont ensuite jouer le spectacle dans les lieux où ont eu lieu les ateliers, pour restituer le fruit de leurs travaux aux participantes.
La performance s’envolera ensuite pour l’hexagone. Elle sera montrée pour sensibiliser à l’existence de peuples autochtones français. Ti’Iwann Couchili insiste d’ailleurs sur le message qu’elle souhaite faire passer à travers sa participation : un plaidoyer pour le respect des droits fondamentaux des amérindiens d’Amazonie.
Enfin la troupe devrait faire un tour au Canada, où la lutte des peuples autochtones pour l’autonomie et la reconnaissance du génocide dont ils ont été victimes est plus avancé. Un moyen de créer des liens avec les voisins du Nord du continent et peut-être, dans l’avenir, des projets communs…
Pour l’heure, Ti’Iwann Couchili réalise un documentaire sur ce projet aussi atypique que puissant.