Quel est le mode opératoire mis en place dans votre commune pour assurer le maintien des services communaux et l’assistance à vos administrés ?
Patrick Lecante : Nous avons mis en place un PCA, plan de continuité d’activités avec les services communaux, avec comme leitmotiv essentiel, assurer la sécurité sanitaire des agents communaux. Nous sommes une petite collectivité par la taille démographique mais en superficie, nous sommes « une petite Martinique » avec près de 70 agents communaux.
Après échanges avec les agents, ils ont accepté de venir quelques jours dans la semaine pour faire tourner la machine administrative ou encore, sous la forme d’astreinte ou de permanence. Ce qui fait que très rapidement que ce soit pour l’état-civil, les services techniques ou encore l’urbanisme, les finances publiques, soit par accueil téléphonique, numérique ou parfois physique, nous avons réussi à assurer le service public pendant toute cette période.Il a donc fallu trouver un mode opératoire qui permettait de faire fonctionner les différents services soit en mode dégradé soit en mode partiel.
A l’heure où l’on parle de sortie de confinement, comment a été vécu le confinement de façon globale sur le territoire de Montsinéry-Tonnégrande ?
Patrick Lecante : De façon globale, je tiens à saluer vraiment le fait que l’ensemble de la population et surtout notre jeunesse ont respecté les consignes qui ont été données de façon ex abrupto. C’est-à-dire que du jour au lendemain, on a demandé à tout un ensemble de personnes qui avaient l’habitude d’avoir des liens sociaux très forts entre eux, il faut savoir que toute notre culture dite créole mais aussi toutes les autres cultures que nous connaissons sur le territoire, le parler, le toucher, le manger ensemble tout cela fait partie de nous-mêmes. Et
Moi je salue vraiment la population. Nous avons fait quelques contrôles inopinés, avec les forces de gendarmerie ou moi directement notamment dans les libres services ou la nuit avec la brigade de gendarmerie de Macouria qui intervient sur notre territoire, le confinement s’est bien passé.du jour au lendemain on dit à la population ben restez chez vous et ne bougez pas, c’est le confinement. Les gens ont donc appris un nouveau mot, y compris moi-même.
"Aller plus loin et aller au contact de ces populations"
Et la suite quelle forme va-t-elle prendre ?
Patrick Lecante : Aujourd’hui, nous devons organiser une nouvelle période qui consiste à sortir progressivement de cette période où les libertés de circuler étaient restreintes pour faire en sorte que nous apprenions à vivre ensemble y compris avec le Covid. C’est comme cela et c’est ce que nous sommes en train de préparer avec nos services. J’ai tenu à convoquer une réunion du CHSCT avec les agents communaux, pour un retour progressif à l’activité.
Pour nous il est hors de question de faire revenir une personne qui a une pathologie qui la contraindrait. On fera les choses calmement, sereinement pour faire en sorte que des fonctionnaires territoriaux qui ont touché leur salaire ces deux derniers mois, comme ils le savent très bien, ils ont leur mot à dire dans cette nouvelle période. Je tiens à remercier chaleureusement tous ceux qui ont été à mes côtés ces dernières semaines et notamment le CCAS qui a fait un travail formidable.Pour nous et j’insiste, il s’agira d’un retour progressif à l’activité et notamment pour « nos hommes en bleu », ceux du service technique. Ce sera un retour progressif de travail pour tous les agents mais ce sera bien sûr avec l’objectif d’assurer la sécurité sanitaire.
Quelles ont été les principales difficultés rencontrées dans la gestion des différentes situations ?
Patrick Lecante : Les difficultés, c’est finalement, comme tous les maires de chez nous, des DROM et de l’hexagone de voir la précarité de la population. Encore une fois, je parle de population créole et de toutes les autres.
En règle générale, nous cachons notre misère. Et bien chez nous, le confinement ou le Covid a mis en exergue une précarité voire une pauvreté. Montsinéry-Tonnégrande n’y a pas échappé.
Il a fallu très vite s’adapter à ces situations là en sachant que nous avons une liste de personnes âgées, de personnes en précarité que nous avons communiqué à la préfecture mais cela n’a pas été suffisant. Il a fallu aller plus loin et aller au contact de ces populations. Je m’y suis attaché avec mes adjoints, la municipalité s’est mise rapidement au travail pour être au plus près de nos plus humbles, nos plus âgés, les plus fragiles que l’on a rapproché avec les services sociaux.
"On observe des migrations de populations en intra Guyane"
Vous avez un exemple en tête ?
Patrick Lecante : …On a par exemple la semaine dernière le cas d’une dame isolée, en détresse psychologique qui s’est retrouvée coincée à cause de chute d’arbre et cette dame appelait au secours à Cayenne. Pourquoi Cayenne ? Parce qu’elle était suivie par un service spécialisé installé à Cayenne. Cayenne ne répondant pas, il reste le maire. Nous voilà à 18 heures, les ouvriers des services techniques et moi-même à couper ces arbres pour arriver à libérer cette dame qui était très embêtée parce qu’elle ne pouvait sortir et que l’infirmière ne pouvait pas accéder à son domicile.
La question du confinement c’est aussi celle de l’isolement. On a fait de notre mieux et en toute humilité, je dois dire que nous avons été aux côtés de notre population.
Est-ce que les services sociaux ont été beaucoup plus sollicités avec ce confinement?
Patrick Lecante : En faisant le point avec le CCAS, on s’est rendu compte que des personnes de l’Ouest guyanais, d’origine bushinengué seraient arrivées récemment sur notre territoire. On a des situations comme celles-là qui montrent que les populations vont, peut-être, là où l’herbe serait un peu plus verte. En tout cas, on observe des migrations de populations en intra Guyane de l’Est et de l’Ouest de la même façon que je puis affirmer que l’on assiste à une vague migratoire qui est assez puissante. A la faveur du confinement, les gens qui étaient là sur notre territoire et qui vivaient de petits subsides ou de jobs, avec le confinement ils ne peuvent plus travailler... et bien il faut s’occuper d’eux et c’est ce que nous avons fait avec la préfecture notamment avec les chèques services.
Pour aider et soulager, nous avons par exemple préparé des paniers solidaires avec le soutien de Ti Dégra et la CACL. Nos services ont dû très vite s’adapter à ces situations de détresse…Je confirme donc effectivement que le confinement a fait ressortir de nouvelles situations.
Avez-vous l’impression que la solidarité s’est exprimée ou révélée pendant cette période ?
Patrick Lecante : Complètement. Certes il y a des aspects négatifs. Je veux parler des violences intrafamiliales sur le territoire guyanais même si nous sommes épargnés à Montsinéry-Tonnégrande. Ce que je peux observer, c’est la solidarité familiale. Le fait que nos anciens, nos gangans soient restés à la maison, en respectant les gestes-barrières, ça a permis de faire en sorte que les petits-enfants se rapprochent de ces anciens. De la même façon, j’ai pu observer qu’entre voisins et voisines, les uns veillaient sur les autres et cela a permis aussi que le confinement soit respecté. De façon générale, l’intergénérationnel a bien fonctionné dans cette micro société de Montsinéry-Tonnégrande. Et on peut s’en féliciter que cela ait aussi bien fonctionné sur ce territoire aussi.
Les petits marchés : "maintenir du lien social dans les différents quartiers"
Avec vos collègues du conseil municipal, comment vous êtes-vous organisés pour la poursuite de la gestion des affaires ?
Patrick Lecante : C’était des visioconfs et des petites réunions à taille réduite. C’est souvent beaucoup d’échanges par téléphones et via WhatsApp. En fait c’est une équipe très dynamique qui est à mes côtés et qui a joué son rôle d’alerte à tous les instants face à des situations de précarité ou de difficultés. Je vais citer par exemple Mme Liliane Dauphin, adjointe au maire en charge des personnes âgés m’a très vite informé quand il y avait des cas en me demandant une intervention pour des cas précis. C’est tout ce travail d’inventaire qui a été fait sur l’ensemble du territoire avec le 1er adjoint aussi, Patrick Labeau et d’autres qui nous a permis de mailler ce territoire qui est grand comme « une petite Martinique ».
Et puis il y a eu aussi cette autre forme de solidarité entre producteurs et consommateurs ce qui a aussi facilité que la population supporte ce confinement…
Patrick Lecante : Il y a eu ces petits marchés en circuit court deux fois par semaine. Une belle action vraiment. Elle a nécessité une grosse organisation logistique pour permettre l’alimentation de la population en respectant les gestes barrières. Au-delà de ce facteur alimentation, cette opération a permis de maintenir du lien social dans les différents quartiers de la commune, ce qui est nouveau. Nous avons innové et construit un modèle économique adapté à notre territoire et ça a été du gagnant-gagnant pour tous.
"On distribuera gratuitement ces masques à l’ensemble de nos administrés"
La solidarité s’est exprimée autrement aussi si l’on en croit les échos du terrain…
Patrick Lecante : Oui effectivement nous avons eu d’autres actions de solidarité que nous avons souhaité mettre en exergue très tôt. Nous avons des couturières sur notre territoire notamment du côté du bourg de Tonnégrande et nous avons opté pour la fabrication de masques. Cela nous a très tôt permis d’octroyer des masques, dits artisanaux depuis 3 semaines, aux agents des services techniques puisqu’il n’y en avait pas de disponible dans les commerces. Sur cette base-là, on a souhaité aller plus loin puisque ces couturières étant identifiées par la chambre des métiers et de l’artisanat et j’ai conclu l’acquisition de 3.500 masques pour l’ensemble de la population.
Comment s’assurer que tout le monde soit servi ?
Patrick Lecante : On estime la population de la commune à environ 2.700 à 3.000 administrés avec une marge d’erreurs, on se dit que commander 3.500 permettra de répondre aux besoins de la commune. On les distribuera, je l’espère, dès cette semaine c’est en tous les cas ce que nous propose la chambre des métiers. On distribuera gratuitement ces masques à l’ensemble de nos administrés en tous cas toux ceux qui doivent en avoir. Nous n’avons pas attendu de mot d’ordre, nous avons agi en conscience pour protéger notre communauté en considérant qu’à côté du confinement du confinement qui se termine, à côté des gestes-barrières, il était naturel que des masques soient disponibles pour l’ensemble de la population…en attendant que les masques promis par les pouvoirs publics puissent arriver.
L’après 11 mai, qu’est-ce qui a guidé votre choix quant au report de la reprise de l’école chez vous ?
Patrick Lecante : Après consultation des parties prenantes de l’école, c’est-à-dire, les parents d’élèves qui dans une très large majorité m’ont indiqué M. le maire nous n’allons pas envoyer nos enfants l’école après le 11 mai. Considérant dans le même temps que même s’il n’y a pas de lien hiérarchique avec les équipes pédagogiques, ce sont des partenaires de la communauté éducative, les professeurs des écoles nous disent voir cela de façon difficile. Difficile sur nos deux groupes scolaires, l’un à Montsinéry, l’autre à Tonnégrande, nos agents communaux qui eux-mêmes avaient une très forte crainte d’être infectés. Et cela même en adoptant un principe avec des gestes-barrières, le port du masque et la mise en place de tous les protocoles avec lesquels il faudra s’habituer.
On a le ticket de cantine le moins cher de Guyane et on le sait, l’école c’est vraiment le socle de la société, l’école laïque et publique est obligatoire. Je me suis associé à la réflexion des collègues maires à l’association des maires de Guyane et j’ai apposé ma signature à ce mémorandum.On ne presse pas sur un bouton pour ce type de changement quand il faut agir et travailler différemment. Et puis sur notre territoire, 90% des enfants prennent le bus et ces mêmes 90% déjeunent à la cantine. Et pour certains enfants c’est leur unique repas complet du jour.
Acte stratégique, posture politique ou autre raison ?
Patrick Lecante :
Et j’ai envie de dire qu’en fils de médecin, je ne prendrai aucun risque sanitaire pour nos enfants. Ce n’est pas les 3 ou 4 semaines en faisant une semaine A ou B, 15 enfants par classe, la promiscuité inévitable en cour de récréation, inévitable à la cantine avec en plus le risque pénal pour les maires. Donc il n’y a pas de risque à prendre. Je me dis donc, organisons et préparons sereinement une rentrée scolaire qui pourrait avoir lieu en septembre, on envoie un message clair aux parents pour un retour à l’école dans de meilleures conditions.Il ne s’agit pas de posture politique ou idéologique contre l’Etat ou contre le recteur, mais on considère que ce n’est pas mûr pour le 11 mai.
"Construire ensemble, voire reconstruire une société qui fasse sens"
Tout à l’heure vous évoquiez l’importance du seul rendez-vous quotidien pour certains enfants à la cantine avec sans doute l’unique repas complet et équilibré…
Patrick Lecante : Vous faites bien de m’en parler. J’ai prévu d’avoir une séance de travail avec la Caisse des écoles puisque la problématique se pose. Déjà certains parents avaient payé les titres de restauration jusqu’à la fin de l’année… Quelle sera la décision qui sera prise ? Après por les familles qui sont en situation délicate, il faudra prendre des décisions. Et puis bien sûr, je reviens vers l’action sociale et nous verrons comment collectivement avec les services sociaux de la CTG et de la préfecture on aborde les prochaines semaines jusqu’à une rentrée scolaire.
Cela entraîne une autre façon d’administrer et de gérer ?
Patrick Lecante : Inévitablement, on doit réfléchir de façon macro-économique en mettant l’homme au centre de tout. Jusqu’à aujourd’hui ce qui était le repère, c’est vrai qu’il y a le PIB, la valeur ajoutée ou la création de richesses. Oui il faut ça. J’ai eu à discuter avec le nouveau directeur du zoo et je lui ai dit qu’on l’aiderait à relancer la structure. Il faut que l’activité socio-économique reprenne car on sait que la récession économique sera très dure y compris dans les territoires comme les nôtres. A côté de cela, en remettant l’homme au centre de tout et bien on se donne aussi du champ pour voir les choses autrement et replacer les choses essentielles. La vie n’a pas de prix. La lettre que j’adresse aux administrés, je la conclus que « Socrate disait existe-t-il pour l’homme un bien plus précieux que la santé ». Et ça c’est le sens même de ce que j’ai expliqué durant la campagne avec un programme et un objectif « de faire société ». Avec et malgré ce virus on sera tous ensemble pour construire ensemble, voire reconstruire une société qui fasse sens pour nous et pas simplement pour la finance.
Sur le volet humain justement, que fera le personnel qui est affecté habituellement dans les écoles avec cette rentrée qui n’aura pas lieu?
Patrick Lecante : On aura un CHSCT et on va convenir de tout cela. Il est certain et clair qu’en toute responsabilité parce que je suis responsable des deniers publics, nous devons assurer un service fait et tout le monde y prendra sa part. Bien sûr, on sait que la gestion d’une collectivité territoriale, ce n’est pas celle d’une entreprise privée. Mais malgré tout, je fais appel au bon sens et à la responsabilité des agents communaux. Ils l’ont toujours accepté et je peux vous assurer que j’ai été encore surpris par la mobilisation des agents durant le confinement. Certains viennent et ne demandent pas d’heure supplémentaire par exemple. Donc on apprendra à faire dans cette nouvelle période avec de la flexibilité mais aussi avec cette rigueur qui fait que notre fonction même, c’est pour ça que la collectivité publique a un sens, c’est servir le public.
Quel est votre message pour votre population?
Patrick Lecante : Continuons à construire ensemble Montsinéry-Tonnégrande, c’est un message clair de progrès.