Les concours de beauté demeurent très populaires et déchaînent les passions. Selon vous pourquoi ils perdurent au 21e ?
Les concours de beauté perdurent parce qu’ils promeuvent tous des identités collectives. Les enjeux culturels, sociaux, identitaires, économiques, politiques se traduisent, voire parfois sont exacerbés, dans le contexte de ces concours.
Ils fascinent parce qu’ils symbolisent nos luttes de classe, de genre, de race et des rapports de domination internationale. Les métiers, les phénotypes, appartenances culturelles s’y affrontent.
La beauté n’est que le vecteur de ces clivages. Il répond à deux objectifs. Tout d’abord, il vise à confirmer le rôle de représentation des femmes car le message envoyé inconsciemment est « même qualifiées, il est préférable qu’elles répondent aux canons de beauté si elles souhaitent réussir dans la société ».
L’autre objectif est de confirmer la place de son groupe social dans la compétition régionale, nationale et internationale. Sur ce point, il ne faut pas oublier que la société occidentale est capitaliste et valorise la compétition.
Ainsi, les candidates au titre de Miss France représentent au départ les régions, puis leur classe sociale et leur groupe ethnique. Pour s’en convaincre il suffit d’écouter les discours prononcés à l’issue de la première sélection : elles parlent toutes de leurs origines régionales et culturelles ainsi que de leur implication dans la défense des causes dites féminines « santé », « petite enfance », « violences faites aux femmes ». Finalement, elles deviennent des porte-paroles d’une valeur soutenue par l’idéologie du progrès : celle de la valorisation de la concurrence et de l’économie de marché.
La beauté féminine est « bankable », commercialisable et nous savons que toute une stratégie marketing suivra cette élection (produits de beauté, automobiles, etc.).
Ainsi, ces concours ont des vertus assignées ayant un objectif économique très précis. Leur valeur économique explique leur succès. De plus, le luxe qui entoure la cérémonie participe à la féerie, entretien le stéréotype du conte de fée. Dès lors, des femmes peuvent même se sentir coupables de ne pas avoir rêvé un jour de devenir Miss !
L’élection de la nouvelle Miss France, Miss Martinique âgée de 34 ans, aux cheveux courts, de 16 ans l’aînée de la plus jeune des candidates suscite moult commentaires. Sa prestation, celle d’une femme éloquente et mature aurait, semble-t-il, fait la différence plus que sa beauté. Cela est-il le signe d’une évolution de ce concours de beauté ?
Être plus âgée ne résout pas l’injonction qui est faite aux femmes de rester minces, jeunes et désirables. Régulièrement, les photos des personnalités féminines sont scrutées. On compte leurs rides, on observe leur prise de poids, on considère qu’elles doivent se faire discrètes sur leur sexualité après 50 ans ou encore on les félicite d’être encore « acceptables » pour leur âge et on leur demande de partager leur secret de beauté ! Il n’existe aucune équivalence de traitement avec la gent masculine. Les hommes peuvent vieillir, perdre leurs cheveux, grossir sans qu’aucune critique ne soit émise. C’est le privilège masculin entretenu dans le cadre hégémonique de la société patriarcale.
Ainsi, flatter l’âge de la nouvelle Miss France s’inscrit parfaitement dans la lignée de louanges stéréotypées : « elle a 34 ans, regardez comme elle est belle ! ». Dès lors, toutes les femmes qui ne correspondront pas à ces attentes seront accusées de ne pas faire d’effort pour rester belle à leur âge !
Rester belle, mince et jeune, investir du temps pour son corps se fait au détriment d’autres activités : moins de lectures, d’études, d’engagement politique, par exemple, autant d’activités qui pourraient donner accès à d’autres milieux, et favoriser des montées en compétences.
Bien sûr, la beauté, peut ouvrir des opportunités, favoriser des carrières, mais elles sont éphémères (puisque la jeunesse l’est !) et n’offrent pas les mêmes chances qu’une carrière fondée sur des critères pérennes (compétences techniques). Il est primordial pour ces lauréates de faire l’acquisition de savoirs en management, création d’entreprise, leadership, ou de poursuivre de formation si elles échappent aux pièges du stéréotype de la femme belle, « mais incompétente ».
Les réseaux sociaux ont joué un grand rôle dans cette élection. Sont-ils devenus absolument incontournables ?
Les réseaux sont capables du pire comme du meilleur. Aujourd’hui, le rapport annuel du Haut Conseil à l’Egalité met en évidence le retour de ces injonctions conservatrices sur les réseaux sociaux. Notamment à travers le succès des tendances #tradwife (contraction de l'anglais « traditional » et « wife ») et #stayathomegirlfriend : pouvant se traduire par « épouse traditionnelle », ou petite copine qui, en bonne femme d’intérieur, reste à la maison pour s’occuper du ménage. Cette « tendance émergente » valorise un mode de vie de femme mariée, « soumise » aux désirs et à la carrière de son mari, sans emploi et entièrement dédiée à son foyer. À ce titre, plus de la moitié de la population trouve encore normal ou positif qu’une femme cuisine tous les jours pour toute la famille.
Dès lors, aux Pays-Bas après 35 ans d'existence, le concours de beauté s'arrête pour devenir une nouvelle plateforme consacrée à la santé mentale et au partage d'histoires positives. De même, certains pays alertent sur les dangers de l’utilisation des filtres de beauté disponibles sur les applications.
Les réseaux doivent poursuivre leurs efforts de régulation, mais avec l’intelligence artificielle nous restons enfermés dans nos bulles car seules les informations qui collent avec nos intérêts nous sont proposées dès que l’on clique sur une page. Ce monde clivé, par âge, par sexe, par ethnie, par idéologie politique nous conduit à une vision binaire « pour / contre ». Or, le monde et les idées sont très nuancés. Apprenons à toujours confronter les versions, à vérifier nos informations et à nuancer nos propos.
Qui est la plus belle ? Telle est la question ?
Et bien, au lieu de s’agresser sur les réseaux à coups de théories complotistes, nous pourrions répondre : « chacun ses goûts ! ».