Le drame de Dorlin devant les assises en Martinique : les enjeux du procès

Manoel Moura Ferreira, alias «Manoelzihno» lors de son arrestation à Macapa
Le procès de l’affaire des deux militaires tués en 2012 à Dorlin commence ce vendredi à Fort de France. Quatre ressortissants brésiliens sont cités à comparaître, dont deux seulement sur le banc des accusés. Le verdict est attendu le 18 ou 19 octobre.
Les enjeux de ce procès sont multiples. Il y a d’abord le plus évident : la recherche de la vérité et le besoin de justice pour les familles des deux militaires tués, mais aussi pour les autres gendarmes, militaires et civils, blessés ou pris pour cible par la bande présumée de Manoel Moura Ferreira, alias "Manoelzinho". 28 parties civiles au total, concernées par des faits qui se sont produits de mai à juillet 2012 à Maripasoula, puis sur l’Approuague et la RN2 durant la folle cavale du « petit Manoel » et de ses complices présumés. Qui a tiré durant l’embuscade ? Comment fonctionnait cette bande et qui a fait quoi durant ces jours sanglants ? Ces questions seront posées par la cour aux deux seuls accusés présents, en l’absence du principal intéressé, en prison au Brésil. Manoelzinho a d’abord reconnu une partie des faits peu après son arrestation à Macapa, avant de nier par la suite. Ces éléments de procédure seront rendus publics pour la première fois à Fort de France.

« Souveraineté en pointillés »

Au-delà de ces enjeux judiciaires, cette audience est aussi le récit d’une page d’histoire sombre de la Guyane, celle de ces zones d’orpaillage clandestin qui ont longtemps échappé au contrôle de l’Etat et des pouvoirs publics locaux, avec à la clé un pillage en règle des richesses du sous-sol. A Dorlin, cette « souveraineté en pointillés » - qui dure le temps d’un court séjour des gendarmes et militaires - a duré 20 ans ou presque, la zone étant réinvestie définitivement suite à ce drame, en juillet 2012. Cette page sombre n’est pas encore tournée, en témoigne la polémique récente sur le nombre de chantiers aurifères illégaux dans l’intérieur.
L’autre enjeu de cette audience, c’est un début de mise à nu de réseaux internationaux, qui, du Brésil au Surinam ont permis à des bandes de faire entrer des armes de guerre en Guyane, et permettent encore à des trafiquants de se ravitailler tranquillement à l’abri de frontières bien pratiques.

Un territoire mal maîtrisé

Enfin, le dernier enjeu, c’est que toute la Guyane, y compris celle du littoral, s’approprie cette page douloureuse de son histoire. Car si elle concerne surtout des ressortissants brésiliens et des militaires métropolitains, cet épisode est aussi et avant tout une histoire guyanaise… celle d’un territoire encore mal maîtrisé pour de nombreuses raisons,  qui remontent à la colonisation pour aller jusqu’à la période contemporaine. Cela renvoie notamment aux politiques d’aménagement mais aussi à une conscience territoriale globale encore embryonnaire parmi la population guyanaise (on pense à la persistance de la différence littoral / intérieur) : on peut sur ce point regretter qu’une telle audience se déroule à Fort de France, à 1400 kilomètres de la Guyane (1).
 
(1) L’affaire a été confiée à la JIRS, la Juridiction Interrégionale Spécialisée de Fort de France, qui se voit confiée les affaires complexes dans la zone Antilles-Guyane. D’où la tenue de l’audience devant les assises de la Martinique.