Le désarroi des agriculteurs de la vallée de l’Oyapock face à la maladie qui décime leurs abattis de manioc

Echantillons de plants de manioc
Depuis plus d’un an, les plantations de manioc dans les villages de Saint-Georges de l’Oyapock sont décimées par une maladie qui n’a pas encore été formellement identifiée. Les agriculteurs sont inquiets de cette situation qui les pénalise fortement, le manioc étant à la fois la base de leur alimentation et une source de revenus. Ce problème de maladie est maintenant identifié sur toute la Guyane.

Depuis des mois, une maladie attaque les cultures de manioc et préoccupe les agriculteurs guyanais. Cette pandémie a conduit à la perte d’une grande partie des récoltes provoquant une flambée des prix du précieux tubercule et de ses dérivés (couac, galette de cassaves entre autres produits).

Le lundi 2 octobre s’est tenue à Macapa, capitale de l’Amapa, une réunion transfrontalière sur cette maladie du manioc qui touche aussi l’état de l’Amapa et plus particulièrement les productions des villages indigènes d’Oiapoque et la Guyane entière.

À Saint-Georges, l’association autochtone Panakuh travaille à la valorisation et à la transmission du patrimoine culturel de la communauté palikur qui cultive le manioc selon les pratiques agricoles traditionnelles. Le coordinateur de cette association, Jacob Lutte se fait le porte-voix de la communauté autochtone oyapockoise.

Jacob Jutte, coordinateur de l'association Panakuh

« Nous sommes en lien avec toutes autres communautés autochtones et les populations bushinengue de l’ouest. Cette maladie qui touche le manioc s’est vraiment généralisée en Guyane. Aussi bien les membres de l’association que d’autres cultivateurs sont désorientés, ils expérimentent, cherchent des remèdes. La Fredon, récemment, nous a contactés. Ils sont venus sur place et ont effectué un travail d’information, de préconisation et de consignes particulières. J’ai dressé un constat, chez ceux qui cultivent en collectif côte à côte (en famille ou sur des parcelles collectives), le phénomène d’infestation est très généralisé. Pour ceux qui cultivent de manière individualisée et sur de petites surfaces, certains s’en sortent mieux. Nous sommes basés au village Espérance à Saint-Georges, chaque famille possède son abattis, fait sa culture de manioc puisque cela est l’alimentation de base. »

Pas de recensement exhaustif des plantations et des pertes mais tous les agriculteurs sont impactés

Jacob Jutte considère que la rencontre avec les voisins de l’Amapa est une bonne chose. Elle constitue une première prise de contact. Toutefois, l’association était déjà en lien avec les brésiliens et, de surcroît, fait partie d’un groupe de travail dans le cadre du conseil du fleuve. Il y a même eu, un échange, il y a quelques mois avec le village autochtone, Manga, au Brésil. Cette collaboration frontalière est essentielle pour pouvoir résoudre cette crise car la maladie ne connaît pas de frontière et elle s’est intensifiée et généralisée depuis un an.

Le représentant de Panakhu précise :

« Pour l’instant, il n’y a aucune aide particulière à part l’action de la Fredon. Contrairement à ce qui se passe en Amapa où l’état d’urgence phyto sanitaire a été décrété, où il y a des distributions de kits alimentaires, où se mettent en place des programmes de préconisation et où, ils ont identifié la cause. Notre crainte c’est qu’ils aient développé un programme de manioc OGM. Du côté guyanais, il serait question de mener un projet de manioc in vitro. Nous avons tout de suite averti que pour l’application d’un tel programme, il faudrait une concertation préalable des producteurs de manioc sinon cela serait voué à l’échec. Chaque famille cultive ses maniocs avec lesquels il y a un lien culturel très fort, on ne peut pas venir et imposer un tel programme. »

Et d’ajouter :

« Nous voudrions un peu plus d’implication de la chambre d’agriculture, plus d’accompagnement à minima avec des techniciens agricoles. Comme c’est la base alimentaire des autochtones, ils cultivent quelques bananiers mais cela reste minime, car pour eux il n’y a rien qui peut remplacer le manioc. Les gens veulent manger du couac, c’est l’alimentation de base. Les prix commencent à flamber au niveau des produits à base de manioc. »

La communauté palikur est répartie principalement aux villages d’Espérance 1 et 2, à Trois Palétuviers, le village Blandin à Saint-Georges. Ces Amérindiens sont aussi implantés au village de Régina, les villages Norino et Kamuyéné de Macouria. Cela représente, selon Jacob Jutte, 2000 à 3000 personnes y compris les palikurs implantés sur la rive brésilienne.

Champ de manioc à Saint-Georges

Établir un diagnostic précis de la maladie passe par un processus qui est long

La Fredon est l’organisme dédié à la santé du végétal qui accompagne techniquement les agriculteurs. Sa directrice, Laura Demade-Pellorce, apporte quelques précisions sur l'action globale qui est menée concernant cette maladie du manioc :

« Il y a une phase de diagnostic qui est lancée et prendra encore du temps pour déterminer précisément les causes des dégâts constatées. On sait déjà qu’il y a trois champignons présents dans les résultats obtenus. On soupçonne aussi l’intervention d’un phytoplasme qui est un type de bactérie. Les analyses complémentaires doivent déterminer comment tous ces êtres vivants interagissent et dans quelle mesure, ils sont en cause dans les symptômes. Il y a aussi la dimension physiologique à savoir : quel est le rôle du climat dans les dégâts constatés depuis plusieurs mois. Donc le travail de diagnostic continue. Nous avons progressé sur l’étendue des zones touchées, l’alerte était sur le Maroni principalement. Depuis nous avons eu connaissance de ce qui se passait à Saint-Georges et de manière moins forte à Iracoubo et Cacao. »

En termes d’accompagnement, précise, Laura Demade-Pellorce, il y a eu un travail de sensibilisation pour adopter les bons gestes avec une divulgation large d’une fiche alerte qui explique les bonnes pratiques pour éviter de souiller les nouveaux abattis et cela est le plus important.
Il existe deux groupes de travail, un en Guyane qui regroupe plusieurs acteurs : la CTG, la CCOG, la DAF, la DAAC, association très active à Iracoubo, la Chambre d’Agriculture, le Parc Amazonien et la Fredon. Les échanges sont centrés autour du diagnostic et de la recherche de solutions pour créer du matériel sain afin que les cultivateurs aient des plants non malades.
L’autre groupe travail est un groupe transfrontalier qui permet de croiser les informations techniques (diagnostic, phytopathologie) et d’échanger sur ce qui pourrait être mis en place pour la suite. Le Brésil a fait des essais de replantation pas encore fructueux mais les uns et autres bénéficient des avancées et cela permet de gagner du temps.

Apporter un soutien technique est un des aspects de la problématique du manioc. Mais en attendant de reconstituer une production du manioc, grâce à du matériel végétal sain, comment aider les populations amérindiennes qui, non seulement, n’ont plus ou peu leur aliment de base mais, de fait, ont perdu, aussi, une ressource économique ?

C’est un travail sur le long terme qui s’effectue pour assainir la culture du manioc en Guyane. Mais se pose, une nouvelle fois, la question de l’organisation pérenne d’une filière de production de cette plante endémique, aliment de base de plusieurs communautés en Guyane.