Hommage à Dominique Bernard dans les établissements scolaires : un temps de recueillement essentiel mais insuffisant selon certains professeurs de Guyane

Journée hommage le 16 octobre pour le prof Dominique Bernard
Ce lundi 16 octobre à 10 h dans tous les établissements scolaires de France sera rendu un hommage au professeur Dominique Bernard, mort dans attentat terroriste commis dans son lycée à Arras vendredi 13 octobre. En Guyane, il sera également observé la minute de silence mais, selon les témoignages de quelques professeurs, cela pourrait ne pas avoir la portée symbolique attendue.

L’assassinat à arme blanche par un islamiste radicalisé du professeur de français de 57 ans, Dominique Bernard à Arras le 13 octobre a profondément choqué la société française et plus particulièrement la communauté éducative. Quatre professeurs qui exercent à Matoury et dans l'ouest s’expriment sur l’hommage qui sera rendu à leur défunt collègue ce 16 octobre.

Taïra est professeure d’arts plastiques dans un collège, cette minute de silence lui paraît hautement symbolique et essentielle car c’est le deuxième meurtre en 3 ans d’intervalle après celui de Samuel Paty. Mais elle évoque, également, autour de ce dramatique événement, toute la déconsidération dont est l’objet la profession d’enseignant :

« Pour moi cet hommage est essentiel, car c’est choquant. Pour la majorité d’entre nous, nous avons la vocation. Nous faisons un métier utile qui apporte aux élèves. Nous devons apprendre à nos élèves à s’interroger, à se poser des questions, à analyser. Une tâche difficile à l’heure de l’intelligence artificielle et de la propagande sur les réseaux sociaux… Notre parole est parfois dérangeante car elle ne va pas dans le sens d’un certain prosélytisme. On constate aussi que le métier d’enseignant est désormais mal vu, nous sommes souvent considérés comme des gardiens d’enfants, des nounous à qui on ne donne pas toujours les moyens de bien travailler. Néanmoins dans mon collège, la violence est encore contenue, les incidents ne sont pas fréquents.»

Une réponse institutionnelle jugée insuffisante

Selon Sabine, professeur de lettres classiques au collège, si la minute de silence est nécessaire, elle s'avère clairement insuffisante :

« Abasourdie, sous le choc devant un tel acte effroyable, solidaire avec les collègues et élèves du lycée d’Arras. Et bien sûr, mes pensées et mes sincères condoléances pour la famille et les proches de notre collègue de lettres. Sans oublier les autres victimes de ce geste barbare. Une tragédie qui fait écho à l’assassinat de Samuel Paty, qui rappelle donc de douloureux souvenirs à toute la communauté éducative. La mise en place de cellules d’écoute, un temps banalisé de 8h à 10h (auquel n’ont pas droit nos collègues du 1er degré), une minute de silence à 14h. Voilà la réponse institutionnelle. Oui c’est un minimum. Est-ce suffisant ? Je ne crois pas. Même si je peux comprendre le souhait des collègues d’Arras de rouvrir leur établissement au plus vite, de reprendre les cours, pour rester debout, je m’interroge. Quels changements attendre après ce drame ? Comment agir, réagir pour empêcher que cela ne se reproduise ? 3 ans après ce qui est arrivé à Samuel Paty, un extrémiste commet encore l’irréparable… Il est inacceptable de périr dans de telles circonstances, sur son lieu de travail, qui plus est dans un établissement accueillant des adolescents. Pour moi, il sera difficile de reprendre les cours demain, de reprendre le cours de ma vie d’enseignante, presque « comme si de rien n’était » sans une pensée émue pour ce collègue et ses proches, sans la crainte que cela se reproduise, quelque part… » 

Pour cet autre professeur de l'ouest guyanais, la mesure lui paraît précipitée et inadaptée dans le contexte guyanais :

« Pour moi, en grande partie, le problème réside dans l’hyper médiatisation de la violence. On ne voit que cela… À l’ouest de la Guyane, les jeunes sont confrontés régulièrement à la violence dans leur environnement proche. Par ailleurs, je ne suis pas certain que nos élèves se sentiront concernés ce lundi. Déjà ce mail nous est parvenu tardivement, les enfants seront là dès 8h, il sera donc difficile de se réunir entre professeurs avant 10h. Selon moi, s’il y a un message cohérent à diffuser, une formulation à respecter, il vaudrait mieux que cela soit fait par des psychologues. En réalité, je préférerais avoir à lire un texte général écrit par le ministère. »

Sabine, professeure d'anglais, choquée et meurtrie par cette mort, ne croit pas à l’efficacité de cet hommage auprès des élèves :

« … Un jour, cela sera peut-être nous, se dit-on égoïstement. J’arrive de l’hexagone où j’étais dans un établissement à 95% pratiquant musulman et leurs réactions après l’assassinat de Samuel Paty m’ont effarée. Beaucoup d’élèves disaient que ce meurtre était exagéré mais que ce professeur avait quand même profané l’image du prophète. En fait, cela devenait la norme pour les enseignants de se faire assassiner. La mort de Samuel Paty a vraiment fait tomber une barrière vers la radicalisation. C’est effarant, car depuis 3 ans, rien n’a changé dans les établissements scolaires. Aucun protocole n’a été mis en place. Dominique Bernard a été assassiné dans son établissement ! Je suis sous le choc, profondément triste, je deviens de plus en plus méfiante et finalement, je m’autocensure dans la classe pour éviter les dérapages. Je ne pense pas que les élèves aient une sensibilité particulière par rapport à ce qu’il se passe en France. D’ailleurs, cet hommage, comme il est prévu, je n’y crois pas. Il vaudrait mieux que les élèves s’expriment. Cela permettrait de revenir sur les principes de l’enseignement et serait plus constructif pour les enfants. Cela est important pour nous en tant qu’adultes mais sous cette forme, pas pour les élèves.»

Jasmine, 13 ans, en classe de 4ème apporte sa conclusion en soulignant l’injustice de ce drame :

«Je pense que c’est important de rendre hommage aux enseignants, surtout, qu’ils sont là pour nous faire évoluer, nous permettre de connaître plein de métiers. C’est vraiment dommage qu’il y ait des personnes qui les tuent. Et cela, parce que les professeurs nous parlent de l’histoire des religions et que cela ne plaît pas aux terroristes qui défendent leur cause en tuant des gens. C’est important cette minute de silence pour que, nous, les élèves, nous ayons conscience de ce qui se passe et que l’on puisse avoir notre propre avis sur les faits. J’ai conscience que c’est injuste pour les professeurs dont le métier est d’enseigner. Cela me toucherait que ma prof de français ou d’histoire-géo se fasse attaquer comme cela. C’est vraiment injuste, ce sont des papas, des mamans, des sœurs, des enfants, des tontons, des personnes normales qui apprennent aux autres ce qu’il faut apprendre. Ce n’est pas bien vraiment ! »