Illettrisme en Guyane : comment des jeunes parviennent à s’en sortir ?

Quelques stagiaires qui participent à une formation de valorisation des compétences
Des pourcentages liés aux difficultés des apprentissages de base comme lire et écrire sont beaucoup plus importants en Guyane qu’ailleurs. Cela touche tous les publics et particulièrement le public allophone où 7 adultes sur 10 se trouvent en difficulté forte à l’écrit car ils n’ont pas le français comme langue maternelle. Les trois quarts d’entre eux, limités pour écrire et calculer, se retrouvent sans emploi. Un constat alarmant. Il existe plusieurs dispositifs pour lutter contre l’illettrisme, certains centres dispensent des formations de « Valorisation des compétences ». Nous avons rencontré quelques-uns de ces stagiaires.

Au centre OKA Formation à Rémire-Montjoly, de jeunes adultes tentent de se donner les moyens d’améliorer leurs connaissances tant à l’écrit qu’à l’oral. Le but est d’acquérir davantage de moyens et de compétences afin de postuler pour un emploi ou encore de poursuivre une formation spécifique pour exercer le métier qui les intéresse. Ces stagiaires sont en général suivis par la « Mission locale ».

Les stagiaires partagent un repas de cohésion au début de leur formation

Ils sont sept cet après-midi de novembre dans la salle. Deux filles, cinq garçons, il y a des absents. Au tableau un schéma pour expliquer les procédures à suivre pour se repérer dans le dédale administratif. Ces jeunes adultes apprenants font ce stage de 3 mois pour une « Valorisation de leurs compétences ». Ils ont des difficultés pour écrire où comprendre ce qu’ils lisent.


Pourtant, ces stagiaires ont tous suivi une scolarité et l’un d’entre eux a obtenu son bac professionnel. Les facteurs qui conduisent ces jeunes à l’illettrisme sont multiples explique la formatrice : « Ils sont tous des projets mais ils ne savent pas forcément comment faire. La formation doit les aider à reconstruire l’idée qu’ils ont du travail pour acquérir de la confiance et découvrir des choses. Aujourd’hui, par exemple, nous étudions les différents types de contrats de travail. »

Un illettrisme contourné avec l’utilisation de Google ou l’IA jusqu’à un certain point

Rosana Azur est formatrice pour adulte depuis 8 ans, elle connaît bien les publics qu’elle accompagne : « J. a des difficultés à l’écrit car le français n’est pas sa langue maternelle, il a cependant obtenu son bac. Il vient du fleuve. Il a plein de compétences, se montre très pro actif sur les réseaux sociaux et pour accompagner ses camarades. Ce que je constate c’est que maintenant dans le circuit scolaire, il n’y a pas assez d’exigence sur la maîtrise de l’écrit. Les élèves obtiennent ce qu’ils veulent en interrogeant Google à l’oral. De plus, la plupart d’entre eux savent utiliser les IA (intelligence artificielle) qu’il est possible de renseigner oralement. Cela leur donne les informations écrites dont ils ont besoin. Ils ont ces automatismes. Cependant à un moment donné cela devient un frein, ils s’en rendent compte quand ils doivent passer des tests de prérequis pour accéder à des formations. Il faut savoir lire, écrire et comprendre. Ils arrivent chez nous parce qu’ils n’ont pas cette maîtrise. Ils auront des examens où ils seront jugés à l’écrit. Pour surmonter l’écueil, ils doivent suivre ces formations pour adultes. »

Une standardisation du système scolaire qui ne peut conduire à l’échec

M. 22 ans a choisi cette formation pour s’améliorer en français à l’écrit comme à l’oral. Il était au lycée de Balata où il a appris à faire des charpentes. Rosana Azur souligne que M. a été au lycée jusqu’au bac mais sa dyslexie n’a jamais été détectée tout comme sa dysorthographie. « Il ne fait pas exprès souligne-t-elle,  il a une difficulté cognitive. Nous sommes en formation depuis septembre quand je l’envoie au tableau pour des activités, je vois qu’il confond les lettres. Lors d’un entretien individuel, je me suis rendu compte de cela. Le système scolaire est lacunaire. »
S’il n’y a pas de suivi des enfants, qui pour certains évoluent dans un environnement familial difficile et illettré, avec la surcharge des classes, nombre d’entre eux terminent leur scolarité en situation d’échec.

« Ils ont un potentiel, une motivation tout en ayant un côté réfractaire car ils savent qu’ils rencontrent des difficultés à s’exprimer. Ils ont peur des critiques, des moqueries et préfèrent rester en retrait et ne rien dire, ne pas s’exprimer. Beaucoup me réclament plus d’activités complémentaires à faire chez eux pour mieux se préparer au métier qu’ils ont choisi et arriver à s’orienter. Ceux qui sont plus à l’aise avec le numérique je leur envoie des liens et ceux qui le sont à l’écrit, je leur fournis des activités sur papier. » précise Rosana Azur.


De plus, certains de ces stagiaires se trouvent dans des positions très délicates avec des problématiques familiales, de transport, d’alimentation et ils attendent beaucoup de la formation. Ces stages sont tout simplement pour nombre d’entre eux, l’occasion d’être rémunérés et ainsi vivre en attendant de se trouver un travail.

Parvenir à se réorienter

L, âgée de 22 ans habite Cogneau à Matoury. Arrivée d’Haïti à l’âge de 17 ans, elle a suivi une scolarité de la seconde en terminale, option bac pro accueil au lycée Anne-Marie Javouhey de Cayenne sans obtenir le diplôme. Aujourd'hui, cette formation s’avère essentielle pour elle, pour affiner son orientation professionnelle et faire le bon choix. Elle ne souhaite pas être agent d’accueil car elle ne se sent pas capable d’être en contact permanent avec le public. Elle aurait préféré se diriger vers la filière coiffure mais là encore, le cursus d’apprentissage ne semble pas adapté à son profil :

« J’ai du mal à m’exprimer, à faire les phrases, j’ai peur de dire des bêtises. J’arrive à utiliser l’ordinateur. Je suis ce stage depuis un mois et je progresse. J’ai appris à utiliser internet, à envoyer des mails, lire les publications sur les métiers… »

La jeune femme a perçu 380 euros de subsides de la Mission locale mais il lui faut jongler financièrement pour se déplacer, se nourrir et chercher à se loger. Elle devra prochainement quitter le domicile de sa grand-mère.
En attendant, elle s’accroche pour finaliser son projet de devenir auxiliaire de vie. Pour cela, cette remise à niveau en français pour lire et parler correctement est essentielle afin de continuer à se former et devenir assistante de vie.

T, jeune homme de 21 ans a été orienté vers ce stage grâce à sa conseillère de la Mission locale. « Ce qui m’intéresse particulièrement ce sont les cours de remise à niveau en français et la lecture afin de me permettre de me lancer dans ce que je veux faire : devenir DJ ou encore faire une autre formation. Je veux être capable de m’exprimer devant les gens. »
En effet durant cette formation, les stagiaires doivent petit à petit découvrir ce qui leur convient réellement professionnellement pour pouvoir, éventuellement, se diriger vers la formation nécessaire à la poursuite de leur parcours.

Selon une récente enquête de l’INSEE publiée ce 7 novembre, 41%  des 18/64 ans en Guyane sont en difficulté dans au moins un des trois domaines fondamentaux : la lecture 26 %, l’écriture 39% et la compréhension 40%.

Malgré les nombreux dispositifs mis en place pour lutter contre l’illettrisme, il reste encore beaucoup à faire sur un territoire où les moyens de formation ont, certes,été augmentés mais demeurent toujours insuffisants face à une population qui ne cesse d’augmenter.

La publication de l’INSEE est à retrouver ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8275440