Qu'il est frustrant de se savoir si proche d'un trésor sans avoir le droit d'en profiter. C'est le sentiment que partage unanimement la classe politique guyanaise, et plus généralement la population de ce territoire français d'Amazonie. Comme d'autres collectivités d'Outre-mer, la Guyane accuse un retard de développement conséquent. La population en subit les frais. Près de 30 % des Guyanais vivent en situation de grande pauvreté. 18 % sont au chômage. Les disparités sociales et économiques vis-à-vis de l'Hexagone se creusent alors que le nombre d'habitants explose.
"On nous fait toujours comprendre qu'on coûte cher à l'État, désespère Davy Rimane, député Gauche démocrate et républicaine (GDR) depuis 2022 de ce territoire aussi vaste que le Portugal. On ne peut pas continuer comme ça."
Alors, pour sortir de cette détresse, les Guyanais aimeraient pouvoir aller à la chasse aux trésors. Car leur territoire regorge de ressources. De l'or, du bois, du fer... mais aussi, et surtout, du pétrole. Or, en France, depuis 2018, il est interdit de lancer de nouveaux projets de recherche d'hydrocarbures.
Une ruée vers l'or noir
Ce qui est exaspérant pour les Guyanais. Car, autour, les pays voisins sont entrés dans l'âge d'or du pétrole. Depuis quelques années, les grandes compagnies pétrolières ont découvert de nouveaux gisements près des côtes nord-est du sous-continent américain. Le Guyana, que certains appellent désormais le petit Qatar, exporte des centaines de milliers de barils par jour, principalement vers l'Europe, mais aussi vers l'Asie et les États-Unis. Sa croissance est étourdissante. Dans quelques mois, TotalEnergies va lancer l'exploitation des gisements récemment découverts près des côtes du Suriname. Et Lula, le président du Brésil, accélère les recherches d'hydrocarbures et devrait bientôt accorder de nouvelles autorisations pour scruter les fonds marins de l'embouchure de l'Amazone.
Au milieu de ces États, la Guyane fait figure d'exception. Ce qui agace fortement les représentants du territoire. "Pendant que nos voisins vont connaître un essor économique fulgurant grâce à l'exploitation de leurs ressources, la Guyane française demeure en état de précarité et de pauvreté", a vivement regretté le sénateur Georges Patient (RDPI, groupe macroniste) la semaine dernière dans l'hémicycle du Palais du Luxembourg.
Déjà, l'année dernière, un sénateur avait interpellé le gouvernement sur le sujet. La secrétaire d'État Marina Ferrari avait balayé la question d'un revers de la main : "Une révision de la loi du 30 décembre 2017 pour permettre une exploration des ressources pétrolières de la Guyane n'est (...) pas possible si nous voulons respecter les engagements environnementaux que nous avons pris."
Mais, mardi dernier, la réponse du gouvernement a été d'une autre teneur. Manuel Valls, ministre des Outre-mer depuis le mois de décembre, a reconnu la subtilité de la situation guyanaise. L'ancien Premier ministre a alors jeté un pavé dans la mare, quitte à s'attirer les foudres des écologistes et des ONG environnementalistes : il souhaite rouvrir le débat sur la loi Hulot qui, en décembre 2017, a définitivement interdit l'exploitation pétrolière en France.
Les engagements climatiques de la France
"Les élus sur place, de droite et de gauche, le demandent. Je demande qu'on ouvre le débat", a redit le ministre sur Franceinfo, lundi matin. Pourtant, à l'heure du changement climatique, ce genre d'initiative peut paraître à contre-courant des efforts de transition énergétique entamés par nombre de pays ces dernières années.
Une position qui étonne, alors que la France, pays hôte de la COP21 en 2015, s'est engagée à sortir des énergies fossiles lors de la COP28. Après les propos de Manuel Valls au Sénat, les oreilles ont sifflé au sein du gouvernement. La ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, et celui de l'Énergie, Marc Ferracci, ont décliné l'idée de leur collègue. Au journal Les Échos, la ministre a rétorqué : "Dans un contexte où les énergies fossiles sont responsables du dérèglement climatique, et les territoires ultramarins les premières victimes de celui-ci, revenir sur la loi Hulot n'aurait pas de sens".
Davy Rimane pourfend ce qu'il considère être une vision européano-centrée de l'écologie. "La réalité continentale de la Guyane n'est pas celle de l'Europe." L'interdiction d'exploitation des hydrocarbures a du sens sur le continent européen, estime-t-il. Mais pas en Amérique du Sud, structurellement moins développée que l'Europe. Et tant pis s'il prêche à rebours de ses collègues de gauche à l'Assemblée nationale.
Je n'ai aucun problème à assumer une posture contradictoire par rapport à mes collègues.
Davy Rimane, député GDR de la Guyane
Le président Lula, figure de la gauche latino-américaine, justifie sa politique pro-pétrole alors même qu'il s'apprête à accueillir la COP30 en fin d'année : "Nous suivrons toutes les procédures nécessaires pour garantir qu’aucun dommage ne soit causé à la nature, mais nous ne pouvons ignorer la richesse qui se trouve sous nos pieds et choisir de ne pas l’explorer. En particulier parce que cette richesse fournira les fonds nécessaires à la transition énergétique tant attendue", a-t-il déclaré mercredi dernier selon Euronews.
En France, Manuel Valls aussi assure vouloir exploiter les hydrocarbures "avec intelligence, avec équilibre, en respectant la nature". "On ne va pas sur les mêmes bases que ce qui s'est fait il y a des décennies lorsque certains se remplissaient les poches. C'est une opportunité pour pouvoir aménager le territoire, le développer, faire des choses concrètes et rapides sur un temps donné", complète Davy Rimane.
"Tout doit se décider maintenant"
Lors de sa réponse au sénateur Georges Patient, le ministre des Outre-mer a indiqué avoir "demandé à [s]es services d'étudier la compatibilité, aux traités internationaux et au droit communautaire, d'éventuelles initiatives législatives pouvant émaner des parlementaires". Le député guyanais, lui, aimerait que les choses aillent plus vite. Il pousse pour que le gouvernement prenne un décret exemptant purement et simplement la Guyane de la loi Hulot.
Deux questions se posent toutefois. D'abord, la Guyane est-elle vraiment riche en ressources pétrolières ? Ce n'est pas certain. En 2001, l'État avait accordé à l'entreprise britannique Shell un permis d'exploration d'une zone au large des côtés guyanaises. Ce permis a été prolongé en 2007 et en 2011. Si un gisement profond a été découvert à 150 km du territoire en 2011, il s'est révélé ne pas être exploitable économiquement.
En septembre 2017, juste avant le vote de sa loi, le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot avait donné son accord à un nouveau prolongement du permis exclusif, le confiant cette fois-ci à la société française Total. Après avoir prospecté une zone non explorée jusque-là, l'entreprise a, elle aussi, fait chou blanc. Les recherches ont été stoppées en février 2019. Entre temps, la loi Hulot est entrée en vigueur.
Deuxième enjeu soulevé par le député Davy Rimane et son collègue guyanais Jean-Victor Castor, lui aussi grand défenseur de l'exploitation pétrolière sur son territoire : la question de l'autonomie. En effet, si les États voisins – Guyana, Suriname – s'enrichissent grâce à leurs ressources en hydrocarbures, c'est parce qu'ils sont souverains. La Guyane, elle, est une collectivité française. C'est avant tout le pays qui bénéficierait de cette manne pétrolière.
C'est pour cela que les deux élus réclament en parallèle de l'exemption de la loi Hulot une plus grande autonomie de leur territoire, afin que les potentiels revenus liés au pétrole remplissent les caisses guyanaises, et non celles de la France. "Je souhaite non pas que la France rayonne seulement à travers ses territoires, mais que ses territoires puissent rayonner dans leur espace régional", a assuré Manuel Valls sur Franceinfo, lundi, sans pour autant évoquer la question de l'autonomie, au point mort depuis des années.
"Tout doit se décider maintenant pour être prêt à faire face aux défis", presse Davy Rimane. "Maintenant, c'est à nous de savoir si, oui ou non, on veut y aller vraiment. Si oui, on y va, comment ? Pour quoi faire ? Pour quelle finalité ?". Lucide sur l'impopularité politique du redémarrage de l'exploration pétrolière, le ministre Valls promet néanmoins : "Vous pouvez compter sur ma disponibilité pour participer et ouvrir ce débat. Ça ne sera pas facile, mais ensemble, je crois que nous y parviendrons".