Faut-il installer des opérateurs miniers légaux sur les sites exploités par les clandestins pour lutter plus efficacement contre l’orpaillage illégal ? En amont de la visite présidentielle du 25 et 26 mars, l’Elysée a confirmé que "favoriser l’installation de la mine légale" faisait partie des stratégies pour "reconquérir progressivement la forêt" et que le chef de l'Etat serait amené à "s’exprimer" sur le sujet, sûrement lors de son déplacement à Camopi, dans l'après-midi de lundi.
Une déclaration très attendue par la Fédération des opérateurs miniers de Guyane (FEDOMG) qui milite pour l’application de l’article 621-4-1 du code minier permettant à l’Etat d’installer un opérateur sans passer par les demandes habituelles de déclaration et d’autorisation environnementales.
En bref, une procédure accélérée pour lutter dans « l’urgence » contre les clandestins. Plus largement, la FEDOMG demande de longue date un assouplissement des normes relatives aux démarches minières, notamment l'accélération du traitement des demandes de permis.
Une expérimentation de 2013 à 2015
Le raisonnement est assez simple. Alors que les 600 millions d'euros issus de l'extraction aurifère illicite - dix tonnes d’or par an contre une tonne pour l'activité légale - partent dans des filières clandestines, souvent vers la Chine et le Brésil, le renforcement d'un secteur légal permettrait de conserver ces richesses sur le sol guyanais.
Seulement, les précédents en la matière montrent que cette stratégie a ses limites sur le terrain. Entre 2013 et 2015, dix autorisations d'exploitations minières (AEX) avaient par exemple été accordées sur des sites anciennement exploités clandestinement, dans le cadre d’une expérimentation et ont permis de retirer 260 kilos d'or sur la période.
Mais le bilan de cette expérimentation est "plus que mitigé" à en croire un rapport parlementaire du député Lenaïck Adam. Différents hauts fonctionnaires auditionnés y expliquent que les orpailleurs illégaux sont restés à proximité des sites et que la distance, l'isolement et leur exploitation déjà bien avancée de ces sites les rendaient peu attractifs aux yeux des entreprises. Une dizaine de gisements identifiés comme pouvant accueillir un opérateur légal n’avaient d'ailleurs pas trouvé preneur.
Le bilan est d'autant plus mitigé que l'expérience de 2013-2015 a accouché d'une série judiciaire encore en cours, qui met à mal la crédibilité du secteur : l’affaire Gauthier Horth Président de la FEDOMG au moment des faits, Gauthier Horth s’est installé en 2013 sur le site de Grande Usine, sur l’Approuague avec l’autorisation d’exploiter les roches abandonnées par les garimpeiros.
En 2022, il a pourtant été condamné pour blanchiment d’argent et orpaillage illégal à 18 mois de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende. Gauthier Horth, qui a toujours clamé son innocence a fait appel de la décision, dont le délibéré doit être rendu le 26 mars.
Des militaires pour protéger les miniers
À en croire les acteurs de terrain, l'installation de miniers légaux ne permettra pas non plus de mettre fin à la mobilisation des 300 à 400 militaires des Forces armées de Guyane et des 50 à 60 gendarmes quotidiennement sur le terrain. Les opérateurs étant toujours sous la menace de vols ou d’agression face à des garimpeiros bien plus accommodés à la vie en forêt amazonienne que les équipes minières formées sur le littoral.
"L'idée est bonne sur le papier mais il ne faut pas que ça soit fait n’importe comment. Si c’est un site très convoité, il peut y avoir une rancœur des illégaux, et ils ne vont de toute façon pas tous partir. Il faut un suivi et de l’accompagnement pour des raisons de sécurité", confirme Christian Pernaut, adhérent de la FEDOMG et exploitant de deux sites en Guyane
D’un point de vue écologique, l’installation d’opérateurs légaux apparaît, là aussi, comme une solution en demi-teinte. Certes, comme le rappelle Christian Pernaut, les miniers opèrent "dans un cadre réglementaire" et sont donc tenus de travailler en circuit fermé, de ne pas utiliser de produits toxiques comme le mercure – interdit en France depuis 2006 mais quotidiennement utilisé par les orpailleurs clandestins – ou encore de restaurer les sites. Autant de contraintes qui préoccupent bien peu les illégaux.
Sur la restauration écologique, les miniers sont tenus de replanter au moins 40 % des zones détruites mais tous ne jouent pas le jeu. En 2018 l’Office national des forêts estimait qu’un opérateur sur deux ne se tenait pas à ses obligations. Contactée, la direction n’a pas pu nous donner de données plus récentes mais confirme que "cela reste un sujet", avec de nombreux anciens sites miniers "n’ayant toujours pas été restaurés".
Fin 2022, Gabriel Melun, agent de l’Office français de la biodiversité dressait un constat plus sévère à l’AFP. "Sur une cinquantaine de sites visités, on n'a pas vu une seule réhabilitation complète et on a vu trois à cinq sites, de correct à très bien", confiait-il alors. « Il y a tout un discours qui vise à nous dénigrer mais qui est complètement daté. Par le passé, il y a pu avoir du laxisme, mais aujourd’hui il faut comprendre que les miniers ont intérêt à faire le ménage derrière eux », oppose Christian Pernaut.
La mine légale impacte aussi les sols
Pour le minier, les sites non ou mal restaurés relèvent plus d’un problème de "formation" et de "sélection au départ" des opérateurs miniers par les pouvoirs publics. "N’importe qui peut s’improviser opérateur minier aujourd’hui. Il suffit d’avoir un peu d’argent et de monter sa société. Il ne faut pas s’étonner si n’importe s’y met. L’or continue de faire rêver", explique-t-il.
Enfin il convient de rappeler que même l’activité extractive la plus "propre" aura toujours un impact négatif sur son environnement. En déforestant, n’importe quelle activité extractive aggrave naturellement l’érosion des sols à chaque saison des pluies.
Ce phénomène de lessivage est alors susceptible de drainer les métaux lourds qui se trouvent à l’état naturel dans le sous-sol, vers les cours d’eau puis vers la chaîne alimentaire. C’est ce qui explique notamment qu'entre 70 et 90 % du mercure que l'on retrouve dans les cours d'eau soit d’origine naturelle, selon le BRGM. Le reste étant déversé par les orpailleurs illégaux, pour amalgamer l'or.
Autant de questions complexes qui animent le débat désormais ancien de la lutte contre l’orpaillage illégal, que les déclarations d’Emmanuel Macron auront tôt fait de relancer lors de son déplacement à Camopi, le 25 mars.