Selon Emmanuel Macron, l’apprentissage du théâtre doit devenir « un passage obligé » dans les collèges. Il souhaite que cette décision soit effective dès la rentrée 2024. Il s’agit de permettre aux enfants de s’épanouir et de mieux maîtriser l’exercice de l’oralité.
Une activité théâtrale déjà bien implantée dans les établissements de Guyane
Avec cette annonce présidentielle, Isabelle Niveau, Inspectrice d’Académie, Inspectrice Pédagogique Régionale de lettres et DAAC au Rectorat ne peut qu’être confortée dans l’action qu’elle mène depuis des années en faveur du développement de la pratique théâtrale au sein de l’éducation nationale :
« Je crois fortement au théâtre comme mode d’engagement des élèves dans tous les défis scolaires qu’il y a à mener. Aussi bien au niveau des savoirs fondamentaux qui sont : lire, dire et écrire. Dire ce n’est pas si simple, cela s’apprend. L’oralisation est une façon de donner du sens au texte écrit et à tout ce qui est de l’ordre de la confiance en soi et de l’émancipation. Les élèves sont obligés de coopérer, de s’écouter, de prendre des risques et de trouver les solutions collectivement. Par rapport à tous les défis qu’il y a à relever, j’ai souvent vu des élèves prendre appui sur ce travail de théâtre pour pouvoir réussir dans les autres disciplines.»
Toutefois, elle est bien consciente du défi que cela représente d’asseoir l’enseignement de cette discipline dès la prochaine rentrée. Selon l’inspectrice d’académie, l'urgence sera de repérer les professeurs volontaires et de les accompagner pour l’enseignement du théâtre. Jusqu’à présent il s’agissait d’ateliers ou d’options théâtre mais le poser comme matière d’enseignement tout comme la musique ou les arts plastiques suppose une montée en compétence des professeurs.
Des professeurs qui craignent un simple effet d'annonce
Chaque année Isabelle Niveau met en place deux sessions de formation théâtrale. La semaine dernière s’est tenue durant trois jours une première formation qui a réuni une vingtaine de professeurs de Cayenne, Kourou, Mana ou Grand Santi déjà engagés dans un projet théâtre. Ce stage s’intitulait : « Mener un atelier, une troupe ou une option théâtre » et était placé sous la conduite de la professeure d'art dramatique Hermina Duro, l’actrice Lima Fabien et le metteur en scène, Patrick Moreau.
Willy Bertin, professeur de lettres au lycée Félix Eboué ne se fait pas d’illusion sur l’annonce présidentielle :
« Je suis investi dans le théâtre car je crois que c’est un vecteur essentiel pour développer le goût des élèves pour la pratique du français, le jeu et leur créativité. Mais cette annonce reste un vœu pieux car nous savons parfaitement que les moyens sont constants. Il n’y aura pas davantage d’heures pour faire du théâtre ou cela reviendrait à retenir des heures à d’autres disciplines. En baissant le budget du ministère de la culture comme cela est le cas actuellement, il n’y aura pas plus d’argent pour la rémunération des intervenants. Et ils sont nécessaires pour développer le théâtre car, le vrai problème, c’est la formation des enseignants. L’année prochaine, on nous supprime les stages de formation continue en temps scolaire, il y aura donc très peu de professeurs formés. On peut craindre que cela soit juste un effet d’annonce. »
Antoine Julien Labruyère enseigne également le théâtre au lycée Félix Eboué et souligne : « c’est un moyen de travailler l’éloquence et la compréhension des textes classiques et le jeu d’acteur. C’est assez complémentaire avec le français, cela rend la littérature plus attractive plus vivante. »
Et cet autre professeur de surenchérir : « De plus cela permet de rattacher des élèves qui ne seraient pas forcément scolaires. Souvent nous avons des élèves qui ne sont pas excellents dans les matières dites classiques et qui se révèlent dans le théâtre car c’est une manière de s’exprimer et de dire ce que l’on a au fond de soi. C’est un bon moyen de rattacher les élèves à l’école. »
Pour ce professeur de français au collège Léo Othily à Mana il y a nécessité d’obtenir d’autres moyens : : « le théâtre peut avoir une utilité dans l’Ouest où il y a une grande richesse linguistique avec une difficulté : le français qui est la langue scolaire n’est pas forcément parlé par beaucoup de nos élèves. Ils ont souvent du mal à maîtriser la lecture et l’écrit, le théâtre peut permettre de passer par l’oral. Mais la première limite que je vois à cela c’est qu’à l’heure actuelle cette annonce est creuse. À l’Ouest nous manquons souvent de moyens notamment matériels. On ne peut pas faire de théâtre de manière pérenne en classe, en atelier ou en option s’il n’y a pas l’espace pour. Par ailleurs faire du théâtre avec des classes de 25 élèves ce n’est pas tenable seul, il faut un intervenant. Cela peut être très utile, très bénéfique pour des élèves dont le français n’est pas la langue maternelle mais il faut les moyens appuie-t-il. »
L’approche de Simona Pesenti, d’origine italienne, professeure de français au collège Auxence Contout est différente :
« Depuis 3 ans, chaque année j’ai un projet théâtre, je collabore avec un intervenant Patrick Moreau et nous essayons d’amener les élèves à étudier pour un spectacle à l’Encre. Cela a donné un travail magnifique l’année dernière. À travers cette annonce du président de la république, je vois deux objectifs principaux pour moi qui travaille avec des élèves allophones en particulier, l’idée est de briser la barrière de la langue. Briser toute hiérarchie entre le français et les autres langues et ainsi permettre aux enfants de s’épanouir sur une terre étrangère après avoir vécu des choses difficiles. Je crois énormément au théâtre pour l’épanouissement personnel et pour l’apprentissage du français. » Et de poursuivre :
«J’ai la chance de travailler avec des moyens aujourd’hui mais on peut travailler avec rien. Parfois on a qu'une salle, son imagination et son contact avec les élèves pour pouvoir les toucher. Je ferai avec ce que j’ai mais je ferai quand même.»
Pour des enseignantes de Grand Sainti le constat est plus complexe. Les élèves dans cette commune n’ont pas la représentation de ce que peut être le théâtre. Il apparaît absolument nécessaire d’avoir des compagnies qui viennent sur place en cela, le pass culture est très utile.
Le point de vue de quelques élèves étudiant le théâtre
Une quinzaine d’élèves avaient été sollicités pour ce stage à destination des professeurs. Tous ont déjà une pratique théâtrale de plusieurs années et en retirent de façon unanime un bienfait personnel très appréciable, telle Lesly, une jeune fille extravertie de 14 ans :
« Personnellement, le théâtre m’a beaucoup apporté. Je suis quelqu’un avec beaucoup d’énergie, très expressive, très agitée. Je considère le théâtre comme un moyen de canaliser ses émotions. Je ne sais pas si le théâtre correspond à tout le monde, chaque personne devrait avoir le choix et la possibilité de découvrir ce qui lui conviendrait le mieux. Sincèrement je suis heureuse d’avoir opté pour le théâtre, j’ai appris à maîtriser mon débit et je m’y sens bien.»
« Moi dans le passé j’étais introvertie et timide et le théâtre m’a permis de développer mon estime de moi, de conscience et je suis tout à fait d’accord avec la décision d’Emmanuel Macron. Quels que soient les tempéraments, le théâtre apporte beaucoup dit au contraire Juliette, 14 ans également. »
Mathilde, 14 ans pratique l’art théâtral depuis un an et a beaucoup progressé : « J’avais super-peur de faire des powerpoints, des présentations. En cours, je tremblais, j’oubliais mes textes alors que je rêvais du milieu du cinéma. Je me suis lancée et maintenant j’ai toujours le tract mais j’ai beaucoup plus confiance en moi. Cela m’a même aidée dans ma vie quotidienne, je vais plus vers les gens… »