« La Guyane des années 30-40 dans l’œil d’un Américain »

Rémy Péru-Dumesnil
Il s’est fait connaitre lors de la parution de Camille, son premier roman, basé sur la vie de son grand-père, Bertrand Lony. Rémy Péru-Dumesnil sera en dédicaces demain à Cultura avec sa dernière publication : Black Martinique Red Guiana. Il s'agit du récit de voyage de l’Américain Nicol F. Smith et dont il a assuré la traduction. Interview.

Quelle est la genèse de cet ouvrage ?

En 2015, j’étais étudiant en 3ème année de licence d’histoire. J’étais dans un cursus bilingue qui m’obligeait à partir au Canada. La veille de mon départ, Kristen Sarge directeur à l’époque du service langues, cultures et patrimoine à la CTG (Collectivité territoriale de Guyane), m’a demandé de traduire un chapitre du livre de Nicol F. Smith. Le service travaillait sur des panneaux d’information sur le sentier du bagne des Annamites et voulait savoir s’il y avait là-dedans des éléments intéressants. La première mouture de ma traduction a plu à mon directeur de stage et il m’a demandé si je voulais traduire tout le livre. Je n’attendais que ça !

Est-ce que le projet était déjà d’en faire une publication ?

Pour moi, c’était un défi, mais je ne savais pas ce que j’allais en faire par la suite. J’ai réalisé l’intégralité de la traduction durant une année. Kristen Sarge a transmis des extraits à un édieur avant d'obtenir son assentiment, mais il fallait faire certifier la traduction. Cela a pu être réalisé grâce à une subvention de la CTG mais entre-temps l’éditeur était en difficulté. J’en ai cherché un autre mais je n’y connaissais rien. En 2019, Orphie/ Ibis Rouge, qui a publié mon mémoire de Master a été emballé par ce projet. Le livre est sorti un peu plus de quatre ans après puisqu’entre-temps j’en ai publié deux.

Est-ce un pur travail de traduction ou avez-vous réécrit ?

J’ai changé des détails. À 90%, c’est le style de Nicol Smith, son humour, son ton parfois condescendant.

Quel est l’intérêt d’un tel ouvrage ?
Pour moi, l’intérêt est avant tout celui du chercheur. Je trouve intéressant d’avoir le point de vue d’un Américain sur un pays qu’on connaît, d’autant plus qu’il n’y a pas beaucoup de travaux extérieurs sur la Guyane. Ce livre raconte la Guyane des années 30-40 dans l’œil d’un Américain. Il a, par exemple, une attitude très étrange par rapport au bagne. Déjà, on laisse un Américain voir le bagne ; il le décrit presque comme un lieu de vacances. On n’y croit pas, mais ça monter quelque chose sur les relations internationales à ce moment.
À côté de ces aspects utiles la recherche, il y a des passages un peu magiques et certaines anecdotes sur des lieux qu’on connaît qui sont intéressants. Je pense au cas de Ti Zozo par exemple.

Est-ce que vous avez conservé l’intégralité du texte ?

Oui. Mais je regrette de ne pas avoir prévenu, dans l’avant-propos ou dans le dossier du traducteur que certains propos peuvent être blessants.

Quand on traduit un tel ouvrage, est-ce qu’on doit nécessairement apporter des explications ?

Le traducteur s’efface normalement. Mais là, il s’agit d’un document ancien qui a besoin d’explications pour comprendre ce qu’il fait pourquoi il dit ce qu’il dit. Je pense que la personne qui traduit un texte comme Don Quichotte a dû fournir un travail similaire dans la démarche pour donner des explications contextuelles et parfois, pour le cas du texte de Cervantès, d’expliquer les traductions précédentes. J'ai souhaité imiter cette démarche en ajoutant un dossier du traducteur à la fin du livre. Classé par thématique, il fournit de la mise en contexte, des éléments de compréhension et quelques anecdotes sur le récit. C'est une espèce de valeur ajoutée à ma traduction, en somme.

Est-ce qu'une anecdote vous a particulièrement marqué ?
Nicol Smith est la source américaine qui prend le plus de temps à raconter l’histoire de Madame Duez*. Il en fait un personnage.

Quelle est la part de vérité dans cet aspect de son récit ?
Il y a des éléments qui laissent penser que ce qu’il raconte sur Madame Duez est vrai. Par ailleurs, il mentionne qu’il est reparti aux Etats-Unis avec son journal intime. Je suis entré en relation avec Sharon Karr, la biographe de Nicol Smith pour retrouver ce fameux black book. Elle aussi avait essayé de le retrouver, mais nous n’avons que des photos et des citations directes.

*Madame Duez est venue en Guyane rejoindre son époux, ancien bagnard, condamné suite à un scandale financier. Ensemble, ils ont obtenu une concession à l’Îlet La Mère, qu’ils ont mis en valeur.

Black Martinique Red Guiana de Nicol F.Smith, traduit de l'anglais par Rémy Péru-Dumesnil. Editions Ibis rouge


Dédicaces à Cultura Matoury, samedi 12 octobre de 10h à 12h et de 17h à 19h.