Nelsi da Silva Brazil est professeure de français depuis 24 ans. Elle enseigne à l’Alliance Française dans la capitale du Para, Belém. Cette femme mariée depuis 37 ans et mère de 3 enfants exprime une grande reconnaissance à la Guyane et aux personnes inspirantes qu’elle a croisées sur son chemin. Malgré une enfance malheureuse, elle a pu suivre une scolarité qui lui a permis de surmonter les obstacles, d’avoir un métier et de s’élever dans l’échelle sociale au Brésil.
Une arrivée en Guyane contrainte à l’âge de 5 ans
« La Guyane m’a permis de m’épanouir en tant que professionnelle, en tant qu’être humain parce que c’est là que j’ai appris à lire et écrire. Quand j’ai découvert les livres de la comtesse de Ségur, ces ouvrages m’ont guidée pour la vie. J’en ai retenu des principes et des valeurs. C’est à ce moment qu’a commencé ma passion pour la littérature, la lecture et bien sûr pour la langue française. »
Cette éducation, Nelsi da Silva Brazil, ne l’a pas obtenue facilement. Née à Macapa en Amapa, à la séparation de ses parents, sa mère confie la petite fille à une sœur et l’oublie pendant deux ans.
« J’avais 5 ans quand je suis arrivée en Guyane. Mon père était venu me chercher à Macapa car ma maman était partie à Cayenne en me laissant aux soins de ma tante alors que j’avais 3 ans. Il ne voulait pas me garder et m’a déposée chez ma mère. Elle a mis du temps à me scolariser.
J’ai donc commencé l’école à 8 ans en 1970 à l’école des filles de Cayenne. Je ne connaissais que très peu de mots français mais cela a été très facile d’apprendre mais pas le créole qui n’était pas enseigné à l’époque. J’ai de très bons souvenirs de cette école. Ensuite, je suis allée au collège Madeleine où j'ai fait les classes de 6e, 5e, 4e et 3e et après au nouveau lycée Félix Eboué où j’ai fait la seconde et une partie de la première avant de rentrer précipitamment au Brésil. »
S’attardant sur cette période de sa vie, Nelsi émue aux larmes égrène ses souvenirs :
« J’étais une élève très sage. Je n’ai été punie qu’une fois en cours élémentaire 1. Pendant un test, une camarade m’a demandé de lui prêter ma gomme et quand je me suis retournée pour la lui donner, la maitresse m’a punie et m’a fait venir au coin. Mais j’étais très sage, très appliquée. A 12 ans ma mère a constaté que je savais lire et écrire et elle m’a dit que ce n’était pas nécessaire de continuer parce qu’à l’époque le destin des filles était de se marier, d’avoir des enfants, de s’occuper de la maison et de son mari. Elle m’a demandé d’arrêter. Heureusement, un jour, dans la rue nous avons rencontré la directrice de l’école des filles, une femme grande, imposante, très juste et sévère. Elle m’a demandé pourquoi je n’allais plus à l’école. Je lui ai expliqué. Elle m’a dit : dites à votre maman qu’en Guyane les enfants doivent aller à l’école jusqu’à l’âge de 16 ans. S’adressant à ma mère, elle a ajouté, si elle ne revient pas à l’école, vous allez repartir dans votre pays. Le lendemain j’étais à l’école, très heureuse. »
Des conditions d’apprentissage chaotiques
Nelsi connaîtra plusieurs domiciles avant de se stabiliser à Cayenne. Sa mère l’éduque très sévèrement dans une forme d’intégrisme religieux qui ne lui laisse que peu de chances de s’instruire.
« Nous habitions d’abord route de Montabo et ensuite à la carrière Colas, route de la Madeleine. Au tout début avec mon beau-père pêcheur de crevettes qui travaillait pour la Pideg nous étions au Larivot. Puis à la rue Vermont Polycarpe pas loin du cimetière. C’était difficile d’avoir des camarades. Ma mère ne voulait pas, je ne pouvais sortir qu’avec elle et étudier était compliqué. J’allais à l’école avec Florette et Brigitte mes deux amies et on se rencontrait pour étudier. C’était le seul moment où je pouvais le faire. Pour ma mère, il n’était pas question d’étudier à la maison. Elle a brûlé quelques livres empruntés à la bibliothèque car je ne devais lire que la Bible. Cela a été difficile !
Ma mère m’interdisait d’avoir des amies qui n’étaient pas Brésiliennes et surtout présentées par elle.
J’attendais que ma mère dorme pour me mettre sous mon lit avec une bougie pour lire mes livres. Si elle les voyait, elle les déchirait. Parfois elle me menaçait de mort. Le soir j’attendais qu’elle dorme pour me coucher. J’en avais très peur.
J’ai eu une professeure de français, Madame Ho Coui Youn c’était une prof merveilleuse, je l’aimais beaucoup. Il y a aussi eu Monsieur Mam Lam Fouck qui m’a offert un livre « Les contemplations » de Victor Hugo que j’ai lu en entier. Et c’est à partir de là que j’ai commencé à me passionner pour la littérature, pour l’écriture. J’ai toujours aimé écrire. Mes rédactions étaient lues en classe, les profs me citaient en exemple car j’étais sage. A l’école il y avait le jour de la poésie. Tout le monde détestait moi j’adorais et je me préparais pour le cas où je serai appelée. J’ai récité « Liberté » de Maurice Carème, je le récite encore. Pareil pour le jour de la conjugaison et j’étudiais le soir. Je suis très forte en conjugaison, en grammaire, en littérature. »
Un retour précipité au Brésil à l’âge de 17 ans
Si Nelsi da Silva Brazil n’était pas retournée au Brésil, elle aurait peut-être continué ses études en France. Mais en 1979, les circonstances l’obligent à prendre cette décision :
« Finalement, ma mère ne m’a jamais accepté en tant que fille. J’étais la cause de tous ses problèmes puisque, avoir une fille dans sa famille, c’était un malheur. J’ai deux frères qui n’ont jamais étudié. L’un est au Brésil et a mal tourné et l’aîné est toujours en Guyane, il me sollicite pour que je fasse à distance ses courriers administratifs.
Je me suis occupée de ma mère toute sa vie. Elle avait peu de moyens. Je faisais les courses, j’achetais les médicaments et elle me disait qu’elle ne m’aimait pas, que j’étais laide « ta feia ». Elle est morte du covid en 2020.
J’ai fui quand elle a voulu me marier à un cousin de 60 ans pour se débarrasser de moi. J’ai quitté la Guyane avec une famille de protestants. J’avais 17 ans et j’ai dû avant de prendre l’avion expliquer ma situation à la police.
Quand je suis arrivée au Brésil dans la ville de Natal mes débuts ont été extrêmement difficiles car je n’avais jamais étudié la langue portugaise. Je ne savais pas conjuguer, je n’avais jamais appris le portugais, mes difficultés dans cette langue étaient énormes. On ne voulait pas m’accepter dans les écoles car je n’avais que des documents français donc on ne connaissait pas mon niveau et je n’avais aucune preuve de scolarisation au Brésil. J’ai dû écrire une lettre (que j’ai conservée) au nom du Seduc (Sécrétariat d’état à l’éducation) pour demander mon livret scolaire au rectorat de Guyane qui a envoyé le dossier. J’ai aussi dû traduire les documents pour l’administration.
Quand j’ai commencé à étudier au Brésil, je n’avais qu’un seul but : devenir professeur de français. J’ai démarré des études à l’université à Natal. Et ma mère est venue me chercher, elle avait besoin de moi. Nous sommes revenues à Macapa, j’ai arrêté les études un temps puis j’ai fait le vestibular, l’équivalent du bac. Des années après, je me suis installée à Belém où j’ai obtenu la licence en français et suis devenue professeure. Cela fait maintenant 24 ans que j’enseigne à l’Alliance Française. »
Nelsi a conservé des livres de son époque guyanaise. Elle les garde précieusement.
« J’ai une énorme reconnaissance pour la Guyane. Mes meilleurs souvenirs d’enfance sont associés à la Guyane, je connais peu ma ville natale Macapa, par contre la Guyane c’est toute mon enfance, mon adolescence, ma découverte, ma passion pour les études. Une chose que ma mère n’a jamais acceptée. J’ai toujours voulu écrire, des poèmes. Ma vie a changé le jour où j’ai eu la permission de rentrer dans la bibliothèque de l’école et d’emprunter des livres. J’en parle à mes élèves, il n’y a pas de Nelsi sans écriture poétique. »