Au début du mois, pour lancer Octobre rose, Esther Jean-Baptiste souriait en une du magazine Mo News, le buste recouvert de plâtre. Un sein en moins. Le cliché, pris il y a quelques mois, figeait dans le temps cette période entre la mastectomie et sa reconstruction mammaire. À l’évocation de couverture de magazine, ses fils, Loan, 9 ans et Dylan, 21 ans, ont la même phrase : « Je suis fier d’elle ». Pour l’aîné, cette photo montre une nouvelle facette de sa mère : « Elle a changé et ça se voit qu’elle s’accepte encore plus qu’avant. En plus, elle montre aux gens que ce n’est pas un tabou ou une fatalité. On peut avoir un cancer et se relever. » Son petit frère, Loan va plus loin : « C’est bien. Comme ça, les femmes savent que si elles ont une petite boule au sein, elles doivent aller consulter ».
Depuis quelques mois, Esther Jean-Baptiste, 48 ans aujourd’hui, est présidente de l’association Amazones Guyane qui vient en aide aux femmes touchées par le cancer. Son discours et ses phrases de prévention, ses garçons les connaissent bien : ils sont de toutes les manifestations, de toutes les actions de prévention. Il faut dire que ce combat-là contre le cancer, dès le début, ils l’ont mené avec elle.
Je me suis demandé pourquoi c’était à elle que ça arrivait
Dylan, 21 ans
Quand, en 2020, « le 7 septembre 2020 » se souvient-elle avec précision, on lui annonce qu’elle souffre d’un cancer du sein, Esther prévient sa famille entière, à commencer par ses enfants. À l’époque Loan à un peu plus de 5 ans et Dylan 17. Si le plus jeune ne se souvient pas tellement de l’annonce, Dylan, alors élève de première, ne l’a jamais oubliée. « Elle pleurait sur la terrasse. Elle m’a dit « je ne sais pas comment te le dire… Ils ont dit que j’ai un cancer et qu’on va me couper le sein. » Je me suis demandé pourquoi c’était à elle que ça arrivait et ce qu’on avait fait au Seigneur. J’ai pris mon scooter pour aller m’acheter un Liptonic et des madeleines au chocolat… Je suis parti jouer au foot après. J’avais besoin de ce temps-là. Quand je suis revenu, j’ai réussi à parler avec elle. »
Tout va alors très vite. Il faut trouver chez qui les garçons seront logés durant l’absence de leur mère et de leur grand-mère qui partent affronter ensemble les premiers traitements dans l’Hexagone.
Tous les soirs je pleurais
Loan, 9 ans
« Maman m’a expliqué sa maladie, se souvient Loan, mais je crois que j’ai compris vraiment quand j’ai eu 7 ans. » Ce dont le jeune garçon se souvient après précision, c’est l’absence. « Tous les soirs, je prenais le téléphone de mon frère pour appeler Maman et tous les soirs je pleurais. Quand il y avait du monde avec moi, ça allait. Mais dès que j’étais seul, je pleurais.» Les larmes de Loan, elles non plus, Dylan ne les a pas oubliées. Pour son petit frère, il travaille et s’organise pour l’occuper constamment : sorties le week-end, balades à la crique, virée pour manger des gaufres… Tout pour lui changer les idées. Mais même dans ses chansons d’enfants, Loan chante l’absence de sa maman : dans une vidéo qu’elle garde sur son portable, Esther montre le garçonnet qui entonne une comptine. Mais rapidement, il change les paroles et continue sur le même air « je veux pas que ma mère parte, je veux qu’elle revienne avec mon frère et moi… »
Lorsqu’Esther leur fait une surprise et revient pour quelques jours de vacances après la mastectomie et les premiers traitements, les garçons sont heureux… et tristes à la fois. « Elle n’avait plus de cheveux… On l’avait déjà vue en photo, mais en vrai, ce n’est pas pareil. On était tristes pour elle… Mais on a réussi à en rire et à lui dire qu’elle ressemblait à Tonton Johan qui n’a pas de cheveux non plus !»
J’avais peur de perdre ma mère
Dylan
Si la scolarité de Loan se maintient tant bien que mal, celle de Dylan est perturbée par l’intrusion du cancer dans la cellule familiale. « J’avais peur que l’opération se passe mal, se souvient-il. J’avais peur de perdre ma mère… »
Lorsqu’elle peut enfin revenir en Guyane, c’est la joie. « Loan m’a demandé de lui montrer sur le calendrier le nombre de temps où j’étais partie, raconte Esther. On a compté ensemble. » Et Loan de renchérir : « La première fois, elle est partie 289 jours ». La « première » fois, parce qu’il y en a eu une seconde, plus courte. 65 jours cette fois, à partir de juin dernier, pour une reconstruction mammaire. Cette nouvelle séparation marque une étape de plus vers la guérison. Elle traduit aussi un nouveau changement que les enfants remarquent. « Ma maman est différente, note Loan. Elle a beaucoup de cheveux, ils ont bien repoussé. Avant, elle s’énervait vite, mais maintenant elle est plus calme. »
Comme Esther, Dylan s’estime changé. « Cette épreuve m’a fait grandir et a forgé mon caractère. Quand Maman a voulu mettre en place l’association Amazones en Guyane, on en a parlé. Cette association aide les femmes qui sont touchées par le cancer pas seulement durant le mois d’octobre. À mon niveau, j’aimerais aussi proposer des choses pour les aider et les accompagner. J’aimerais aussi aider les enfants de ses femmes, les rencontrer, leur proposer des moments où peuvent parler et partager leurs souffrances. »