Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce recueil de nouvelles entièrement en créole ?
Pendant longtemps, j’ai voulu travailler sur Atipa. J’imaginais le réécrire sans perdre le sens, ou extraire les expressions anciennes et donner leur signification en créole actuel, un peu à la manière d’Auxence Contout qui réécrivait les dolo, ou bien encore le réécrire en créole actuel. J’en discutais avec un ami qui m’a conseillé de faire autre chose. J’ai commencé à écrire Alfons malpapay (la première nouvelle du recueil, NDLR). Cela aurait pu être un roman, mais finalement c’est un recueil de nouvelles, le premier entièrement en créole guyanais.
Mais il n’y a pas que des nouvelles dans ce recueil…
J’avais traduit le livre Cantiques des cantines de la bible. Je l'ai mis, ainsi que des poèmes dans une seconde partie du recueil.
Etait-ce aussi parce que c'est un peu plus simple de lire un poème en créole plutôt qu'une nouvelle ou un roman ?
En écrivant, je ne raisonne pas en terme de simplicité. Pour moi, le créole est une langue à part entière. Ce n’est pas plus « simple » ou « compliqué » qu’une autre langue. C’est ma langue maternelle. Disons que c’est un exercice « original » puisque c’est la première fois.
Qu’est-ce qui vous semblait plus complexe dans cet exercice ?
J’ai dû me censurer, pas dans les histoires, mais dans l’élan. Tout me venait tellement naturellement que j’ai dû me freiner. C’est un aussi un exercice périlleux parce que je suis une puriste pour le créole. Encore plus qu’en français, j’ai le soin de trouver les bons mots. Mais parfois, j’ai dû en écarter certains au bénéfice du créole commun, actuel.
Il doit y avoir une forme de fierté de se dire que vous êtes la seule, pour le moment, à vous être lancé dans cette écriture entièrement en créole…
Comme indiqué sur la quatrième de couverture du livre, 139 ans après Atipa, on a fait le travail : c’est le seul texte en créole guyanais.
En créole et non transcrit en français…
C’était une volonté de ne pas traduire. J’adore, par exemple, Jorge Amado. Mais ne maîtrisant pas le portugais, je l’ai toujours lu en français. Ça ne m’empêche pas d’aimer ses livres, mais j’ai toujours ce regret de ne pas le lire dans la langue originale. Je reste persuadée que lire Amado, écrit par Amado, ça doit être autre chose. Donc malgré mon amour pour lui, je sais que ce que je lis, ce sont les mots du traducteur.
J’aurais pu traduire ce que j’ai écrit. Mais ça n’aurait jamais été le même texte. Je ne l’ai pas pensé en français, mais directement en créole.
Est-ce que cette traduction n’aurait pas été un moyen de rendre vos textes accessibles au plus grand nombre ?
Je ne me suis pas posé la question. Un peu comme Alfred Parépou : son roman, Atipa, n’était pas bilingue au départ. Si quelqu’un veut faire ce travail de traduction, je ne m’y opposerai pas. Mais je ne pouvais pas le faire moi : j’aurais écrit deux fois, à peu près la même chose. Et puis j’aurais eu peur d’enlever de la force dans l’une ou l’autre des langues. Traducteur, c’est un métier à part.
Était-ce simple de convaincre un éditeur de se lancer, aujourd’hui, dans un texte inédit uniquement en créole ?
Mon éditeur était très heureux et m’a informé qu’il avait déjà lancé un appel pour avoir des textes en créole guyanais. Pour moi, c’était symbolique, pour ce livre, d’avoir aussi un éditeur guyanais.
Vous signez Nilaja F. J. Ousénie, pas Françoise James Ousénie. Pourquoi ?
C’est juste pour ce recueil. Nilaja, c’est le prénom que je me suis choisi. Françoise, c’est celui que mes parents m'ont donné. Comme c’est ma première œuvre entièrement en créole guyanais, je souhaitais le signer avec le nom que je me suis choisi. Le F.J., à côté, c’est bien pour Françoise James. Ce n’est pas à dissocier que ce que je suis. C’est dans la continuité de ce que je suis et de ce que je fais. C’est une part entière de moi, de ce que je crois et de ce que je veux transmettre aux miens. Je reprends à mon compte une phrase de Toni Morrison. Elle disait qu’elle écrivait « pour [son] peuple ». Moi je dis que j’écris pour les miens.
Revenons au livre : pourquoi ce titre (Miyò ralé to kannon se traduirait littéralement par Mieux vaut ramener ta barque, NDLR)?
En français : lorsque les choses vont mal ou que tu considères que tu n'es plus à la bonne place, mieux vaut te retirer. En résumé : humilité, sagesse, partir avant le fléau…