O Mayouri : "La guerre du Fou" de Laurent Pipet, un roman puissant sur l'exode des Hmong du Laos à la Guyane.

Illustration livre" La Guerre du Fou" de Laurent Pipet
Comment reconnaître un bon, d’un mauvais roman ? Une question difficile car évidemment, les réponses évoluent en fonction des ressentis. Cependant il y a des signes qui ne trompent pas : les cinq sens sont en ébullition, vous ne pouvez pas le lâcher, il vous habite, vous hante même après avoir tourné la dernière page. C’est le cas avec La guerre du Fou écrit par Laurent Pipet paru aux éditions l’Harmattan. Une perle.

"La guerre du Fou" de Laurent Pipet est un roman d’amour, à la fois historique, d’aventure, mystérieux, une fiction inclassable portée par une qualité d’écriture indéniable. l’intrigue paraît simple mais elle ne l’est pas : le destin réunit deux êtres que tout oppose en Guyane à Cacao. L’une est journaliste française, elle a été correspondante pour l'AFP en Indochine, l’autre, un réfugié déraciné du Laos, ancien chef de guerre. Tous deux tourmentés par les traumatismes d’un conflit cruel, sont fracassés. L’intrigue se passe dans les années 70-80 en Guyane.

Une fresque 

Illustration livre " La guerre du fou" de Laurent Pipet

L’auteur entraîne le lecteur dans le passé des personnages, le ramène dans le présent, le balade d’une période à l’autre, sans jamais se perdre. L’histoire épique, se déroule sur une dizaine d’années, du Laos, à la Guyane, sur fond de traque politique.

Quand les communistes prennent le pouvoir en 1975, les Hmong sont considérés comme des traîtres pour avoir aidés les Français et les Américains. Ils sont traqués, ou sont envoyés dans des camps de rééducation. Plusieurs centaines de milliers d'entre eux doivent fuir le Vietnam et le Laos. La France et les États-Unis, proposent de les accueillir. Un millier choisira la Guyane.

Un déracinement difficile

Jeunes gens hmongs en tenue traditionnelle

En 1977, à Cacao, il n'y avait rien. D’une terre aride, les Hmong réussiront à faire un verger luxuriant au prix de nombreuses années de douleurs et de sacrifices. Cette histoire de déracinement, fil conducteur du roman, emporte les émotions au fil des pages, dans un tourbillon de mots.

Les personnages sont complexes avec leurs failles, leurs côtés attachants, mais aussi leurs tares. L’auteur sème des indices, les rebondissements s’enchaînent,  la curiosité intellectuelle du lecteur est sans cesse en éveil.

Des poupées russes

par Air America Archives — Kenneth Conboy, War in Laos 1954-1975, Squadron/Signal Publications 1994. Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.

Les chapitres se succèdent comme des poupées russes, mêlant époques, lieux, thèmes, faisant des allers retours sans cesse palpitants. Au lecteur de démêler les nombreux fils d’une même fresque.

Parfois les mots semblent se confondre dans l’esprit du lecteur avec un vieux film aux images sépia. Les images, les odeurs, les scènes apparaissent, comme dans un scénario. Des images de rizière, de guerre, de ces destins entremêlés, tout en finesse et élégance, qui pour certains s’achèveront en Guyane. C’est aussi, cela, le signe cela d’un bon roman.    

Laurent Pipet auteur de La guerre du Fou

Laurent Pipet l'auteur est âgé de 46 ans. Il est consultant en maîtrise des consommations d'énergie. 

- Le roman se situe sur une dizaine d’années et sur plusieurs continents, et met en lumière la communauté Hmong, comment est née l’idée d’écrire sur cette thématique ?  

-LP: Je me suis depuis longtemps intéressé à la nature des mouvements migratoires, et plus spécifiquement à ceux qui ont trait à la Guyane. Ayant eu le luxe de pouvoir voyager et travailler dans de nombreux pays, j’ai toujours eu de l’admiration pour ces femmes et de ces hommes qui n’avaient a contrario pas le choix de ces migrations, et qui, contraint.es ou forcé.es., ont trouvé le courage d’abandonner tout ou partie de leur famille pour s’installer ailleurs. L’histoire des Hmong en Guyane, est assez singulière. Chassés du Laos où ils vivaient depuis des siècles, ils ont trouvé refuge là où on leur proposait d’aller, et notamment en Guyane, à Cacao, où ils ont dû créer il y a près de 50 ans un village en pleine forêt, à partir de rien. Cette envie de faire découvrir leur histoire, en partant de leur Laos natal à la Guyane, terre d’accueil, a donné naissance à ce roman.  

- Comment qualifiez-vous ce roman :  d’amour, historique, d’aventure ?

LP : Il m’est difficile de qualifier ce livre. Il s’inscrit forcément dans un contexte historique, sur lequel je m’appuie. Mais je n’avais pas envie d’être trop scolaire, et j’ai souhaité effacer peu à peu l’Histoire pour m’intéresser plus directement aux protagonistes, et aux conséquences de leur vécu sur leur vie présente. Mais pour rassurer les futurs lecteurs, il y a évidemment de l’amour et de l’aventure !  

- C’est un roman à tiroirs, une intrigue en dévoile une autre, c’est votre style littéraire ?  

LP : Non, pas du tout. C’est même la première fois que j’écris ainsi. C’est mon 3ème roman et j’avais pour celui-là envie de le placer sur le thème de l’ambiguïté, du mystère. Envie d’intéresser le lecteur au-delà des aspects historiques, inévitables mais parfois barbants, en maintenant une certaine tension. Et tout en lui donnant l’opportunité de découvrir par lui-même le sens de l’Histoire à travers les destins croisés de femmes et d’hommes qui n’ont fait que subir les injustices de grandes puissances politiques.     

- Comment avez-vous construit vos personnages ?  

LP : Les trois principaux personnages de mon roman sont un père hmong, son fils, et une journaliste française, correspondante au Laos. Tous ont dû fuir le Laos pour diverses raisons, que l’on découvre au fil du roman. Et puis l’un d’entre eux disparaît. Pour susciter une part de mystère, il m’a semblé intéressant d’une part, d’introduire ce personnage extérieur de journaliste, qui met peu à peu à jour certains agissements et évènements historiques, sans forcément les comprendre dans leur tonalité. Et d’autre part un personnage de père hmong, mutique, triste et solitaire, dont on ne sait que peu de choses.

- Dans quelle démarche d’écrivain vous inscrivez-vous ?  

J’aime écrire sur des sujets, aussi bien historiques que culturels, environnementaux ou sociologiques, qui à la fois me dérangent et m’intéressent. Donc avant d’écrire, je me documente fortement et je m’entretiens avec les personnes concernées par le projet d’écriture auquel je m’attèle. Il y a forcément une dimension journalistique préalable à mes écrits. L’imagination fait le reste, sur la base de ce que j’ai pu recueillir comme informations, de mes représentations ou de ce que j’ai envie de faire ressentir.   

-Votre actualité ?  

Mon actualité, elle est en bonne partie familiale et professionnelle, en tant que consultant en énergie. Je m’implique aussi tant que je peux dans des projets coopératifs et participatifs d’électrification solaire de villages dépourvus d’énergie en Guyane. Mais le moindre temps libre me pousse à entamer de nouveaux écrits. J’ai ainsi commencé une série de nouvelles, qui se déroulent en Guyane, et en parallèle un roman, qui s’inscrit dans un contexte de révolte dans ma région natale contre l’expropriation des terres pour l’enfouissement de déchets nucléaires