Dérèglement climatique : les questions qui se posent en Guyane

Ciel de Guyane
Comme partout dans le monde, la Guyane n'échappera pas à une hausse des températures dues au dérèglement climatique. Cela nous interroge sur notre devenir dans les 30 ans à venir. Car sécheresses, inondations et autres aléas météo, sont autant de probabilités désormais transformées en certitudes.

Le 31 octobre dernier, Eric Bourdin, le vice président de l'association "Citoyen pour le climat Guyane" déclarait sur le plateau de Guyane soir : "[...] aujourd'hui le climat est encore très agréable mais nous serions l'une des régions, l'un des départements le plus touché par le réchauffement climatique parce que l'augmentation de la température dans un climat avec une hydrométrie supérieure à 80°ferait que l'on aurait des difficultés à évacuer notre température corporelle à partir de 35° et on y est presque, nous sommes à 34°... Dans le pire des cas en 2050, la Guyane ressemblerait à une région inhabitable où l'on devrait vivre la nuit avec des chutes de rendement agricole, des submersions marines qui affecteraient le littoral sur lequel nous avons implanté toutes les infrastructures routières et publiques..."
Mais à quel avenir pouvons-nous, encore, oser rêver ? Une question que le citoyen lamba peut se poser à juste raison, qu’est-ce que le dérèglement climatique induit ? Quelles sont les premières pistes sur lesquelles vraiment agir? 
Patrick Ranson, directeur adjoint à Météo-France Guyane, apporte des éléments sur ce que pourrait être le dérèglement climatique en Guyane et les effets qu’il a déjà produit depuis une trentaine d’années.

Une augmentation de la température de 1,36° en Guyane depuis 50 ans


G1 : La Cop 26 s’est achevée et depuis les conclusions très alarmistes font florès dans les médias. Selon vous que peut-on craindre pour la Guyane en matière de réchauffement climatique ?

Des projections climatiques ont été faites pour la grande région amazonienne (plus de 5 millions de km²), ces projections sont pessimistes et annoncent un assèchement progressif ( notamment dans sa partie sud) et la poursuite de la hausse de la température. Toutefois la forêt amazonienne n’est pas un ensemble climatique homogène et les conclusions valables pour la grande région amazonienne ne s’appliquent pas forcément à une échelle plus petite comme celle du plateau des Guyanes ou de la Guyane.

Avant de parler du futur, il convient déjà de quantifier le changement climatique observé pour la Guyane.

Températures annuelles en Guyane

Ce graphique montre l’évolution de la température moyenne annuelle des 5 postes climatologiques historiques de Guyane (Matoury aéroport, Saint-Laurent-du-Maroni, Saint-Georges de l’Oyapock, Maripa-Soula et Cayenne). On peut constater une hausse progressive de la température.

Entre 1970 et 2010, la température moyenne a augmenté de +1,36°C. La hausse des températures se poursuit actuellement, elle tend même à s’accélérer, on gagne en moyenne +0,2°C par décennie actuellement.

Au niveau des précipitations, il n'y a pas de signal vers une augmentation ou une diminution de la pluviométrie mais d'importantes variations inter-annuelles principalement dues au cycle ENSO ( alternance entre épisodes el Niño, la Niña et phases neutres). Il y a en effet une forte corrélation entre le cycle ENSO et la pluviométrie en Guyane. Les épisodes el Niño sont associés à un déficit pluviométrique tandis qu'à l'inverse les épisodes la Niña correspondent à des périodes de précipitations excédentaires.

La forêt amazonienne doit rester le juge de paix


G1 - La forêt amazonienne ne jouerait plus son rôle de régulation et participerait désormais au réchauffement climatique, que faut-il en penser ?

Depuis le début du 21e, les experts climatiques du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) alertent sur les points de basculement. Ce sont des écosystèmes qui contribuaient à limiter le réchauffement climatique mais fragilisés sous l’effet de ce même changement climatique, ils vont se modifier et contribuer, à leur tour, à accélérer le changement climatique. Les plus importants de ces points de basculement sont la forêt amazonienne, la barrière de corail, les zones de permafrost de Sibérie et les calottes glacières de l’Arctique. Ainsi la forêt amazonienne, longtemps reconnue comme un important puits de carbone et absorbant une part non négligeable des rejets de co2 dus aux activités humaines serait sur le point de basculer sous l’effet du déboisement en devenant à son tour un émetteur de gaz à effet de serre. Yohan Rockstrom, expert climatique reconnu au niveau mondial et président du PIK Postdam Institute for climate impact research alerte sur le risque de franchissement des points de basculement avec des réactions en chaîne entraînant une déréglementation complète de la machine climatique : « Limiter le réchauffement n'est donc "pas un choix de société ou économique, c'est une limite planétaire, si le système terrestre passe d'auto-refroidissant, ce qu'il est encore, à auto-chauffant, nous perdrons le contrôle ». 

Vue aérienne de la forêt guyanaise

►En effet, la forêt amazonienne reste un important régulateur climatique à l’échelle des Amériques, elle fabrique une partie des pluies qui l’arrosent, et ces pluies sont ensuite exportées par les vents loin au-delà de leur zone d’origine. Sa disparition pourrait favoriser un assèchement de toute l’Amérique du sud.

La décision prise à la COP26 par le Brésil et d’autres pays de stopper la déforestation  à partir de  2030 est une bonne nouvelle mais cet engagement lointain amène à s’interroger sur ce qui se passera d’ici 2030. La crainte est de voir la partie sud de la forêt amazonienne (partie la plus soumise au déboisement agricole) se transformer progressivement en savane ( avec un risque de feux accru) et que d’ici la fin du siècle cette savane s’étendrait vers le nord signant ainsi la disparition de la forêt amazonienne.

Déforestation et feu en Amazonie

Une année de pluies exceptionnelles en Guyane


G1 – Que peut-on dire de la météo en Guyane entre 2020 et 2021 ?

La pluviométrie bien particulière observée depuis 2020 n’est pas forcément liée au changement climatique mais à la conjonction de 2 phénomènes : les épisodes el Niño puis la Niña et des anomalies de températures de surface de l’océan dans le bassin Atlantique équatorial.

►Depuis avril  2020, une poche d’eaux chaudes sur le bassin atlantique équatorial retient la ZCIT à des latitudes proches de la Guyane ce qui favorise une pluviométrie élevée et l’épisode la Niña observé d’août  2020 à avril 2021 a lui aussi contribué à ces pluies particulièrement abondantes .

Cette tendance se poursuit en fin d’année 2021 avec un mois d’octobre lui aussi excédentaire et une pluviométrie importante pour les 15 premiers jours de novembre. De nombreuses communes ont déjà recueilli plus de 100 mm depuis le début du mois ce qui les rapproche des normales pluviométriques pour l’ensemble du mois de novembre. On peut donc déjà miser sur un mois de novembre plus arrosé que la normale. La fin d’année  2021 et même le début 2022 vont dans le même sens avec la mise en place prévue d’un nouvel épisode la Niña pour la fin de l’année.

La petite saison des pluies ( traditionnellement la période décembre, janvier, février) s’amorce déjà avec près de 3 semaines d’avance cette année, s’annonce donc bien arrosée.

Plus de sécheresse et plus de pluie...


G1– Les aléas météo seront-ils plus nombreux et devons-nous apprendre à devenir météo dépendant ?

La précédente étude climatique sur la Guyane de 2015, concluait déjà à la survenue d'aléas, avec probablement un risque accru de connaître des saisons sèches sévères et une plus grande fréquence de saisons des pluies fortement pluvieuses. Le risque de feux de végétation, lié aux saisons sèches sévères, prendra probablement de l’importance. Le contexte d’urbanisation croissante et de développement de l’habitat spontané dans les zones de savanes ou de forêt dégradée en secteur péri-urbain constitue un facteur aggravant. Aussi, les saisons des pluies fortement pluvieuses à caractère exceptionnel pourraient devenir plus fréquentes. Le risque d’inondations devrait donc augmenter tant sur les grands fleuves que dans les  zones urbaines du littoral.

Maroni en crue, inondation dans les écarts de Grand-Santi

En ce qui concerne le niveau de la mer, on constate actuellement en Guyane une hausse moyenne de 3,5mm/an. De nombreux experts climatiques estiment que cette hausse pourrait s’accentuer dans les prochaines décennies renforçant ainsi le risque de submersion marine et cela empêcherait l’évacuation des fortes pluies vers l’océan.

►Pour la température, la tendance à la hausse est déjà confirmée et va se poursuivre. L’avenir dépend vraiment des efforts de tous (citoyens, collectivités, entreprises et Etats). Dans ce domaine, le moindre dixième de degrés compte et donc chaque initiative prise pour contribuer à lutter contre le réchauffement climatique compte aussi. Le recyclage, le changement des pratiques alimentaires avec plus de consommation locale, les économies d’exergie, le développement des énergies renouvelables et la protection de notre environnement permettent aux citoyens comme aux décideurs de s’investir dans la lutte contre le changement climatique en Guyane.

►De nombreuses personnes sont déjà fortement météo-dépendantes en Guyane de par leurs activités. Je pense aux agriculteurs mais aussi au secteur du bâtiment. Dans un climat plus chaud et contrasté avec un risque accru d’aléas climatiques, cette dépendance va s’accentuer et nous impactera  tous.


... S'adapter coûte que coûte

Pour ne pas subir le climat de demain, il y aura donc une nécessaire adaptation. Les projets d’aujourd’hui doivent être pensés en intégrant le climat du futur. Cette nécessaire adaptation s’illustre notamment dans le cadre de l’habitat, des infrastructures, des projets économiques mais aussi avec l’adoption de nouvelles pratiques agricoles. L’idéal consistant à inclure dans le même projet, la lutte contre le changement climatique et l’adaptation au climat de demain, avec par exemple l'utilisation des matériaux locaux issus de notre environnement naturel comme isolant dans les constructions futures.

L'anse Nadau à Cayenne