Pour quelles raisons les thèmes de la demande d’asile et de l’immigration clandestine sont-ils devenus aussi sensibles, voire explosifs en Guyane ? Pour mieux comprendre, il faut se pencher sur les chiffres, et analyser la réponse de l’Etat.
La Guyane a vécu ces 6 dernières années une augmentation sans précédent du nombre de demandeurs d’asile. Ainsi, de 2005 à 2014, soit sur dix ans, le territoire a accueilli moins de 8000 demandeurs d’asile, hors mineurs. Depuis 2015, soit en six ans, ils ont été plus de 20 000, hors mineurs.
Ce phénomène s’inscrit dans un contexte mondial de développement des migrations, rapporté notamment par l’Organisation des Nations Unies (ONU). L’asile est un droit reconnu par la constitution française, qui bénéficie aux victimes de persécutions ou aux personnes qui ont de bonnes raisons de craindre des persécutions dans leur pays d’origine, au titre de leurs opinions, religion, ou appartenance ethnique. A ces motifs s’ajoutent les victimes de guerres, comme en Syrie. En Guyane, les demandeurs haïtiens sont largement majoritaires, la plupart déboutés dans leurs demande, car ils fuient la misère, et ce n’est pas un critère de l’asile. Moins nombreux, les demandeurs venus du Proche orient sont plus souvent acceptés car ils correspondent plus aux critères de l’asile. Globalement, la plupart des demandeurs sont donc déboutés, et ils tentent ensuite de rester sur le territoire. S’il est difficile d’évaluer précisément le nombre d’Etrangers en Situation Irrégulière (ESI), un indicateur donne une tendance : le nombre de bénéficiaires de l’Aide Médicale d’Etat (AME), la couverture sociale minimale accordée aux personnes sans papier. En Guyane, le nombre de bénéficiaires a doublé en six ans, passant de 17 000 en 2015 à plus de 35 000 actuellement.
Les efforts de l’Etat encore insuffisants
Face à cette vague migratoire sans précédent, l’Etat a pris des mesures :
- création en 2017 à Cayenne d’une antenne de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) avec dix agents pour traiter les demandes d’asile sur place,
- réduction des délais de traitement des dossiers depuis 2018, doublement en 2020 et 2021 du nombre de logements d’urgence et temporaires pour les demandeurs, cent-cinquante places supplémentaires étant prévues début 2022.
Malgré tout, on reste loin du compte : ainsi, en France hexagonale, il y a 110 000 places d’hébergement dédiées aux demandeurs d’asile, pour 132 700 demandeurs en 2019 et 95 000 l’an dernier (baisse liée à la crise Covid).
En Guyane, on compte un peu plus de 700 places pour 2700 demandeurs en 2019. Au rythme des dépôts mensuels de dossiers, la Croix Rouge Guyane - chargée du dispositif d’accueil - estime qu’un demandeur d’asile sur cinq seulement est logé.
Des moyens de lutte limités face à l'étendue du territoire
Par ailleurs, les moyens d’enquête engagés par l’Etat contre les filières d’immigration clandestine sont encore limités par rapport aux défis et à l’étendue du territoire. Ainsi, la seule unité dédiée à cette lutte est la Brigade Mobile de Recherche (BMR) de la Direction Territoriale de la Police Judiciaire, qui mobilise vingt et un policiers sur les thématiques de l’immigration clandestine, du travail dissimulé et de l’emploi d’étrangers sans titre de séjour. Basée à Cayenne, elle opère plutôt sur l’île de Cayenne. La police, la gendarmerie et les douanes participent aussi à cette lutte, parmi leurs nombreuses autres missions. En revanche, il manque des moyens d’enquête dédiés sur ce thème à l’ouest (Saint Laurent du Maroni), à l’est (Saint Georges de l’Oyapock) et dans l’intérieur (Maripasoula notamment). Enfin, si la coopération a avancé avec le Brésil, elle est encore insuffisante avec le Surinam : elle devrait avancer suite à la signature le 15 mars à Paris d’une convention d’entraide judiciaire en matière pénale, qui doit permettre de procéder à des auditions de témoins sur le territoire de l’autre partie, le transfèrement temporaire de personnes détenues, et la transmission des informations de casiers judicaires.
Par ailleurs, on attend toujours la création d’un centre de coopération policière sur le Maroni (St Laurent-Albina), à l’image de ce qui a été fait à Saint Georges de l’Oyapock.