"La pirogue est à seulement 30 cm du fond", indique Ronaldo Mekou, les yeux rivés sur l’eau.
Autour de nous, des amas rocheux et des bancs de sable, entravent la navigation. "Avant, tout était recouvert d’eau, aujourd’hui on voit des rochers qu’on avait jamais vus jusqu’à présent", s’inquiète le piroguier.
Des rochers et des bancs de sable
La Guyane fait face à une sécheresse sans précédent avec des températures avoisinant les 40 degrés et la pluie qui se fait attendre. Après 18 mois de déficit pluviométrique, l’étiage du Maroni a atteint un niveau historiquement bas.
À quelques dizaines de minutes de navigation de Papaïchton, le piroguier nous débarque sur un îlot de roches au milieu de fleuve, un lieu habituellement recouvert d’eau. Au sol, la terre est craquelée, desséchée, à l’image d’un désert et pas d’un fleuve. Au ciel, le soleil brûle, la chaleur est étouffante. De mémoire d’anciens, voilà plus de 20 ans que le niveau de l’eau n’a pas été aussi bas.
Un faible débit en 2024
"À cette même période l’an dernier, les pirogues passaient entre Papaïchton et Maripasoula, se souvient Ronaldo Mekou, piroguier. Actuellement tout est au point mort". Depuis début 2024, le débit du Maroni est toujours resté sous les normales saisonnières, selon la cellule de veille hydrologique de Guyane.
Les pirogues à l’arrêt
"J’ai fait partir la dernière pirogue de Saint Laurent il y a trois semaines, retrace Raymond, un transporteur de Maripasoula. Elle a dû s’arrêter à Grand Santi, elle ne pouvait pas aller plus loin, C’était trop dangereux. Tout a été déchargé et réparti dans de plus petites pirogues".
Il y a deux semaines, les dernières pirogues qui ont relié Saint-Laurent à Papaïchton ont mis huit jours au lieu d’un jour et demi en temps normal.
"Ceux qui ont encore le courage de tenter d’arriver jusqu’à Papaïchton organisent des rotations avec de petites pirogues et moins de chargement, explique Ronaldo Mekou, piroguier à Papaïchton. On est parti il y a quelques jours avec quatre barils de carburant, au lieu de 27 en temps normal. Malgré tout, on a eu du mal à les transporter jusqu’ici".
Des trajets trop dangereux
Les petites embarcations consomment aussi plus de carburants avec des trajets plus longs et plus techniques. Outre les coûts supplémentaires, il y a les risques encourus pour les piroguiers.
"L’équipage devait suppléer aux difficultés du moteur, il fallait beaucoup d’efforts pour une trop grande prise de risques", ajoute Ronaldo Mekou. Triste démonstration : au départ de Maripasoula, une embarcation chargée de marchandises a chaviré, il y a deux semaines. La vidéo a fait le tour des réseaux sociaux.
Face au danger, des transporteurs ont jeté l’éponge. Plus aucune pirogue ne circule de Saint-Laurent à Maripasoula et jusqu’aux villages du Haut-Maroni. "Trop de risques et aucun bénéfice, heureusement que j’ai une autre activité à côté sinon c’était la mort assurée ", souffle Jonathan Abienso, transporteur fluvial.
Les transporteurs jettent l’éponge
"J’ai plus de 300 tonnes de marchandises bloquées à Saint-Laurent, déplore-t-il. Généralement la fin d’année est une grosse période d’activité, les clients font du stock pour bien débuter l’année suivante".
Ce transporteur fluvial estime perdre près de 30% de son chiffre d’affaire annuel, soit 100 000 euros : "la perte d’activité est énorme pour une petite entreprise comme la mienne".
Plus inquiétant encore : "Habituellement, on s’adapte à la saison sèche car elle ne dure pas. Cette fois-ci, on a bien compris que ça allait durer et c’est une catastrophe pour les habitants de Maripasoula et des communes du fleuve", ajoute Jonathan Abienso, transporteur fluvial.
Les commerçants cessent leurs commandes
L’année prochaine, il envisage de proposer à ces clients d’augmenter les stocks avant la saison sèche. "Mais ce n’est pas gagné d’avance, il leur faudra de la trésorerie", ajoute-t-il.
A Papaïchton, une commerçante explique qu’elle a cessé toute commande. "Je ne vais pas acheter de marchandises sans être sûre de pouvoir les acheminer", commente Joyce Telon qui commande habituellement trois tonnes de marchandises tous les deux mois. Depuis le comptoir de sa supérette situé au bord du Maroni, elle confirme n’avoir jamais vu le niveau de l’eau aussi bas.
Les rayons se vident et les prix flambent
Partout ailleurs, les marchandises se raréfient dans les rayons des supérettes de Maripasoula et Papaïchton. Le peu de produits encore disponibles se vend à prix d’or : 100 euros la bouteille de gaz, 18 euros le pack d’eau ou encore 30 euros le sac de 5 kilos de riz. Sur la rive opposée, au Suriname les prix aussi ont flambé.
En attendant, le fret aérien a augmenté ses capacités d’acheminement, mais son prix reste plus élevé que le transport fluvial. Il faut compter 0,65 centimes pour acheminer un kilo de marchandises en pirogue contre environ le double en avion.
Acheminement d’urgence par l’armée
De son côté, l’Etat a déclenché le plan ORSEC eau le 31 octobre dernier. Et la préfecture a annoncé renforcer les moyens, ce jeudi. Trois avions Casa de l’armée vont désormais acheminer des denrées alimentaires jusqu’aux communes du fleuve, y compris sur les communes isolées de l’Est car l’Oyapock est aussi touché.
A Papaïchton, deux agents de la sécurité civile viennent d’arriver pour recenser les besoins de la population en eau, en gaz et en produits de première nécessité. D’autres équipes sont aussi déployées à Grand Santi et Maripasoula. Les marchandises doivent ensuite être acheminées en conséquence, promet l’Etat.
Une solution d’urgence pour venir en aide aux habitants dans les jours qui viennent. Mais quelles seront les solutions à moyen terme ? Météo France Guyane annonce déjà une pluviométrie déficitaire pour tout le mois de novembre. Certains prévisionnistes estiment même que cela pourrait durer jusqu’en décembre.