"En devenant médecin, nous n’avons pas fait le choix de savoir qui doit vivre et qui doit mourir" le docteur Crépin Kezza livre un témoignage bouleversant

Docteur Crépin Kezza médecin chef des Urgences du CHOG, directeur médical de la cellule de crise au CHOG.  
Le docteur Crépin Kezza, chef de service des urgences du CHOG et directeur de crise Covid dans cet hôpital a livré un témoignage poignant mercredi. Les directions et responsables médicaux du Groupement Hospitalier Territorial ont alerté sur la saturation des lits de soins critiques.

Le docteur Crépin Kezza, chef de service des urgences du Centre hospitalier de l’ouest guyanais (CHOG) et directeur de crise Covid dans cet hôpital a livré un témoignage poignant mercredi lors d’une conférence de presse au Centre hospitalier de Cayenne. Les directions et responsables médicaux du Groupement Hospitalier Territorial (Hôpitaux de Cayenne, Kourou et Saint Laurent du Maroni) ont alerté sur la saturation des lits de soins critiques face à l’épidémie de Covid 19, la « stagnation » de plus en plus longue de patients aux urgences, et l’épuisement croissant du personnel soignant, au bord de la rupture. Nous livrons ici de larges extraits du témoignage spontané face à la presse du Docteur Crépin Kezza sur la situation au CHOG. 

 Depuis deux semaines, il n’y a aucun lit disponible au CHOG, en pédiatrie, à la maternité car il y a beaucoup de naissances, aucun lit en service de médecine polyvalent, qui reçoit des patients covid pas très graves, et surtout aucun lit en réanimation. Tout ceci entraîne une stagnation des patients au niveau des urgences que je dirige. Depuis quatorze jours, nous avons vu le nombre de nos patients augmenter, des patients qui en principe restent une journée. Sachant que la capacité de mise en observation de notre hôpital est de douze lits, aujourd’hui, nous en sommes à garder une vingtaine, parfois une trentaine de patients aux urgences. Parmi ces trente, une douzaine sont des patients covid, très souvent, entre huit et dix relèvent de la réanimation. Etant donné que nous n’avons aucun lit de réanimation, nous nous tournons très souvent vers le professeur Kallel, chef de service réanimation à l’hôpital de Cayenne, qui souvent lui aussi n’a aucune solution à nous proposer. Nous ne pouvons pas transférer au Suriname, notre plus proche voisin. La Martinique, c’est très compliqué parce qu’ils sont en train de sortir de la tempête.

 

Manque de personnels

Les personnels sont saturés. Certains n'ont pas pu prendre de congés et enchaînent les nuits de garde. Un épuisement moral et professionnel pour des soignants qui doivent faire face à cette nouvelle vague, à l'obligation vaccinale, et à des agressions répétées qui ne sont plus supportables. 

Nous avons des patients qui stagnent et nous avons une réduction très importante des ressources humaines paramédicales. Nous on a besoin de six infirmières chaque jour pour exercer, nous nous retrouvons très souvent à trois. Face à trente patients, vous imaginez comment on peut faire pour gérer ces patients qui stagnent chez nous, pour pouvoir leur donner des soins de qualité, en plus des soins très techniques qui sont des soins de réanimation ? On a cette bonne volonté d’ouvrir des lits, faire des soins, car un service d’urgence ne peut pas fermer la porte et dire aux gens de rester dehors. La bonne volonté elle y est, l’amour de nos patients y est, on est arrivé à ce point-là, d’être plutôt dans l’amour, car je ne sais pas ce qui nous retient encore à pouvoir travailler dans ces situations…

 

Montrer la réalité hospitalière

Un patient arrive dans l'unité Covid en réanimation

Une inadéquation entre la rumeur publique et la réalité dont les conséquences sont dramatiques. A tel point que, le docteur Kezza décide de parler, de montrer, d'interpeller "J'aurais voulu que ce live soit fait car ça permettrait de montrer les patients dans les couloirs, ou dans des services transformés en salle de réanimation : ils ne sont pas dans les salles qu’il faut, quand on met deux patients dans une petite salle"

Ce ne sont pas des chambres avec des lits, mais avec des brancards, les patients n’ont pas de toilettes dans la chambre. Il était de ma responsabilité de chef de service de le dire. En plus, nous avons des patients qui ne sont pas des patients covid, il y a eu un fort taux d’accidentologie ces derniers temps, donc nous avons tout cela à gérer. Nous travaillons dans des conditions très très difficiles avec un sous-effectif qui ne cesse d’augmenter chaque jour avec le mécanisme de l’obligation vaccinale et de la grève. On voit des jeunes infirmières qui arrivent, qui signent des contrats, tiennent le coup mais la nuit on les voit à la fin de leur service en train de pleurer…elles rentrent à la maison en pleurant, à la limite de la rupture…Souvent elles démissionnent …Toutes les directrices de soins qui sont ici vous diront qu’il y a un fort taux de démission de ces jeunes infirmières qui partent parce qu’elles n’en peuvent plus de travailler dans ces conditions-là, surtout qu’elles se voient délaissées par certains de leurs collègues qui pour leurs raisons se mettent en situation de grève.

 

Des choix douloureux

Trier les malades, l'acte ultime. Le docteur Kezza, évoque cet acte douloureux tant sur le plan émotionnel, qu'éthique. Il a choisi d'en parler comme pour justifier les décisions qui seraient prises dans les prochaines semaines. Un choix à venir difficile et douloureux. 

Depuis cinq jours, nous avons activé notre commission d’éthique. La commission d’éthique, c’est malheureusement choisir qui doit vivre…Or je pense qu’il n’y a que Dieu seul, moi qui suis chrétien, qui doit décider. Si nous ne le faisons pas, nous allons peut-être laisser mourir des jeunes qui ont peut-être tout l’avenir devant eux. C’est tout un débat : pourquoi celui-ci on doit le laisser partir versus un autre ? La commission d’éthique est là pour soulager un peu les médecins, car quand vous prenez des décisions  comme cela, quand vous rentrez chez vous c’est très très difficile. Nous avons eu malheureusement à prendre une décision de ce type et ça a été très très difficile.Tout ça on est obligé de vous le dire, nous ne sommes pas des champions, nous sommes pris à l’hôpital nous n’avons pas peut-être pas le temps d’écrire des fake news et tout un tas de choses. Nous avons fait le choix de soigner des gens et non pas accompagner des gens de façon maladroite dans des lieux qui ne sont pas prévus pour cela. Quand nous avons pris ce chemin (de la médecine), nous n’avons pas fait le choix de choisir qui doit mourir et qui ne doit pas mourir. Nous nous posons la question : jusqu’à quand allons-nous tenir ? Combien de temps pourrons-nous tenir pour soigner la population Saint-Laurentaise ? Vous savez qu’on a aussi des gens du Surinam qui arrivent, on ne peut pas les chasser, ça nous entraîne beaucoup de problèmes

 

Appel à la raison

Patient traité en réanimation au Centre Hospitalier de Cayenne

La vaccination reste la seule arme connue contre la Covid-19. En outre maintenir les gestes barrières, est une nécessité avant la commercialisation d'un traitement. Le docteur Crépin Kezza souligne l'importance du dialogue et la circulation d'une information vérifiée, stable. 

Il n’y a pas de miracle. Il faut s’asseoir, discuter les uns avec les autres. Il nous faut la vaccination : nous nous sommes vaccinés d’abord pour la population pour laquelle nous nous sacrifions encore pour être à ses côtés. Quand certains disent du mal de nous, disent que nous touchons des sommes payées des laboratoires, ce qui est archi-faux…Nous sommes des scientifiques, et quand nous allons à des congrès, des laboratoires peuvent nous payer le bus, le train ou l’avion pour y aller. Mais ça ne veut pas dire que nous avons été magouiller pour mettre en péril la vie des guyanais et de la population qui nous fait confiance. A Saint Laurent, ça fait quatorze jours qu’on ne sait plus quoi faire… On met tous les moyens, toute notre intelligence, tout l’amour qu’il faut mais à un moment donné, on ne pourra pas aller plus loin…

(Propos recueillis par Laurent Marot)