Cheveux courts bien coiffés, toujours apprêté, Steven Caroupanapoullé occupe le terrain. A 33 ans, le jeune homme soigne autant son langage que son image, apportant fraîcheur et modernité à la fonction.
Plus jeune président de Ligue de Football de France
Actuellement dans l'Hexagone pour son travail au Grand Port Maritime, il accepte de revenir par téléphone sur son parcours. Les débuts, les clubs, les victoires, les défaites, les leçons, les rencontres... Sa bonne volonté à fouiller dans ses souvenirs est aussi appréciable que la minutie qu’il apporte dans les réponses aux questions.
Elu président de la Ligue de Football de Guyane le 10 novembre, il a pris ses fonctions mardi 26 novembre. Plus jeune président de ligue de France, il accède à ce poste avec un parcours de vie qui semble l’y avoir conditionné.
Le football, une histoire de famille
Chez les Caroupanapoullé, le football est d’abord une histoire de famille. En demandant le grand-père, Omer Samson, il faut se tourner vers la Guadeloupe, le Dynamo Le Moule ou l’AS Petit-Canal. Ses oncles paternels et maternels sont aussi dans le milieu "mais soutenaient des équipes rivales", s’amuse-t-il.
Steven Caroupanapoullé voit le jour en 1991 aux Abymes. Son père est professeur des écoles avant de se lancer dans le BTP. Sa mère fera carrière dans les assurances "d’agent de clientèle, à responsable d’agence", précise-t-il avec admiration. Aîné d’une fratrie de trois enfants, il arrive en Guyane à l’âge de deux ans.
A Soula à 5 ans
Très vite, la famille s’installe à Soula, le point d’ancrage. Le papa, Jacques Prospère, est bien connu dans la commune. Il sera président et membre fondateur du Dynamo Club de Soula, dirigé plus récemment par le frère, et qui a aussi eu Steven comme secrétaire adjoint.
"J’avais 5 ans lorsque j’ai joué au football pour la première fois dans le quartier, raconte Steven Caroupanapoullé qui s’essaiera aussi à la natation et au taekwondo. J’ai rencontré des jeunes des clubs de Roura, Balata et du Sport Guyanais". Des coachs du quartier le repèrent et lui proposent de jouer en club.
De multiples clubs jusqu’à 17 ans
A 9 ans, Steven entre au Sport Guyanais, puis à l’AJ Saint-Georges deux ans plus tard et au CSC de Cayenne, "le club colonial", à l’âge de 14 ans.
Là encore, il rencontre de nouveaux joueurs et des staffs différents. A 16 ans, il signe au Dynamo de Soula en Régionale pour deux saisons et joue aussi au futsal à l’AS Guy. En 2009, il fait partie de l’équipe Universitaire de futsal Guyane, mais arrêtera un an plus tard à la suite d’une blessure.
De la blessure à l’intendance
"En 2011, mon père devient président du Dynamo de Soula, raconte Steven. J’ai commencé à l’accompagner sur les matchs, je donnais un coup de main pour l’intendance, les à-côtés". Pendant près de trois ans, sur le bord du terrain, Steven découvre la logistique d’un club. A 20 ans, il passe de l’autre côté de la barrière et fait, là encore, beaucoup de rencontres.
Technicien supérieur au Grand Port Maritime
Son bac en poche, il suit une licence AES, Administration, Economie et Sociale, à l’Université de Guyane. "Je ne savais pas ce que je voulais faire comme métier, mais j’étais attiré par l’informatique", se souvient-il.
En 2013, il signe au Grand Port Maritime de Guyane et deviendra technicien supérieur du SIG, Système d’Informations Géographiques. "Je crée des bases de données pour mener des analyses cartographiques", explique celui qui est aussi webmaster du Grand Port Maritime.
Rigueur, précision et respect des règles
La précision des chiffres, la rigueur des données : Steven Caroupanapoullé aime les choses "claires et carrées". Et surtout "faites dans les règles". Quand ce n’est pas le cas, il avoue "son impulsivité". "Quand quelqu’un dépasse les bornes, ou que les règles ne sont pas respectées, c’est dur pour moi", reconnaît-il.
Parfois, il s’en va, jette l’éponge. Parfois, il trouve d’autres moyens de se faire entendre. Au Grand Port Maritime de Guyane, Steven Caroupanapoullé devient président du SPEPMG, le Syndicat Professionnel de l'encadrement du Port et de la manutention de la Guyane en 2022. Là encore, il sera le plus jeune président du syndicat.
Toujours se professionnaliser
En 2015, il entre dans le bureau du Dynamo de Soula en tant que secrétaire adjoint et accompagne les équipes U11 et U15, pour la première fois, en tant que dirigeant. Il reste présent sur les terrains en jouant au futsal, reconnu par la ligue depuis 2012, mais aussi au beach soccer à Rémire et Cayenne.
"J’ai dû remplacer l’encadrant rapidement, j’étais un peu esseulé, avoue-t ’il. J’apprenais sur le tas, mais j’ai sollicité très vite une formation à la Ligue". Alors qu’il prend énormément de plaisir dans ses nouvelles fonctions, Steven veut se professionnaliser.
"J’apprenais aux gamins à bien se comporter, je leur transmettais l’éducation que j’avais eu la chance de recevoir, raconte-t-il en soulignant l’aspect social de sa mission. Tout en leur transmettant mes connaissances du football".
Bien s’entourer
Toujours dans la volonté de se professionnaliser, il suit une formation d’arbitre en 2016. "C’était aussi pour que mon club soit en règle vis-à-vis des statuts de l’arbitrage", ajoute-t-il. Son examinateur de l’époque n’est autre que Grégory Prévot qui siège aujourd’hui dans son comité directeur à la Ligue.
Sur la saison 2016-2017, Steven Caroupanapoullé devient secrétaire général du Dynamo de Soula. Il fait venir un de ses amis proches, Laurent Viltard, comme coach et son frère Ludovic Viltard est nommé capitaine. Ils emmènent le club à la troisième place du championnat de 2017, interrompu par les mouvements sociaux. Aujourd’hui, Laurent Viltard est sélectionneur des U23 et a été selectionneur par intérim des Yana Doko lors de leur récent déplacement à Belize pour la Concacaf. Cet ami de 20 ans décrit Steven comme un homme "honnête, impartial et soucieux des autres".
En se créant "un réseau" au fil de sa carrière, Steven Caroupanapoullé comprend l’intérêt de bien s’entourer. Sociable et curieux, il apprend et retient de ceux qu’ils croisent.
Des visions différentes de son père
Mais parfois son impulsivité lui joue des tours. Malgré un bilan positif au Dynamo de Soula, il quitte le club présidé par son père et se fâche avec lui. "Je prônais une politique basée sur l’accompagnement des jeunes, alors que lui voulait faire briller la vitrine du club avec les séniors", analyse-t-il avec le recul.
Steven Caroupanapoullé rejoint l’Olympique de Cayenne, suivi de près par Laurent Viltard. "Mon père disait alors que Mr Darnal avait volé son fils", se souvient-il. Après plusieurs années de silence, le père et le fils arriveront à en reparler. "Il a mis du temps à comprendre l’importance d’avoir un vivier de jeunes dans un club, ça s’est arrangé en 2021, il est décédé en 2023, souffle-t-il. Il était fier, il disait que j’étais devenu un des meilleurs dirigeants du football guyanais".
Albert Darnal, un mentor
En 2017, Steven signe à l’Olympique de Cayenne en tant qu’arbitre, dirigeant et accompagnant des catégories U7, U9, U19 et seniors. Laurent Viltard le suivra. L’équipe évolue en Régional 1 et joue le maintien.
"J’arrive dans un club où le président Albert Darnal a une rigueur semblable à celle qui m’inspire, décrit Steven Caroupanapoullé. Le club a une politique pour les jeunes et met en avant les valeurs sociales". Il se retrouve dans cet environnement et structure l’accompagnement des jeunes.
"J’essaie d’être réactif aux demandes des parents, j’accompagne les procédures auprès des collectivités, je démocratise la vie du club et communique davantage", détaille-t-il. En 2018, il accompagne aussi les U11, U13, U15. "Je remets les chaussures pour la partie technique, j’interviens sur les veilles de match et la coordination". Il s’investit alors autant sur la partie technique, qu’administrative.
En 2019, Albert Darnal lui propose de devenir secrétaire général de l’Olympique de Cayenne. En quelques mois, il rafraîchit l’encadrement et l’image du club, "avec des trentenaires de ma génération".
L’euphorie à Cayenne
Père de trois enfants, il a de moins en moins de temps sur le plan personnel. "Avec une vie professionnelle et associative aussi intense, je n’avais pas les mêmes activités que les jeunes de mon âge", concède-t-il.
En 2020, le club de l’Olympique de Cayenne est promu, monte en division supérieure et devient championne de Régionale 1 de Guyane. L’euphorie. "La victoire donne des ailes, avoue Steven Caroupanapoullé. Dans la foulée, on saisit l’opportunité de participer à la Concacaf Caribbean Club Championship qui avait lieu à Saint-Domingue".
Les conditions financières du club ne sont pas optimales, le déplacement va coûter cher. "On finit par partager les frais avec un club de Guadeloupe, on trouve de l’aide financière et on y va en charter", retrace Steven. L’anecdote a de quoi faire sourire tant elle rappelle, quatre ans plus tard, celle des Yana Doko.
Les Yana Doko en guise d’accueil ?
"On ne pouvait pas ne pas y aller, redit-il sur ce déplacement à Belize le 16 novembre. Il fallait éviter les sanctions financières, et le forfait pour que les jeunes pratiquent encore avec la Concacaf. Même en mode dégradé, il fallait y être pour ne pas décevoir le foot guyanais et le peuple. Tout en tenant compte de la réalité financière de la Ligue".
Au-delà de son impulsivité, Steven Caroupanapoullé sait aussi être dans la recherche de compromis. "Pas de problème, que des solutions", pourrait-être son leitmotiv. Surtout quand la solution se trouve dans ce qu’il maîtrise : la précision des chiffres, l’optimisation des données et la logistique.
Le futsal club de Soula
En janvier 2019, avec des amis du quartier, ils décident de créer le futsal club de Soula. Il est nommé vice-président et tient à ce qu’une femme en prenne la présidence. Membre fondatrice, Andréa Imfeld est aussi depuis 2022, la présidente du futsal de Guyane qui compte 27 clubs. En 2022, le futsal club de Soula a remporté la Coupe de Guyane de futsal, et maintient encore sa belle dynamique aujourd’hui.
Des divergences et puis s’en va
L’Olympique de Cayenne est à son apogée lorsque des divergences voient le jour sur l’avenir du club. Lui veut envoyer éducateurs et dirigeants en formation. D’autres non.
En 2022, le président de l’Olympique de Cayenne demande à Steven Caroupanapoullé de faire un choix : rester secrétaire général de Cayenne, ou vice-président du futsal club de Soula ? Il fera le choix du cœur en restant à Soula.
Comment bien diriger la Ligue ?
De manière générale, ce jeune encadrant ne sait pas faire semblant. Si ça ne lui convient pas, il part. "Je ferai pareil à la ligue de foot de Guyane, assure-t-il. Si demain je vois que c’est trop compliqué de régler des choses, je quitterais le poste, mais si je vois que ça avance et que le travail est fait, je continuerais".
Selon lui, diriger la Ligue est bien différent de diriger un club. "On a le choix de son comité directeur, ça fait toute la différence, estime-t-il. J’ai le sentiment que ça sera plus simple et ça s’inscrira dans la stabilité et la durée".
Un comité directeur de fidèles et de professionnels
Des proches, des fidèles, des connaissances, des femmes et des CV fournis, "tous sont des professionnels", martèle-t-il. "Avec un seul mot d’ordre : l’intérêt général doit primer !". Son comité directeur de Ligue comprend 18 membres. Tous les bassins de vie de Guyane y sont représentés de Saint-Georges à Papaïchton, complète-t-il. Le fruit d’un réseau varié qui s’est étoffé au fur et à mesure des clubs et des rencontres.
Un réseau au-delà du football
"Être arbitre et coach m’a permis d’avoir la proximité de terrain avec les dirigeants et les acteurs du football", souligne-t-il. Depuis 2016, il est aussi dans différentes commissions de la Ligue de football de Guyane. "Cela m’a permis de connaître des gens que je n’aurais pas forcément croisé en bord de terrain", spécifie-t-il.
Au-delà du football, Steven Caroupanapoullé est très impliqué dans le monde associatif : président d’une association de soutien scolaire aux jeunes de Soula, membre du conseil d'administration du collège de Soula, d’une association carnavalesque et d’une association musicale avec laquelle il pratique la flûte. Ancien colistier sur la liste d’Emmanuel Prince à Macouria, aux municipales en 2020, il n’ira pas plus loin en politique, mais tentera quand même "d’apporter son expérience sportive".
Le black-out de 2022
Sa passion pour le football est envahissante et son investissement total. En 2022, c’est le passage à vide. Vainqueur de la coupe de futsal de Guyane avec son club de Soula, Steven annonce à ses amis qu’il "va arrêter le football".
"C’était devenu trop prenant, je n’avais plus de temps personnel, des difficultés à gérer le professionnel, je voulais tout arrêter", relate-t-il. Toujours bien entouré, il faudra peu de temps à ses amis et à la mère de ses enfants pour l’en dissuader. "Tous y voyaient un coup de tête, mon impulsivité, j’avais besoin de recul".
La marche vers la présidence de Ligue
A la Ligue, des anciens voient déjà en lui "un dirigeant compétent", "capable de faire partie du prochain comité directeur". Il sait que certains vont passer la main. L’idée commence à cheminer.
Comme à son habitude, il prend conseil auprès de sa garde rapprochée et s’assure de son soutien. Après des vacances dans l’Hexagone, il décide de constituer une équipe. Eternel vice-président de club, il n’imagine pas occuper plus haute fonction.
"Pendant deux ans, j’ai rencontré environ 65 des 77 présidents et présidentes de clubs, relate-t-il. Il fallait s’investir moralement, financièrement, et continuer à être actif avec le club de futsal de Soula". Au fil de cette campagne de terrain, l’évidence s’impose. Il prend la tête du groupe pour briguer la présidence de la Ligue. "Je voulais le meilleur choix pour relever le football guyanais", dit-il.
Pas trop de pression ?
Considéré par certains comme le "Messie", ressent-il une pression ? Il assure que non. "On n’a pas la crainte de décevoir quand on part de zéro, tacle-t-il. On ne peut que mieux faire. Je veux donner une nouvelle dynamique au football guyanais, avec des bases solides. En finir avec les dérives et décadences de ces dernières années".
Conscient de la difficulté du poste, il a aussi confiance en son équipe "constituée de personnes que j’ai choisies méthodiquement et qui ont tous l’intérêt général comme unique motivation".
Ses priorités pour la Ligue
Pour le football comme le futsal, ses priorités et sa détermination sont les mêmes. "Apporter de la variété dans les compétitions, développer les partenariats avec les clubs extérieurs, donner des perspectives d’évolution de carrière aux jeunes et aux encadrants, énumère-t-il. Il souhaite aussi des "bases solides", en "formant ou reformant les dirigeants sur tous types de niveau : administratifs, financiers et techniques". Il faut "professionnaliser les pratiques pour avoir de la rigueur dans ces clubs et dans la ligue".
En imposant aux autres, ce qu’il s’impose à lui-même, il pourrait bien faire de son ambition personnelle, un espoir collectif pour le football guyanais.