Mirabelle Nugent, enseignante et directrice de l'unique classe, jongle avec tables et chaises, pour permettre à chacun de trouver sa place, quelque soit son âge, de la maternelle au Cm2. Elle veille bénévolement à la réussite des collégiens et des lycéens.
A Saül, la polyvalence est indispensable. S'adapter aux différents postes, aux espaces en fonction de l’organisation municipale. Exemple concret : l'école. Au départ, elle devait être réhabilitée. Finalement, ce projet a été abandonné au profit de la construction d'un établissement flambant neuf, entièrement financé par l'État.
La raison pour laquelle la classe a été installée temporairement dans la pièce unique de la mairie, il y a maintenant 4 ans.
Première pierre de la nouvelle école posée en 2014
La première pierre a été posée il y a sept ans. La société Gaïa a répondu à l'appel d'offre et a été choisie pour les travaux. Problème: le transport des matériaux de construction est complexe compte-tenu de l'isolement du village. La mairie estimait que la compagnie aérienne Air Guyane, qui transporte les résidents, les touristes, les produits de première nécessité, pouvait faire l’affaire.
Mais les lets 410 de la compagnie aérienne sont-ils habilités pour ce type de transport ? A t-on sollicité au préalable la compagnie pour ce projet d'envergure ? Réponse de Christian Marchand, directeur régional de la compagnie :
Air Guyane n'est pas habilitée pour ce type de transport
La municipalité quant à elle, se défend, en soulevant l’épineuse question de la sur-élévation des coûts du transport :
Nous vivons dans une commune très isolée. L'acheminement des matériaux nécessaires pour la construction de cette école, se fait en grande partie en hélicoptère. Cela a un impact sur la durée des travaux et sur le coût de l'ouvrage.
Conséquence directe : un retard colossal sur la livraison de l’ouvrage. La compagnie ne peut être tenue responsable de cette situation selon son directeur.
Air Guyane ne fait que respecter le cahier des charges c'est-à-dire prendre en priorité les produits de première nécessité et transporter les matériaux de constructions quand cela est possible.
En 2018, la société Gaïa est revendue. Lysner Premier, le nouveau gérant, décide de mettre les bouchées doubles pour achever ce chantier débuté 4 ans auparavant. Il se dispense des services d’Air Guyane et privilégie la route Bélizon-Saül.
L'axe a été tracé en 1952, et a été remis en service en 2018 par la collectivité territoriale de Guyane.
Les matériaux quittent Cayenne pour arriver à Bélizon, dans la commune de Régina, par camion. Et depuis ce lieu-dit, le reste du trajet se fait en hélicoptère.
Ce qu’il faut bien comprendre, explique Lysner Premier, c'est que construire une école au cœur de la forêt amazonienne, ce n'est pas une chose anodine. Et quand la pandémie s’en mêle, chaque assemblage, chaque finition, a des allures de miracle :
Il y a une dizaine d'ouvriers qui travaillent tous les jours sur ce chantier. Comme de nombreuses entreprises, nous subissons les aléas de la crise sanitaire. Quand plusieurs ouvriers tombent malades, ça a pour effet de ralentir le chantier.
Frein supplémentaire à l'avancée des travaux: l'entreprise est soupçonnée de ne pas verser leurs salaires à ses ouvriers et d'avoir une dette de plus de 50 000 euros. Une rumeur totalement infondée pour son gérant, qui nuance :
Mes ouvriers sont payés. Nous avons eu un retard de salaires il y a quelques mois, mais cela a été très rapidement réglé.
Lysner Premier : Les ouvriers du chantier sont correctement rémunérés
Lors de cette interview réalisée en octobre 2021, l'entrepreneur avait l'espoir que l'école puisse ouvrir pour la rentrée de novembre :
L'ouverture de l'école prévue en novembre 2021
Résultat: le 18 novembre dernier, voici à quoi ressemblait la nouvelle école de la commune :
Seules les fondations des logements de fonction ont été posées. En ce qui concerne le permis de construire, beaucoup de mystères restent à élucider.
Les informations légales ne sont pas mentionnées telles que la date précise du début du chantier.
À quand l'ouverture de l'école de Saül ? Après avoir passé la barre du million d'euros d'investissements, il n'y a toujours pas de date précise envisagée. Fenêtres, portes, restent à poser. Parallèlement, les 21 élèves de la commune continuent de s'agglutiner dans une salle d'à peine 20m2. Des enfants qui grandissent, et qui seront de plus en plus en nombreux à ne plus vouloir quitter leur terre natale pour faire leurs études sur le littoral.
L'idée d'un collège ou d'un lycée n'est même pas envisagée ni envisageable. La vie suit donc son cours dans cette commune d'Amazonie où Mirabelle Nugent, avec les moyens du bord, fait de sa petite école, un pôle d'excellence.
Les faux bons investissements
Focus à présent sur le pain de Saül. Croustillante et dorée en temps normal, si elle n’est pas repassée au four, la baguette est loin d’avoir toutes ces qualités. Et pour cause, elle vient de Cayenne. Elle est transportée par Air Guyane lors de ses tournées hebdomadaires.
Une situation d’autant plus surprenante que la CCOG, l'État, la Région Guyane ont déboursé pas moins de 500 000 € pour la construction d’une boulangerie au cœur de la commune. C'était en 2009.
La structure, dotée d’un espace cafétéria, devait fournir le pain du matin aux résidents, et, par la même occasion, être un lieu de distraction pour les touristes. Les fourneaux ont été mis en service une fois fin 2016 et depuis les machines sont à l'arrêt.
La raison : pas de boulanger pour maintenir l’activité. Pourtant, le projet avait été mûrement réfléchit selon la municipalité. Jean-François Bernard premier adjoint à la mairie de Saül :
Le dossier de la boulangerie de Saül est assez complexe
Des dossiers complexes, il n'en manque pas à Saül. La CCOG, a investi dans des engins. L'objectif : assurer la maintenance des routes non homologuées, ou encore permettre aux agents de la mairie de pouvoir réaliser des petits travaux du quotidien comme l'entretien des espaces verts.
Tracteur, camion, tractopelle, attendent patiemment d'être libérés de leurs lianes :
Entre l'école inachevée, les engins abandonnés, et la boulangerie inutilisée, les résidents vivent avec ces conditions contraigantes qui ne favorisent pas le développement de la commune sur le plan socio-économique et touristique.