Tedjee a mûri et cela s’entend… Cet album, évoque la terre, les racines, le retour à l’essentiel, à ce que la nature peut offrir. Le chanteur n’a pas forcément oublié les belles ballades qui ont fait sa réputation mais cet album-là est différent. Les titres sonnent comme un réveil, interpellent les consciences, les accords éveillent les sens, les textes dont deux signés par Christiane Taubira, ouvrent un chemin.
J’ai eu l’honneur de mettre en musique deux textes écrits par madame Christiane Taubira : Damas et Félix Eboué. Félix Eboué est une chanson qui résume la trajectoire du personnage entré dans l’Histoire. Damas, dans le même esprit, retrace la vie du poète passant en ricochets entre différents extraits de ses poèmes. Le déclic (ou deuxième déclic) fût lors des mouvements sociaux de 2017 où j’entendais beaucoup le tambour sur les ronds-points ou les lieux de rassemblement, période où j’ai pu aussi entendre des chants sur d’autres rythmes que le Kasé-Ko, tel que le Grajé ou encore le Lérol. Cette période m’a renvoyé à ma démarche déjà entamée, et je me suis replongé (avec la maturité en plus ) dans la musique traditionnelle en ré-écoutant ce qui avait été fait ou en étant en immersion directe live lors des manifestations.
Tedjee a toujours été un artiste à part, imposant un style résolument nourri par des influences musicales extérieures tout en restant profondément attaché aux sons de sa Guyane natale. Depuis des décennies, il trace son sillon sans se renier, sans oublier d’où il vient. Ce quatrième album le confirme, les chansons, pour la plupart, reflètent la réalité et la nécessité évidente, de sortir de l’aveuglement. L’album comprend 7 titres dont "Laro Mo bati" déjà sorti. Un titre qui a battu des records de vente. Selon Tedjee « une chanson tombée à pic, qui a fait énormément de bien durant la période de confinement, elle véhicule des valeurs positives telles que le retour à la terre, à notre pharmacopée, l’entraide, la transmission, la famille ».
On peut entendre dans Laro mo Bati des influences pop-reggae alliées au rythme du Kamougé. Le tambour est de fait un instrument qui a accompagné de tout temps les résistances de même que le créole est aussi une langue vivante qui résiste. Je n’ai pas nécessairement souhaité faire un album « militant » c’est le choix des chansons qui donne cette teinte. En revanche, j’ai eu une réelle volonté de revenir à ce qui me parait essentiel, authentique, une réelle volonté d’explorer sur certains titres ( hors des sentiers battus aussi bien musicalement que sur les thèmes abordés ) et d’incarner leurs sens avec un peu plus de consistance. Probablement que le cheminement personnel, les prises de conscience ont également influés.
Transmettre en restant dans l'air du temps
Tedjee avec cet album, est comme un explorateur, cherchant à combiner de nouveaux sons, de nouveaux rythmes. Il veut assurer également un rôle de transmission. Il collabore aujourd’hui à divers projets pédagogiques.
En puisant à la source, comme beaucoup d’autres groupes ou chanteurs (euses) ont pu le faire avant moi, j’ai voulu à mon tour tenter de proposer à travers quelques chansons ma vision de la tradition alliée à la modernité. Ce sont des chemins que j’avais emprunté, commencé à défricher il y a de cela plusieurs années mais pour certaines raisons beaucoup de chansons ne sont restées qu’au stade expérimental et ne sont jamais sorties. J’ai pu déjà explorer sur mes albums, différents univers musicaux, Jazz-Soul-Blues , Reggae, Zouk, Bossa-Nova, Pop mélangeant également les langues : Français, Anglais, Créole, Portugais et c’est encore le cas sur ce dernier opus qui au départ devait contenir 14 titres. Pour des raisons de temps et de coût, j’ai préféré le scinder en deux et réunir quelques titres qui étaient dans la lignée de la chanson Laro Mo Bati axés sur la tradition.On peut donc entendre 4 titres sur les 7 avec des rythmes traditionnels créoles guyanais : Laro Mo Bati ( Kamougé ), Bèl Tan Pou Rivé ( Grajé ) , Batayon Kréyol ( Lérol ) et Félix Eboué ( Kasé ko )La clé s’il y en avait une, serait en musique comme en agriculture le Sol, notre biotope naturel, notre terreau culturel riche et fertile qu’il nous faut creuser et cultiver. Ki chak moun trapé sa yé bizwen o moman ou yé bizwen annan chak sé son-ya.
Tedjee est un artiste complet. Depuis des décennies il arpente la scène musicale de l’underground. Tout le monde se souvient de « Reyon limié » ou « Boomerang », deux de ses plus grands succès. Une constance qui l’amène à explorer sans cesse de nouveaux horizons. On sent en lui, l’amour des mélodies, des arrangements nourris au gré de ses voyages : Brésil, Canada, Paris et surtout sa Guyane. Il ne se projette pas, ne s’inquiète pas de son succès. Il vit son art tout simplement. C’est un artiste. Son succès fait de lui, l’un des meilleurs auteurs compositeurs interprètes guyanais de sa génération.