À Cayenne, le cabinet du Dr. Félix N’Gomba a retrouvé son activité habituelle. Le médecin est de retour après quelques jours de vacances. Cette année, pas de remplaçant.
L’assistante a dû gérer des patients mécontents. "Ils rouspètent beaucoup mais on essaie, au mieux, de les recevoir", s'explique Mariam Moore, assistante médicale.
Recevoir des internes "pour leur faire aimer le territoire"
Fermer ? Impensable pour le docteur Félix N’Gomba il y a encore deux ans, mais dans la liste des remplaçants potentiels, de moins en moins de médecins demandent la Guyane.
Quand un jeune a la possibilité de faire un remplacement en Martinique, en Guadeloupe, à la Réunion et en Guyane... pour des raisons que l'on pourrait expliquer, même si on ne les comprend pas toujours, la Guyane ne vient pas toujours en premier. On souffre un peu de ça, c'est pour ça qu'on a mis en place un circuit un peu plus solide : recevoir les internes pendant leur formation, pour leur faire aimer le territoire.
Félix N’Gomba, médecin généraliste et président du conseil national de l’ordre des médecins de Guyane
Le docteur Thomas Agapit a justement choisi de faire son internat en Guyane. Il finit en ce moment son stage. Le territoire lui avait été présenté de façon négative, il aurait donc pu aller chez lui en Martinique.
"On m'a dit 'qu'est-ce que tu vas faire là ?', 'il y a des bêtes'... Je me suis dit ben je vais découvrir. J'étais venu pour faire six mois et au final, comme j'ai apprécié la Guyane, voilà trois ans que j'y suis. J’ai fait tout mon internat et bientôt, d'ici trois mois, je le terminerai", témoigne l'interne en dernière année.
Absence de remplaçant : la situation critique en libérale
Le territoire a perdu 17 médecins depuis décembre 2022, dont 12 médecins généralistes. En cause, les départs en retraite, les décès ou départ définitif du territoire. Ils ne sont plus aujourd’hui que 94.
Seule solution selon le syndicat des médecins libéraux pour rendre la Guyane attractive : proposer des conditions financières et fiscales aux médecins.
Il y a +40% pour tous les médecins de Guyane... sauf les médecins de ville. Nous on est à +20% et les chirurgiens sont à +3%... donc ça, c'est quelque chose d'inégalitaire, qui ne correspond pas d'ailleurs aux principes élémentaires de la République. Et ça aussi, c'est quelque chose qu'on doit mettre en place et que l'on doit rétablir.
Dr. Jacques Breton, Président du syndicat des Médecins Libéraux de Guyane
Les dentistes aussi concernés
La pénurie concerne aussi les chirurgiens-dentistes. Pour avoir un rendez-vous, les patients doivent parfois attendre deux mois. En Guyane, ils sont officiellement 72. C’est seulement 24 dentistes pour 100.000 habitants... trois fois moins que dans l’hexagone (70 pour 100.000 habitants).
Sans avantages fiscaux là encore, difficile d’attirer.
Il y a des primes à l'installation, mais ce sont des primes qui sont allouées principalement aux praticiens qui veulent ouvrir un cabinet. Sauf que dans un cabinet on est à la recherche de remplaçant, de collaborateurs et ces collaborateurs-là ne bénéficient pas justement de ces dispositifs.
Dr. Johann PARIZE, chirurgien-dentiste, président de l’Union des représentants des professionnels de Santé chirurgiens-dentistes de Guyane
Il ajoute : "le jour où on arrivera à une catastrophe sanitaire, il y aura peut-être une prise de conscience et des décisions qui seront prises en fonction".
Les pharmaciens pas épargnés non plus
Profession sinistrée également : les pharmaciens. Le territoire compte 51 officines et pas assez de professionnels. Saritha Bafau en a racheté une il y a quatre ans. Elle a une adjointe, mais il aurait fallu deux pharmaciens de plus.
Quand [mon adjointe] part en vacances, je dois travailler de 7h à 20h du lundi au samedi et c'est vrai que ça en pâtit un petit peu sur la vie de famille, la charge de travail aussi est énorme. Du coup, on publie tout le temps sur Pôle Emploi (désormais France Travail, ndlr), sur les réseaux sociaux. On est tout le temps à la recherche de pharmaciens adjoints, mais effectivement... globalement, la Guyane n'attire pas spécialement les jeunes diplômés.
Saritha Bafau, pharmacienne à Cayenne
La solution pour beaucoup de professionnels : que les jeunes guyanais embrassent des carrières médicales. Cette année, 22 étudiants de l’université de Guyane sont admis en 2ème année en filière médecine odontologie et pharmacie. Une 3ème année ouvrira dès la rentrée de septembre 2024.