Wendy Lescot ou le parcours semé d’embûches d’une jeune guyanaise pour monter son entreprise de boucanage

Wendy Lescot dirige une entreprise de boucanage à Sinnamary
Après des études économiques et une expérience professionnelle aux Etats-Unis, la Guyanaise Wendy Lescot est rentrée en Guyane. Depuis 2020 elle exerce avec son associé une activité lucrative de « boucaniste » à Sinnamary. Les associés se battent maintenant pour monter une usine de boucanage mais le parcours est semé d’embuches.

A la tête de l’entreprise « S.O.S Boucanage » basée dans la commune de Sinnamary, il y a une jeune femme Wendy Lescot :

« J’ai 30 ans, je suis née en France et ai grandi en Guyane d’un père martiniquais et d’une mère guyanaise tous les deux entrepreneurs. A l’âge de 15 ans je suis partie en France dans un lycée international  car j’étais attirée par les langues. Je me suis rendue ensuite à New-York. J’ai vécu 7 ans et demi aux Etats-Unis et c'est à Atlanta que j’ai obtenu mon diplôme en économie internationale et administration de business. J’ai travaillé deux ans comme conseillère en héritage et patrimoine. »

Une vie à l’américaine à 100 à l’heure, très productive mais qui ne correspondait pas forcément aux attentes de qualité de vie de la jeune femme. Elle a alors décidé de tourner la page.
En 2019, elle choisit de retourner définitivement au pays. 

«  Cela m’a fait du bien, la Guyane c’était l’endroit où il fallait être. Cela avait du sens de renouer avec la famille et d’utiliser mon cerveau pour le pays qui m’a vue grandir. Mais c’était avant que je vois comment cela se passe vraiment »

Un démarrage d’activité rapide mais vite bridé par un système normatif très contraignant

 «Avec mon associé Guilmard Horth, nous nous sommes spécialisés dans le boucanage et avons commencé notre activité en 2020 pendant la crise covid. Nous avons tout de suite eu des retours positifs et depuis nous ne nous sommes pas arrêtés en dehors des haltes imposées par l’administration. La demande est très forte et nous avons une clientèle fidèle, le seul obstacle demeure la réglementation et ce que l’on requiert de nous et le poids que cela met sur nous. Nous avons acheté un terrain afin de créer une usine qui réponde aux normes réglementaires. Mais ce projet ne convient pas à l’administration qui nous demande de continuer à investir dans le local où nous travaillons actuellement situé dans un lotissement résidentiel. Cela induira forcément des problèmes de voisinage et d’environnementaux vécus ailleurs. Nous souhaitons partir au plus tôt de cette zone résidentielle mais nous sommes freinés ».

Guilmard Horth et Wendy Lescot les créateurs de l'entreprise S.O.S Boucanage à Sinnamary

Selon Wendy Lescot il y a deux conceptions qui s’opposent. Celle de l’administration qui contrôle plus qu’elle ne conseille et applique une réglementation uniforme et celle d’un entrepreneur qui doit avancer et se retrouve de fait constamment bridé par la pluralité des normes qui encadrent le secteur agroalimentaire.

 « Je ne pense pas que les conditions juridiques, les lois ou les régulations dans notre domaine : l’industrie agroalimentaire soient adaptées au contexte local. Elles sont très françaises, très européennes. Quand nous avons des contrôles et que l’on nous demande de nous mettre à jour au niveau de nos équipements notamment, cela ne peut pas se faire sur l’instant. Si on a besoin d’une machine généralement surtout au volume auquel on produisait, il faut absolument la commander en France, la faire customiser, l’acheminer, cela est très compliqué. On nous demande de nous mettre à jour avec les normes européennes. Évidemment, sans beaucoup de moyens financiers et sans grosse trésorerie il est difficile d’y parvenir pour de jeunes entrepreneurs qui veulent créer de l’emploi alors même qu’il y a une forte demande. De plus il y a un manque de suivi même pour obtenir des subventions, il faut d’abord avancer l’argent. Or pour ceux qui démarrent la trésorerie manque »

Autre obstacle à lever : celui du matériel spécifique. Le boucanage est une technique traditionnelle de transformation pour laquelle il n’existe pas d’outil homologué :

« Il existe des fumoirs électriques mais il y a une vraie différence de goût par rapport au boucanage. Nous avons fabriqué nos propres machines mais elles ne sont pas homologuées. Se pose aussi le problème du bois de Guyane qui ne convient pas pour le fumage, il faut importer du bois tel que le hêtre, le chêne pour faire du boucanage traditionnel guyanais. Et comme on le sait, la formule secrète du boucanage appartient à chaque boucaniste qui prépare son boucan comme il l’entend.»

Quelques produits boucanés produit par S.O.S Boucanage

La volonté de parvenir au bout de son projet

La jeune cheffe d'entreprise en est convaincue, cette usine de boucanage s’avère nécessaire pour répondre à la demande qui va en augmentant. Il s’agit d’assurer une meilleure distribution des différents produits sur le marché et de vendre notamment aux grandes surfaces et aux revendeurs.

« Dans ce domaine la diversification est importante et heureusement dans la nourriture il y a des options. Nous faisons beaucoup de prestations de traiteur, d’organisation de buffets, d’événementiels ou du marketing. Nous essayons de jouer sur plusieurs tableaux pour y arriver avec pour objectif : la trésorerie. Au niveau du boucanage je ne pense pas qu’il existe de réglementation à proprement parler d’ailleurs les analyses réclamées par la réglementation ne sont pas proposés par les laboratoires en Guyane. Il y a un manque d’alignement entre ce qui est requis pour les petites et moyennes entreprises et ce qui est proposé sur le territoire. Nous n’avons pas accès à tout ce qui nous permettrait d’avancer très vite si nous étions sur un sol géographiquement européen, il aurait été plus facile pour nous de développer notre activité ».

Quelles solutions ?

Wendy Lescot est une jeune femme travailleuse et pugnace. Elle va poursuivre dans la voie qu’elle s’est fixée de réaliser une usine de boucanage. Toutefois elle anticipe déjà un autre élément celui de la partie environnementale avec, entre autres obligations, le traitement des eaux usées, celui des fumées qui vont nécessiter des lourds investissements.

« Dans le système français, il faut être très procédurier. Pour le montage des dossiers nous avons fait appel consécutivement à trois personnes spécialisées dans ce domaine. Elles ont à chaque fois arrêté cette activité faute de résultats. Notre projet n’est pas basé que sur l’usine, il comprend beaucoup de branches et de filières car notre objectif est de participer au processus de souveraineté alimentaire en Guyane. Sans vouloir me poser en victime j’ai le sentiment qu’une personne avec beaucoup de moyens et de contacts pourrait remporter la mise dans ce domaine. Mais je sais que notre projet est viable car la demande existe. Je ne vais pas lâcher ».