“Est-ce qu’on peut klaxonner en ville ? Non ! répondent les jeunes en chœur. Quand est-ce qu’on klaxonne en ville ? Si c’est un danger réel, indique Fadhul. Exactement s’il y a une situation de danger réel“ acquiesce Laurence la formatrice code de la route. Ces jeunes font partis du dispositif Hima shababi. Un accompagnement pour les jeunes entre 16 et 25 ans en partie déscolarisé. Le but est de les remobiliser pour leur entrée dans la vie active.Fadhul,23 ans, a intégré le dispositif il y a 3 mois. Ce jeune de Labattoir a obtenu son bac économie et social au lycée de Petite-Terre en 2017. Et depuis, plus rien. “Je voulais être comptable à la fin de mes études mais faute de papiers je n’ai pas pu poursuivre mes études. Si je ne participais pas au dispositif hima shababi, je ne pourrais pas passer mon code parce que j’aurais des problèmes financiers pour m’inscrire dans une auto-école. Je suis ici également pour trouver des formations, du travail, commencer une vie active“ explique Fadhul. “Ça fait 3 mois que j’ai commencé le code. Mon rêve c’est d’avoir mon permis et d’être autonome. C’est très important d’avoir le permis, tu n’as plus à te soucier de trouver un taxi, tu n’es plus dépendant des gens pour te déposer. Ici, on apprend le code de la route et on fait une remise à niveau. Comme j’ai quitté l’école très tôt, ici, j’apprends des choses. On apprend le français, les mathématiques…" énumère Nafissa, 17 ans, de Vahibé.“On a souhaité faire un fil rouge pour les motiver : le passage du code de la route. Ça permet qu’ils s’accrochent, qu’ils s’intéressent. A l'issue on leur fait passer le permis“
Les mathématiques, on y joue justement dans la pièce d’à côté. A Hima shababi, l’apprentissage se fait de manière ludique. “Par exemple, j’ai inventé un jeu de Cluedo. Il faut retrouver un suspect et une salle. Mais pour accéder aux réponses, il faut résoudre des énigmes mathématiques“ explique Auréline Galley, formatrice polyvalente à Hima shababi. Alors Yasmine et ses amies lancent les dés, avancent leur pion sur le plateau de jeu et comptent combien Sophia a payé les 2 figurines de sa collection. “Elle avait 20 euros et le vendeur lui a rendu 2 euros. Les 2 figurines ont coûté le même prix. Combien lui a coûté une figurine ? demande Auréline, formatrice polyvalente. C’est au tour d’Anma de répondre à la devinette. “8 euros “répond-elle. La jeune fille a le bon raisonnement, mais se trompe dans la multiplication. “J’ai fait le lycée à Kawéni mais je n’ai pas pu le terminer. J’ai arrêté en seconde parce que je n’ai pas obtenu mon orientation. Plus tard, je voudrais être assistante de vie aux familles. J’aimerais travailler auprès des enfants“ confie Amna.”On voit une belle évolution des jeunes, on se sent utile. On voit qu’on leur apporte beaucoup de choses et qu’ils sont très contents de venir tous les jours ici“
L’accompagnement consiste en des cours de savoir de bases mathématiques et français, du code de la route, des ateliers collectifs tous les mercredis après-midi (théâtre, sport, vélo, créations de films, techniques de recherches d’emplois, de formations pré-qualifiantes …) “Ils ont également des entretiens avec des conseillers en insertion professionnelle une heure par semaine et ils sont également suivis par des travailleurs sociaux pour lever tous leurs freins périphériques“ complète Louisa Viera, coordinatrice du dispositif."Il faut que tout le monde ait une chance et il faut que ce soit eux qui se donnent les moyens pour y arriver. Nous on les aide mais c’est eux qui seront les acteurs de leur réussite."
La liste de ces freins est longue. Y figurent les problèmes de logements.“On a clairement des gens qui n’ont pas de logements. Les situations administratives. Ils n’ont pas forcément tous la sécurité sociale, et pour s’inscrire à une formation, on a un certain nombre de documents à apporter. Nous les aidons à obtenir ces documents pour leur faciliter leur inscription et leur réinsertion. On a des jeunes qui sont en difficulté en termes d’alimentation, de santé“ liste Véra Florent, la directrice adjointe du centre de formation continue Apprentis d’Auteuil Mayotte. A l'issue des 6 mois d’accompagnement, une fois tous les freins périphériques levés, les jeunes arrivent à s’inscrire dans une formation pré-qualifiante, qualifiante ou voir un emploi. L’association des Apprentis d’Auteuil les suit dans leur parcours. Ces derniers reviennent d’ailleurs régulièrement pour demander conseil. “On a eu tout à l’heure un jeune de la première session qui est venu nous dire qu’il a trouvé un emploi. Il était content, il avait envie qu’on le sache. La semaine dernière, on a eu une jeune qui a fini sa formation en pré-qualification et qui recherche une qualification. Elle est donc venue demander de l’aide au conseiller en insertion professionnelle alors qu’elle a fini il y a un an. On vient nous revoir, on ne les lâche pas dans la nature “ souligne Véra Florent.
Aller vers les jeunes, les écouter, entendre les problématiques qu’ils rencontrent au quotidien a son importance. Cela permet de proposer aux jeunes une construction de projet, un parcours à travers les différents dispositifs que compte la fondation. “M’saïdyé, un service d’accueil de jour pour des jeunes non scolarisés. On a un organisme de formation avec le centre de formation continue, Hima shababi pour la mobilisation des jeunes. On a un petit service pour l’accompagnement en accueil de jour pour des jeunes en main de justice avec la protection judiciaire de la jeunesse. Le lycée d’enseignement adapté, LEA l’espérance. Avec ce lycée, on a un petit internat de 27 jeunes filles. On a également deux services spécialisés avec des éducateurs qui vont faire des maraudes dans les quartiers, ils vont à la rencontre des jeunes. Et Niya moja, un dispositif en expérimentation. C’est du repérage de public invisible, c’est aller à la rencontre des personnes qui sont hors système“ détaille Régine Le Men, Directrice de la fondation. L’association est une filiale d’Apprenti d’Auteuil en métropole. Chaque année depuis 5 ans, Nicolas Truelle, le directeur général de la fondation se rend à Mayotte. “Il vient voir quelles sont les activités que l’on développe. Mais c’est aussi une présence très importante pour nous afin d’adapter les dispositifs de métropole ici, à Mayotte, tout en prenant en compte les spécificités mahoraises“ explique Régine Le Men."Notre volonté c’est de construire des parcours les plus cohérents possibles pour les jeunes avec nos dispositifs et surtout aussi, avec les partenaires."
Et puis, il faut s’appuyer sur l’existant : associations villageoises ou structures d’accompagnement des jeunes. Bien que toutes ces organisations soient amenées à travailler ensemble, il faut rester vigilants. “Si on n’y prête pas attention, un jeune, en particulier quand il a beaucoup de difficulté, il risque de tomber, de s’arrêter entre deux dispositifs. Et beaucoup de nos structures sont des ponts, des sas pour permettre à des jeunes de passer d’une rive à une autre. “Nicolas Truelle, directeur général de la fondation des apprentis d'Auteuil. 4 maisons de formation doivent ouvrir à Dembéni, Chirongui, Ouangani et Dzoumogné. A l’image d’Hima shababi, elles permettront à des jeunes sans emplois ni formation de se réinsérer."Il faut toujours adapter. Et il faut aussi s’adapter à la réalité des territoires. Ici, même d’une ville à l’autre, on ne va pas travailler exactement de la même manière."
1000 à 1500 jeunes par an sont pris en charge par l’association Apprentis D’Auteuil. La fondation est passée de 80 à 120 salariés en 3 ans. “Nous arrivons à recruter parce que cette mission a beaucoup de sens. Elle demande beaucoup de compétence, beaucoup d’énergie. Mais elle donne aussi beaucoup d’énergie. Parce que voir un jeune qui retrouve confiance en soi, qui trouve sa voie et son emploi, c’est une immense gratification pour ceux qui travaillent dans ces services “ se félicite Nicolas Truelle. Depuis le début d’année, 35 % des jeunes ont réussi leur insertion professionnelle grâce au dispositif Hima shababi. Ce programme financé par le FSE, fonds social européen et le PIC, le plan d’investissement dans les compétences, a permis d’accompagner 200 jeunes. La troisième et dernière session du dispositif Hima shababi prendra fin, en février 2021.