Es ou sa palé kréyol ? En tout cas, dans le monde, 15 millions de personnes maîtrisent cette langue. Martinique, Guadeloupe, Guyane, Sainte-Lucie, Haïti, La Réunion, Ile-Maurice, Seychelles… chaque territoire a son créole, hérité de l’esclavage et de la communication entre les déportés africains et les colons.
Depuis 1983, le 28 octobre marque la journée internationale de la langue et de la culture créoles, afin de faire perdurer ce patrimoine qui a tendance à disparaître.
"On n’avait pas le droit de parler créole à ses parents"
Car cette langue a longtemps souffert d’une mauvaise réputation. "Le créole a été un peu décrié dans les classes, dans les familles, explique une Martiniquaise au micro de Xavier Chevalier. Je suis de cette génération : on n’avait pas le droit de parler créole à ses parents. Et je trouve que c’est bien qu’on ait institutionnalisé la chose à notre échelle".
Même constat du côté de ce Martiniquais, qui a participé à l’une des dictées créoles organisées pour l’occasion : "Parfois on a tendance à perdre ce langage, on a tendance à le parler uniquement quand on est fâché mais là, ça nous permet de l’exercer avec des mots simples, du langage courant et parfois, on est surpris de voir qu’on ne les connaissait pas".
"Quand les anciens esclaves ont commencé à aller à l’école, la langue d’enseignement était uniquement le français, remarque Dimitri Villeronce, plus connu sur Instagram sous le pseudonyme Kofi Jicho, fervent défenseur de la langue créole. Il y avait des punitions pour les élèves qui parlaient créole. Cette langue a donc été assimilée à des traumas et à l’échec scolaire".
Détenteur d’un diplôme de langues et cultures régionales obtenu au campus de Schoelcher en Martinique, Dimitri Villeronce souhaite "diffuser [ses] connaissances" du créole à travers les réseaux sociaux, "une nouvelle méthode qui va avec l’air du temps". Une transmission de savoir d’autant plus importante que selon lui, "il y a une perte en termes de qualité du créole", notamment au niveau du vocabulaire.
C’est une langue orale qui est de plus en plus francisée car le créole est de moins en moins utilisé dans les foyers, les parents ont encore certains blocages.
Dimitri Villeronce, auteur du compte Instagram @kofijicho
Lyannaj social
Invité de la matinale radio de Martinique la 1ère, Jean-Louis Joachim, directeur de la maison des langues de l’université des Antilles, travaille lui aussi à ce que le créole soit accessible à tous. Ce lundi 28 octobre, de 18h à 20h, il organise un bokantaj à distance sur l’avenir du créole et son impact dans notre société. Le lien sera disponible sur le site de l’université des Antilles. Pour lui, le créole a "une place essentielle, capitale" dans notre quotidien.
Le créole, ce n’est pas seulement notre patrimoine, c’est ce que nous vivons, c’est notre façon de rentrer en contact les uns avec les autres. Ce n’est pas seulement pour les jurons, c’est pour plein d’actes de la vie quotidienne. Et c’est pour ce lyannaj social que nous vivons. On se rend compte que toutes les couches de la société martiniquaise sont touchées par le créole. Aujourd’hui, gran kon piti, tout moun ka palé kréyol an péyi-a et sa bèl pou nou, sa bèl pou péyi-a.
Jean-Louis Joachim, directeur de la maison des langues de l’université des Antilles
En 2002, un CAPES de créole a été mis en place, permettant l’enseignement de la langue dans les établissements scolaires. Preuve que le créole n’a pas dit son dernier mot. "Pour moi, l’avenir du créole est brillant, affirme Jean-Louis Joachim. Nous sommes en contact avec des militants du créole dans l’ensemble de la Caraïbe et ça va être aussi le rôle de la maison des langues de l’université des Antilles de permettre à toutes ces personnes qui s’expriment en créole dans la Caraïbe, qui viennent d’horizons différents de se retrouver et d’échanger".
Dépasser les traumatismes
L’objectif pour la maison des langues : proposer des ateliers à partir de janvier 2025 pour permettre aux personnes non créolophones d’apprendre le créole, mais aussi de "réfléchir sur notre société", conclut le directeur.
Pour Dimitri Villeronce aussi, l’évolution du créole est positive. Ce sont plus de 150 000 personnes, âgées entre 17 et 45 ans, qui le suivent sur son compte Instagram pour acquérir du vocabulaire. "Elles viennent principalement des Antilles mais aussi de pays qu’on ne peut pas soupçonner, comme la Côte d’Ivoire, le Brésil…", se réjouit-il.
Il y a aussi beaucoup d’Antillais qui habitent en France hexagonale qui lui demandent des conseils notamment pour apprendre le créole à leurs enfants. "Il y a une sorte de traumatisme pour ces gens-là d’avoir été coupés de leur langue. On se retrouve à faire de la thérapie, en leur disant de ne pas avoir honte de parler créole, même si l’on n’a pas l’accent !"
Le conseil qu’il prodigue pour se lancer : s’affranchir du regard des autres. "On s’en fiche de ne pas avoir l’accent, de faire des fautes… Il y a plein de ressources pour apprendre : des dictionnaires, des livres de grammaire, des romans, la musique… Alors, osez !"