1942. Les soldats américains arrivent en Nouvelle-Calédonie. Avec eux, sans le savoir, ils amènent des tiques. “Les animaux avaient été traités mais pas la paille et le foin mis dans les cales des bateaux pour le transport”, explique Daniel Guépy, gérant de Pocquereux randonnées. Une fois introduits, les acariens ont proliféré. Les Américains ont alors dû aider les éleveurs et les communes à construire des piscines à bétail, privées ou municipales. “Dommages de guerre.”
Des piscines à bétail ? On peut en voir une, réhabilitée, à Moindou, sur un terrain communal. Et désormais à Pocquereux, tout au bout de la route, sur la propriété des Guépy, ouverte aux visiteurs. Elle a été remise en état par Daniel et ses ouvriers avec l’aide de la Fondation des pionniers.
C’est quoi, une piscine à bétail ?
Il s’agit d’un bassin creusé dans le sol entre deux rampes inclinées. Dans l'eau, au départ, du DDT, un pesticide aujourd’hui interdit dans l’agriculture à cause de sa toxicité. Dire que Daniel Guépy et bien d’autres stockmen ont déjà sauté dedans pour éviter la noyade à des veaux ou génisses qui avaient échappé à leur vigilance...
“On devait les baigner tous les 21 jours”, se souvient celui qui est aussi éleveur de bovins et de moutons, cultivateur, adhérent de la Fondation des pionniers ou encore président de l’association Marguerite, pour la sauvegarde du patrimoine de la région de La Foa et de Moindou. Un sacré boulot pour les stockmen, qui devaient d’abord rassembler les bêtes.
Une illustration du travail des stockmen
“Dans les années 70, à Pocquereux, on a eu jusqu’à 1 000 têtes de bétail sur 1 350 hectares”, décrit-il. Elles étaient amenées par groupes, alignées et une fois sorties du bain, elles restaient entre 5 et 10 mn dans un carré d’égouttage, d’où le produit s’écoulait vers le bassin.
Pendant des années, les Américains ont financé les traitements, devenus un peu moins contraignants avec le temps. Certains éleveurs utilisent encore des piscines à bétail. À Pocquereux, elle a servi pendant cinquante ans, jusque dans les années 90. Le cheptel étant maintenant composé de races résistantes à la tique, elle a été laissée à l’abandon.
On parle beaucoup de la culture kanak et du bagne mais l’histoire du travail du bétail, qui fait partie de la culture calédonienne, a tendance à se perdre.
Daniel Guépy
Jusqu’à ce que Raymond Guépy, décédé en 2020, décide de la réhabiliter. C’était en 2018. Mais avec les pluies de la Nina, impossible de concrétiser le projet. Son frère a pris le relais. Persuadé lui aussi de l’importance de transmettre la mémoire. Cette piscine représente tout un pan de la vie en Brousse, une vie trop peu mise en valeur à ses yeux. Pour qu’elle ne se perde pas, il aimerait en donner un aperçu en organisant des démonstrations, ne serait-ce que pour ses neveux.
En attendant, il propose aux curieux de venir visiter la propriété et ses installations historiques. Des panneaux explicatifs y ont été installés, crées à partir de photos, documents et témoignages. Aux groupes, Daniel Guépy propose des visites guidées agrémentées de nombreuses anecdotes.
Une enfance entre la terre rouge de Nakety et les collines de Pocquereux
Il raconte Pocquereux, où son père a acheté en 1962. Une propriété acquise par des colons libres, les Ulm, en 1879, juste après la révolte menée par Ataï. Des terres sur lesquelles différentes communautés ont vécu et travaillé. Son père, “c’était l’esprit pionnier. Il a tout fait. Pêcheur de trocas à Thio, la mine, la forêt. Il rêvait d’avoir une propriété”. Pour la financer, il a continué à travailler comme tâcheron sur la côte Est jusque dans les années 80. “Quand il n’était pas à la mine, il était ici, à défricher” ou à s’occuper des bêtes avec la famille et les amis.
De cette enfance entre la terre rouge de Nakety et les collines de Pocquereux, Daniel Guépy a tiré une certitude : “il ne faut jamais avoir les deux pieds dans le même sabot”, d’où le développement d’activités touristiques avec des randonnées à cheval, des hébergements, des pistes de VTT et cette mise en valeur du patrimoine. Elles lui permettent aujourd'hui de partager ses précieux souvenirs.
Pour visiter, il suffit d'appeler Daniel Guépy sur le numéro de Pocquereux randonnées (77 32 54).
En vidéo, le reportage de Natasha Lassauce-Cognard et Claude Lindor :