"San bikini, san monokini, an ka twouvé-mwen byen toutouni". C’est la chanson qui fait le buzz en ce moment en Guadeloupe. Elle est interprétée par une jeune femme, Fecat Jy qui n’est pas une professionnelle de la musique.
Son succès inattendu survient quelques mois après celui de Mixx Steph en Martinique. Sa chanson "Bienvenue à Saint-Pierre" l’a propulsé dans la lumière. Lui non plus n’est pas un professionnel de la musique.
Le succès de "Toutouni" et "Bienvenue à Saint-Pierre" ont suscité des débats parfois passionnés soulevés par des artistes et musiciens mais aussi des mélomanes et puristes. Ils s’inquiètent de voir ce genre de chansons s’imposer de plus en plus au détriment des grandes compositions qui ont hissé la Martinique et la Guadeloupe au sommet.
Le risque est réel mais la controverse n’est pas nouvelle. Ce débat pose à chaque fois la question du juste milieu. Trouver l’équilibre dans toutes les sociétés entre les œuvres qui nourrissent l’esprit et celles qui sont destinées exclusivement à divertir.
À la SACEM, quand il s’agit de rémunérer les auteurs et compositeurs, on ne fait pas de différence entre ceux qui écrivent pour des novices comme Fecat Jy ou Mixx Steph et ceux qui travaillent pour des artistes de renom. Seule compte la diffusion de l’œuvre.
Près de 1500 sociétaires de la SACEM vivent en Martinique
En 2021, la SACEM a versé 886 M€ de droits d’auteur à ses membres dans le monde entier, lors de ses quatre répartitions annuelles : janvier, avril, juillet, octobre. Quels sont les titres antillais qui ont rapporté le plus ?
"Ce sont des données que nous ne communiquons pas, pour des raisons de confidentialité", explique Emmanuelle Bruch, la déléguée régionale SACEM de Martinique et de Guyane.
Sur les 370 000 auteurs, compositeurs et éditeurs qui émargent à la SACEM, près de 1500 résident en Martinique et 62% d’entre eux ont produit des droits d’auteur l’année dernière.
Ces droits sont collectés notamment sur les diffusions radios et télévisions. En Martinique, les radios sont souvent montrées du doigt. "Comment faire une répartition dans un pays dont les diffuseurs principaux ne font pas toujours équitablement la déclaration ?", s’interroge le journaliste Victor Montlouis Bonnaire.
"Les radios et télévisions locales sont en règle avec la SACEM", lui répond Emmanuelle Bruch, sans s’étendre sur les bons et les mauvais payeurs. "C’est une information que je ne peux pas communiquer pour des raisons de confidentialité".
À Martinique La 1ère radio, le processus est bien huilé depuis des décennies. Les chansons diffusées à l’antenne sont suivies par deux programmateurs Pascal Adams et Kelly Pinto.
"Nous faisons une déclaration mensuelle informatisée puisque toutes les œuvres sont entrées en machine et fichées. Notre système fait la différence entre ce qui est programmé et ce qui est diffusé. La suite appartient à la SACEM pour la répartition", indique Pascal Adams.
Les droits d’auteur perçus par les artistes sont également collectés par la SACEM sur les streaming, c’est à dire l’écoute de la musique en ligne. "Aux Antilles le public streame très peu, il consomme surtout YouTube", précise le producteur Klod Cabit.
Les artistes locaux ont donc tout intérêt à ce que leurs producteurs ou eux-mêmes créent une chaîne YouTube afin de diffuser leurs œuvres. Ils devront ensuite, pour gagner de l’argent, peu ou prou, "monétiser" cette plateforme.
Pour cela, il faut compter plus de 1000 abonnés et avoir cumulé plus de 4000 heures de visionnage sur les douze derniers mois, soit à raison de 3 minutes par clip, cela représente plus de 80 000 vues. Ce n’est pas gagné d’avance.
Les réseaux sociaux concentrent l'attention
Là où ça se corse, c’est qu’aujourd’hui, pour qu’un artiste local décroche la diffusion d’une nouvelle chanson, certains programmateurs observent ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux. Si la chanson en question fait le buzz sur YouTube ou génère des milliers de streams, les radios musicales suivent.
Dans le cas contraire, l’artiste est condamné à attendre et surtout à espérer en sa bonne étoile, comme le jeune fraîchement diplômé qui ne trouve pas de travail parce qu’on exige qu’il ait d’abord une expérience professionnelle.
Les droits d’auteur, perçus par les sociétaires de la SACEM, sont aussi collectés sur les concerts live et sur toute interprétation d’une œuvre en public. Ces revenus spécifiques ont été impactés par le Covid-19. La pandémie a mis en sourdine la scène musicale et plus généralement la filière artistique, jugée non essentielle.
Les lieux de spectacle ont été fermés. Les pertes sont énormes. En tant que structure publique, nous avons, chaque fois que possible, programmé des artistes martiniquais et produit des contenus mis en ligne, comme Rézistans ou les concerts du 31 décembre. La réalisation d’un spectacle implique de nombreux intervenants techniques. Cela a donc permis à des artistes mais aussi à différents prestataire ou intermittents de travailler un peu.
Frédéric Thaly, responsable de la communication de Tropiques Atrium
Pendant la crise sanitaire, la SACEM a également mis en place un fond d'aide dont le montant ni le nombre de bénéficiaires ne sont précisés pour la Martinique. Aujourd’hui la vie culturelle locale a repris son cours après deux ans de pénurie qui ont laissé des séquelles dans la profession.
"La musique ne nous permet pas de vivre mais de survivre", lâche une célèbre chanteuse sous le couvert de l’anonymat. "On joue dans les piano-bars la semaine et dans les soirées le week-end. Mais ce n’est pas systématique et ce n’est pas le cas de tout le monde".
Selon elle, sur l’ensemble des artistes enregistrés à la SACEM en Martinique, "une dizaine seulement" vit confortablement de ses droits d’auteur, tandis que les autres "tirent le diable par la queue".