Les cannes de Marie-Galante seront récoltées et envoyées à Gardel

La coopérative des planteurs de Marie-Galante (SICAMA) a décidé de récolter les 69 000 tonnes de cannes toujours sur pied, ce qui suppose leur transfert vers la sucrerie Gardel. La cellule de crise, pilotée par la DAAF, doit préciser les conditions logistiques et financières de cette opération.

Brusquement interrompue le 14 avril, quelques jours seulement après son démarrage, la récolte de la canne à Marie-Galante, pour la campagne sucrière 2021, devrait reprendre au cours de la première quinzaine de mai. Mais les 69 000 tonnes restant à couper devront être acheminées vers la sucrerie de Gardel, au Moule, compte tenu des longs mois d’arrêt de l’usine de Grande Anse, lié au grave incident sur sa chaudière, devenue hors d’usage. 

La SICAMA, coopérative qui regroupe les 1 300 producteurs de canne de l’île, s’est donc officiellement prononcée pour ce scénario, rejetant celui d’une année blanche. La décision a été annoncée ce 24 avril, après une semaine de réunions de travail et de rencontres avec la Sucrerie Rhumerie de Marie-Galante, les services de l’Etat et les collectivités (Région, Département et Communauté des Communes de Marie-Galante).

Pas d’indemnité possible   

La SICAMA a fait les comptes et listé toutes les conséquences qu’entraînerait l’absence de récolte en 2021. A commencer par les pertes pour les planteurs : près de 5 millions d’euros de recettes non perçues, si les 69 000 tonnes restaient sur pied. Et pas d’indemnité envisageable sur des fonds de l’Etat, souligne Ferdy Créantor, le président de la SICAMA : « les planteurs doivent savoir qu’il n’existe aucun fonds pour subventionner ces cannes, état donné qu’il s’agit d’un accident industriel, et non d’une calamité. Il ne faut pas compter non plus sur l’enveloppe de l’ »aide à la garantie de prix », puisque cette aide est payée sur les tonnes de cannes livrées en sucrerie. Et même si nous sollicitons l’Etat pour trouver un fonds, cela prendra au moins un an. Entre temps, de quoi va vivre le planteur ? »

Les planteurs risqueraient d’abandonner

Laisser les cannes debout aurait aussi des conséquences agronomiques. Ces cannes renvoyées deviendraient la proie des rongeurs (notamment les rats), pouvant provoquer 20 à 30% de baisse sur les rendements. Agées de 22 à 24 mois lors de leur récolte en 2022, elles perdraient également en richesse saccharine. La montée des lianes (« cordes ») sur les cannes, difficiles à entretenir en l’absence de revenus, risquerait d’entraîner l’abandon de certaines parcelles, ou obligerait les producteurs à les replanter en 2022, sans être éligibles à l’aide à la replantation, si ces parcelles ont moins de cinq ans. Et si les planteurs se découragent et perdent confiance en l’industrie sucrière, cela aura un effet négatif sur les surfaces cultivées en canne à Marie-Galante. 

Pertes pour la SICAMA et les opérateurs de coupe

La coopérative agricole, moteur incontournable de la filière, se remettrait difficilement d’une campagne blanche. La SICAMA serait en effet incapable de recouvrer les avances consenties à ses adhérents pendant l’intercampagne 2020-2021 (travaux d’entretien et de replantation), et ne pourrait par conséquent rembourser l’emprunt bancaire effectué pour ces avances. Conséquence : le financement de la prochaine intercampagne serait hypothéqué et la vente d’intrants nécessaires à l’entretien des parcelles, principale ressource financière de la coopérative, serait réduite à près de 90%. La SICAMA a évalué à 1,7 M€ par an, les pertes sur les deux prochains exercices. 

Il faut y ajouter 1,3 M€ de pertes pour les opérateurs de récolte, qui seraient eux aussi privés de recettes, alors qu’ils ont effectué des investissements importants pour la réalisation de la campagne. L’absence de récolte aurait aussi un impact sur le CTCS (Centre technique de la canne à sucre), dont les recettes budgétaires dépendent du volume de cannes coupé, et qui serait contraint de mettre au chômage technique les agents affectés à la saccharimétrie à Marie-Galante. 

Enfin, tous les acteurs économiques de l’île, qui vivent indirectement de la richesse produite par la récolte et la culture de la canne seraient impactés par une année blanche, avec des effets sur le plan social. 

En résumé, cela coûterait globalement bien trop cher de faire une campagne blanche à Marie-Galante.

  SICAMA

 

La prime bagasse en plus

« La réalisation de la campagne 2021 et le transfert des cannes vers Gardel, permettrait d’éviter toutes ces pertes collatérales et limiterait considérablement l’impact de la non-activité de la SRMG », conclut la SICAMA, « si toutefois ce transfert s’avère techniquement possible et réalisable économiquement ». En livrant leur production à la sucrerie du Moule, les planteurs marie-galantais pourront même percevoir, comme leurs collègues du « continent », la rémunération bagasse, liée à la valorisation de ce combustible par la centrale thermique. Cette prime de 11 euro par tonne représentera une plus-value de quelque 759 000 € pour les 69 000 tonnes. 

Ne pas créer un précédent

Le transfert des cannes de Marie-Galante est un sujet complexe, qui divise et provoque beaucoup de tension sur l’île. Certains, et notamment le personnel de l’usine de Grande Anse, craignent que cette solution ne soit une brèche vers une fermeture définitive de la sucrerie. C’est pourquoi la SICAMA souhaite que la mesure, si elle est actée, soit formalisée par une convention, au outre document officiel, qui la limite à la campagne 2021 ; la SRMG s’étant engagée à effectuer la réparation de sa chaudière en dix mois, pour une remise en service en février 2022. Le président de la coopérative, Ferdy Créantor, a insisté sur ce caractère exceptionnel, lors d’une rencontre, ce samedi 24 avril, avec la présidente de la CCMG, Maryse Etzol, et les dirigeants des trois SICA cannières de la Guadeloupe dire continentale :

Ferdy Créantor, président de la SICAMA

 

La cellule de crise en action

Les conditions de ce transfert doivent maintenant être définies au sein de la cellule de crise, dont la création a été décidée le 20 avril. Pilotée par la DAAF, elle devrait regrouper dans un premier temps la SICAMA, la Région, le Département, la CCMG et la SRMG, avant d’être élargie à d’autres partenaires. La SICAMA sollicite l’Etat pour trouver et réquisitionner les moyens de transport maritime entre le port de Folle Anse et Pointe-à-Pitre ; et les collectivités pour le financement des frais de transfert. La sucrerie de Gardel, elle, n’a pas été sollicitée officiellement. Mais des échanges ont déjà eu lieu, indique le président de la coopérative. L’usine serait en mesure d’augmenter sa cadence de broyage journalière, afin de traiter les cannes de Marie-Galante, en même temps que celles du « continent », même s’il faudra probablement revoir à la baisse les quotas des trois bassins de Grande-Terre et Basse-Terre. Il n’y a donc pas de temps à perdre, afin de lancer au plus vite la coupe des cannes sur la grande galette. Ferdy Créantor :

Ferdy Créantor

 

En raison de l’attente des planteurs et de la tension qui règne sur le terrain, le temps ne joue pas en faveur d’une réflexion plus longue. Les décisions doivent se prendre dans le meilleur délai.

SICAMA

 

La SICAMA a donc demandé à la DAAF d’activer la cellule de crise, qui devrait se réunir en visioconférence à partir du mardi 27 avril. Un courrier va également être adressé au préfet. Les services de l’Etat, qui ont volontairement laissé à la SICAMA l’initiative de demander ce transfert des cannes vers Gardel, semblent prêts à jouer le rôle de facilitateurs…