Mana célèbre les 38 ans du camp Charvin : mémoire et traditions au cœur de deux jours de festivités

Le maire de Mana, Alberich Benth, et le chef coutumier de Charvin, Édouard Pinas, déposent une gerbe en hommage aux premiers arrivants.
Depuis vendredi, le camp Charvin, lieu symbolique de Mana, vibre au rythme des festivités célébrant les 38 ans de l’arrivée des exilés du Suriname. Ces deux jours de commémoration, entre hommage et fête, soulignent l’importance de cette histoire commune et l’engagement des habitants pour la faire perdurer.
Le tambour BOSKOPOE résonne, incarnant l'âme des festivités et la transmission des traditions aux nouvelles générations.

Un lieu de mémoire et d’histoire

Hier matin, le calme habituel de Charvin s’est transformé en un lieu de rassemblement animé, où des échos de tambours, de chants et de rires résonnaient dès l’aube. Pour le deuxième jour, les célébrations des 38 ans du camp continuent, rassemblant anciens et nouveaux habitants dans une ambiance où mémoire et festivités s’entremêlent.

Les ateliers culturels attirent petits et grands, permettant aux habitants de Charvin et aux visiteurs de découvrir ou redécouvrir les savoir-faire traditionnels, des techniques artisanales aux spécialités culinaires locales.

Le camp Charvin, fondé en 1986 pour accueillir des réfugiés du Suriname en pleine guerre civile, est depuis devenu un symbole d’intégration et de résilience. Ces personnes provisoirement déplacées du Suriname (PPDS), victimes d’un conflit sanglant entre le gouvernement surinamais et les rebelles du Jungle Commando de Ronnie Brunswijk, ont trouvé ici une nouvelle terre d’accueil. Pour Georges Patient, sénateur et ancien maire de Mana, ce camp a marqué un tournant dans la vie de la commune : 

Le sénateur Georges Patient

C’était une façon de concrétiser ce que je préconisais depuis longtemps, le vivre-ensemble à Mana. Quand je vois la mine réjouie des gens fêtant l’arrivée des ex-PPDS, je suis obligé de me sentir quand même honoré par cette manifestation.

Les origines du camp Charvin : un nom chargé d’histoire

Rémi Aubert, habitant de Mana et passionné d’histoire, apporte un éclairage unique sur les origines du nom « Charvin ».

Rémy Aubert, ancien du village et gardien de la mémoire, partage avec passion l'histoire du camp Charvin

Le nom du camp remonte à 1896 », explique-t-il. « À l’époque, il a été fondé par le gouverneur Camille Charvin, qui supervisait les camps de bagnards de Guyane. Surnommé le ‘camp de la mort’, Charvin accueillait les détenus les plus récalcitrants. Ce lieu chargé d’histoire est ensuite devenu le village Charvin, un nom qui symbolise aujourd’hui l’accueil et la résilience.

Pour Rémy Aubert, cette histoire est essentielle pour les jeunes de Charvin : « L’histoire ne se construit pas toute seule ; c’est en connaissant nos origines que nous comprenons mieux notre présent. »

Des jeunes générations en quête d’identité

La célébration de cet anniversaire est également l’occasion pour les jeunes générations de Charvin de renouer avec leurs racines. Nombre d’entre eux n’étaient pas nés lorsque le camp a accueilli les ex-PPDS, mais ressentent l’importance de cette histoire. Pieka Rubiscon, né dans l’un des camps, y voit un héritage précieux : 

Rubiscon Pieka, jeune habitant de Charvin, incarne la nouvelle génération qui porte l'héritage culturel des ex-PPDS, fièrement engagé dans la commémoration des 38 ans du camp.

Pour moi, c’est très, très important. Notre histoire est unique, nous sommes des gens arrivés en Guyane par contrainte, fuyant la guerre. Beaucoup ne connaissent pas leur origine.

Pepe Gyansa, un autre jeune du quartier, avoue que sa connaissance de cette histoire est limitée mais ressent de l’émotion à l’idée de mieux comprendre ses origines : 

Pepe Gyansa immortalise les scènes de célébration, symbole de la jeunesse de Charvin qui s’approprie et valorise l’héritage des ex-PPDS.

Apprendre ce que mes ancêtres ont vécu ici me permet de mieux comprendre mes racines, et de transmettre ce savoir à mes enfants un jour.

Sur scène, les danseuses en tenue traditionnelle marquent le rythme, illustrant la richesse culturelle et les traditions des ex-PPDS lors des festivités des 38 ans du camp Charvin.

Festivités et hommage aux anciens arrivants

Les festivités, qui ont débuté hier avec une cérémonie officielle, se poursuivent aujourd’hui. Le maire de Mana, Alberich Benth, ainsi que le chef coutumier de Charvin, Édouard Pinas, des représentants du Suriname, et la sous-préfète de Saint-Laurent-du-Maroni, Véronique Beuve, étaient présents pour rendre hommage aux anciens arrivants lors d’une cérémonie de dépôt de gerbe autour de la stèle commémorative.

Dans son discours, Alberic Benth a souligné la valeur de ce rassemblement pour l’avenir de la commune : 

Albéric Benth, Maire de Mana

Il était important pour le conseil municipal de fêter les 38 ans de l’arrivée des ex-PDF, personnes provisoirement déplacées, qui nous permet, nous, au conseil, de pouvoir continuer notre logique de cohésion sociale, de vivre ensemble, car quelqu’un qui ne connaît pas son histoire ne peut pas apporter sa contribution dans l’avenir de ce territoire.

La jeunesse de Charvin se rassemble en nombre devant le podium, captivée par les spectacles et les danses, montrant l’attachement des nouvelles générations aux traditions et à l’histoire du camp.

Des projets pour pérenniser l’héritage de Charvin

Cette commémoration ne marque pas seulement un anniversaire, mais s’inscrit aussi dans une vision d’avenir pour le quartier. Le maire Albéric Benth a rappelé les projets pour Charvin, notamment la construction d’un groupe scolaire de 18 classes : « La semaine prochaine, nous allons déposer les premières pierres d’un groupe scolaire pour que les enfants de Charvin puissent rester dans leur quartier, sans devoir se déplacer ailleurs. » Ce projet, prévu pour 2025-2026, vise à renforcer l’autonomie du quartier et à offrir à sa jeunesse un avenir plus prometteur.

Des aînés de Charvin rythment la cérémonie au son des tambours traditionnels, un rappel vibrant de l'héritage culturel des exilés du Suriname.

Transmettre la mémoire de Charvin pour demain

Alors que Charvin vit son deuxième jour de célébration, l’anniversaire du camp est pour les habitants un rappel du parcours accompli et des liens tissés au fil des décennies. Pour Sarah, 22 ans, qui a grandi dans le quartier, « Charvin, c’est une terre de renouveau. On est les héritiers de cette histoire, et aujourd’hui, c’est à notre tour de transmettre cette mémoire. »

À travers cette commémoration, la commune de Mana honore une page de son histoire tout en tournant son regard vers l’avenir, symbole d’une intégration réussie et d’un engagement durable envers la mémoire collective de ses habitants.