"L’Europe est indéfendable" ose déclarer Aimé Césaire dans son premier essai politique, "Discours sur le colonialisme", en 1950. Tout à ses multiples tâches de député de la Martinique et de maire de Fort-de-France depuis cinq ans, entre deux poèmes rédigés à l’encre de la solitude, il ne cesse de réfléchir à ce qu’est devenue l’Europe. En particulier à l’avenir du Vieux continent et aux relations de domination que certains de ses pays entretiennent vis-à-vis de peuples lointains et pacifiques.
La revue "Réclame" du Parti communiste français, dont il est un membre éminent, édite le bref essai d’une cinquantaine de pages. Son auteur s’y interroge sur l’avenir de l’humanité quelques années après la Seconde guerre mondiale.
Dans une analyse sans complaisance des errements de l’Europe, le cri de colère de Césaire s’appuie sur les difficultés qu’éprouvent les peuples et les dirigeants européens à tourner la sombre page de la barbarie nazie. Ce système totalitaire a été la forme la plus achevée, si l’on peut dire, du racisme, inventé par l’Europe.
"L’Europe est indéfendable" dit Césaire, au sens où rien ne justifie la perpétuation de son hégémonie sur le reste du monde. Césaire estime que cette civilisation est dépassée et n’a aucun droit moral de se voir comme supérieure aux autres. Or, le colonialisme se perpétue, constate l’auteur de cet essai au vitriol.
Un essai au vitriol à relire
Comme si l’horreur de la guerre qui vient de s’achever n’a rien appris aux classes dominantes et à leurs alliés détenant le pouvoir politique. Un paradoxe difficilement admissible pour Césaire qui livre là un texte d’une brûlante actualité. Certes, le colonialisme des siècles précédents n’a plus cours de nos jours, mais ses séquelles sont bien vivaces.
Bien sûr, "Discours sur le colonialisme" reflète son époque. Toutefois, la réflexion d’Aimé Césaire et le débat qu’il a permis de lancer demeurent opérants, plus de sept décennies plus tard. L’actualité nous rappelle que la tentation de la sauvagerie n’est pas encore surmontée.
Le brutalisme – pour reprendre le concept de l’intellectuel camerounais Achille Mbembé, caractérise plus que jamais la vie politique. Le racisme n’est pas éradiqué. Pas davantage le fascisme. Il prend des formes plus subtiles que celui de ses pères fondateurs. Or, l’autoritarisme, l’étatisme et le suprématisme continuent d’irriguer la pensée et l’action de certaines forces politiques en Europe et en France.
Au point de se demander, légitimement, si l’Europe peut se targuer d’être un modèle de société pour l’humanité au 21e siècle.