14e jour de confinement, en Martinique, les salariés des banques travaillent avec la peur au ventre 

GAB (Guichet Automatique de Banque), en Martinique
Sans les banques, la banqueroute guetterait des milliers d’entreprises martiniquaises touchées par l'épidémie de coronavirus. À la demande du gouvernement, elles se sont engagées à soutenir massivement l’économie. Mais, dans les agences locales, ce lundi 30 mars 2020, l’ambiance est plutôt morose
Avec la crise sanitaire, le plexiglas a fait son entrée dans les magasins pour mettre les caissières à l’abri des postillons et de la contamination.

Au Crédit Agricole, la direction a installé le même dispositif pour protéger les collaborateurs qui reçoivent les clients à l’accueil. Ils ont aussi reçu des gants et du gel hydroalcoolique.
Eugène Philippe, directeur des marchés spécialisés Crédit-Agricole
Le directeur des marchés spécialisés, Philippe Eugène, explique :

"Les particuliers qui n’ont pas de cartes bancaires viennent encore à la banque pour retirer des espèces, d’autres pour remettre des chèques, ceux qui n’utilisent pas les outils digitaux viennent pour réaliser des virements. Les chargés de clientèle eux ne reçoivent plus personne, tout se règle par mail ou par téléphone. Nous devons trouver des solutions pour les gens qui ont des problèmes de trésorerie. Nous pouvons par exemple stopper les échéances d’un crédit immobilier pendant six mois " 


Sur les vingt agences du Crédit Agricole, "trois ou quatre sont fermées, selon les jours". Pour celles qui ouvrent, la direction a instauré la journée continue et réorganisé le travail, en encourageant les clients confinés à réaliser leurs opérations à distance.

Philippe Eugène souligne :

"Deux-tiers de nos collaborateurs sont à leur poste, au siège et dans les agences. Nous avons développé le télétravail pour une quarantaine d’entre eux. Les absents sont en arrêt, soit pour garde d’enfants, soit parce qu’ils présentent une fragilité au niveau de la santé."

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Parmi les clients du Crédit Agricole, les chefs d’entreprise font aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. Au niveau local et national, le groupe veut servir de "pont entre l’avant-crise et l’après-crise", selon la formule de son directeur général, Philippe Brassac.

Lors de son allocution le 16 mars dernier, le président Emmanuel Macron avait annoncé que l'État garantirait les prêts bancaires accordés aux entreprises à hauteur de 300 milliards d'euros, pour limiter la chute d’activité et enrayer les faillites.

Depuis, les chefs d’entreprise sollicitent leurs agences. Pour eux, la banque propose aussi, dans un premier temps, un report des échéances de crédit pendant six mois et "un découvert exceptionnel, au cas par cas", pour les aider à payer leurs salariés.
Le dispositif promis par le chef de l'État sera bientôt finalisé mais les banques commencent déjà à monter les dossiers. Le prêt garanti ne devra pas excéder 25% du chiffre d’affaire et ne sera accordé qu’aux entreprises qui n’étaient pas en difficulté avant la crise. 

Philippe Eugène détaille :

"C’est un prêt à taux zéro pendant les douze premiers mois. Le taux sera ensuite révisé par la banque en accord avec l'État, mais ça reste, pour nous, un prêt à prix coutant, c’est-à-dire qu’on ne fait pas de marge dessus. Au bout de douze mois, si l’entreprise ne peut pas rembourser, on étale les échéances jusqu’à cinq ans. Enfin si l’entreprise fait faillite, l'État nous rembourse 90% du prêt".


Chez les banques concurrentes, comme le Crédit Mutuel, les chefs d’entreprise font également l’objet de toutes les attentions. Mais, au-delà de cette préoccupation commune, les salariés pointent aussi leurs conditions de travail.
Pas de plexiglas à l’accueil, pas de journée continue, et "la peur d’être infectés par le coronavirus".
Grégori Nabec, délégué syndical Crédit Mutuel
Le délégué syndical Grégori Nabec est catégorique :

"On nous dit qu’on est en guerre mais on n’a pas les armes. Au début de la crise on nous a distribué des masques et des gants, mais en faible quantité, si bien que des salariés ont fini par les acheter eux-mêmes, quand ce ne sont pas les clients qui nous les offrent. De nombreux collègues sont au bout du rouleau avec des risques d’arrêts maladie en cascade. Ceux qui sont présents n’ont pas vraiment eu le choix. Ils sont néanmoins conscients de l’enjeu pour la clientèle. Ils font leur maximum pour pouvoir remplir la mission de service public qui leur est demandée".


Du côté de sa hiérarchie, on rappelle que la pénurie de masques est générale en France, y compris pour les personnels soignants, pourtant prioritaires, mais qu’une commande a été passée et qu’elle devrait arriver "sous peu". En attendant, le directeur général délégué Armand Clout assure que la sécurité est sa priorité et il demande aux équipes de respecter les gestes barrières.

Pour les horaires, sa réponse est tout aussi catégorique :

"On a réduit au maximum la pause légale de midi et mis en place un système qui permet à un salarié qui arrive plus tôt de partir plus tôt et à un employé qui arrive plus tard de partir plus tard. Mais nous restons ouverts comme d’habitude pour accueillir nos clients."


Sur les 350 salariés que la banque emploie aux Antilles/Guyane, 206 ont travaillé vendredi dernier pour faire tourner les 27 caisses ouvertes au public.
Chez les 144 employés absents, 33 étaient en télétravail, les autres ont bénéficié d’un arrêt pour garde d’enfants ou pour santé fragile, ou simplement d’un congé.  
Armand Clout, directeur Général, délégué Crédit-Mutuel Antilles-Guyane
Armand Clout se veut rassurant :

"Nous montons en puissance sur le télétravail. On attend des ordinateurs qui sont en ce moment à la douane. Ça nous aidera à optimiser le dispositif, en faisant tourner le personnel : ceux qui travaillent chez eux reviennent et ceux qui sont en agence vont travailler à la maison. J’ajoute que le Crédit Mutuel a choisi d’éviter le chômage partiel en permettant à une dizaine de salariés de bénéficier d’une dispense d’activité, avec maintien du salaire".


Grâce à la dispense d’activité, tel coursier ou gestionnaire de GAB, par exemple, peut être autorisé à rentrer chez lui, s’il finit plus tôt, ce qui peut arriver en cette période de confinement où le volume de travail a considérablement baissé.
Grégori Nabec ajoute :

"En temps normal, les gestionnaires des GAB traitent, chacun, environ 300 dépôts au quotidien. Aujourd’hui, ils n’en gèrent qu’une trentaine. Par précaution, ils laissent désormais les enveloppes pendant une journée dans les distributeurs pour minimiser les risques de contamination et ne les récupèrent qu’à J+1".

Le délégué syndical aurait voulu que la mesure soit étendue à plus de salariés encore, d’autant que, selon lui, "beaucoup de collègues sont en activité très réduite en ce moment". Mais la direction s’attend à un rush dès ce vendredi avec le versement des prestations sociales.

Armand Clout annonce d’ailleurs les couleurs :

"On teste aujourd’hui et demain le E-retrait pour limiter les flux de personnes dans les caisses. Ce service permet de retirer de l’argent sans carte bancaire sur un automate grâce à un code qu’on envoie sur le téléphone mobile du client".


Grégori Nabec applaudit l’initiative mais maintient que "la direction se soucie davantage des clients que du personnel". Il assure même que "ses collègues préfèreraient renoncer à la prime de mobilisation au profit d’un aménagement de leurs conditions de travail dans cette période délicate".

Le délégué syndical fait référence à l’appel lancé il y a quelques jours par le gouvernement. Il a demandé aux entreprises de faire un geste pour les salariés "qui ont eu le courage de se rendre sur leur lieu de travail". Le Crédit Mutuel a d’ores et déjà confirmé que son personnel recevra la fameuse prime, sans plus de détails. La banque attend en fait des précisions de Bercy. 

Au quatorzième jour de confinement, le ministère de l’Economie et des Finances est pourtant clair à ce sujet : "Pour récompenser ces travailleurs, les entreprises peuvent se saisir de la prime Macron défiscalisée, qui reste valable jusqu'au 30 juin". En attendant, pour celles et ceux qui ne travaillent pas, la formule reste d’actualité : "Rété a kay zot".