21e jour de confinement, en Martinique, la gérante du magasin "Au si en cas" veille sur ses clients

La crise sanitaire rappelle l’importance des commerces de proximité dans le tissu économique. Ils permettent à des familles d’acheter de la nourriture en évitant les files d’attente devant les supermarchés. C’est le cas d’un libre-service bien connu à Fort-de-France. 
"Ça me rappelle la grève de 2009 !" Debout derrière sa caisse enregistreuse, Lydie Lindor distribue un mot ou un sourire aux clients qui se pressent dans le magasin, après avoir patienté un petit moment dehors. Un employé filtre les entrées. Chacun son tour ! 

Au si en cas est une véritable institution à Fort-de-France. Situé à la route Desrochers, le libre-service ne paie pas de mine mais il a une histoire que Lydie Lindor connait par cœur, une histoire qui se confond avec la sienne, une histoire qui illustre les efforts que déploient les petits commerces pour exister, à côté des grandes surfaces de l’île.
Lydie Lindor a 17 ans quand elle débute dans ce magasin. Elle arrive de Ducos, où elle devait faire des kilomètres à pied chaque matin pour aller à l’école.
D’une nature sage, elle ne rechignait pas cependant, comme les autres, à chaparder des mangues ou des tiges de canne que les ouvriers entassaient sur le bord des routes, en attendant que les camions les enlèvent.

À 17 ans, lassée de son cartable, Lydie Lindor découvre, dans un journal, la petite annonce de Claude Rochambeau, la propriétaire d’une épicerie foyalaise qui recherche une employée. Les candidates se bousculent aux portillons mais l’adolescente a l’avantage d’être expérimentée : elle a appris le métier auprès de sa mère qui fait du commerce en commune.
Lydie Lindor se souvient :

"J’ai eu un entretien avec madame Rochambeau. Elle m’a posé des petites questions et elle a vu que je m’y connaissais mieux que les autres. C’est comme ça qu’elle m’a embauché. Je travaillais toute la semaine à l’épicerie. Ça m’obligeait à dormir à Fort-de-France. Elle prélevait une petite part sur ma paie pour le logement et pour les repas. Le week-end, je rentrais chez mes parents à Ducos".


Au début, le magasin n’a pas de nom. Claude Rochambeau a beau cherché, elle ne trouve rien qui lui plaise vraiment. Mais un jour, une dame du quartier, avec laquelle elle entretient de mauvaises relations, entre dans le libre-service pour faire ses courses. 

Après avoir payé, la dame s’éloigne en disant, à haute voix, qu’elle ne vient, de toute façon, à l’épicerie, qu’en cas d’extrême nécessité. "Si an ka mwen bizwen an bagay", répète-t-elle en s’éloignant. Claude Rochambeau sourit. Elle vient de trouver le nom de son magasin.
Les années s’écoulent. Claude Rochambeau passe la main. Deux nouveaux propriétaires se succèdent mais les affaires marchent mal. En 1982, une sarl (société à responsabilité limitée) est créée. Lydie Lindor est nommée gérante. C’est une juste récompense pour son investissement. D’ailleurs, pour les familles du quartier, elle incarne "Au si en cas".
 Lydie Lindor raconte :

"Les gens ici me respectent. J’ai vu grandir les jeunes du quartier. J’ai vu également leurs enfants grandir et je vois maintenant leurs petits-enfants." 

En 2009, lorsque la grande grève éclate, Lydie Lindor se dépense sans compter. Le libre-service est officiellement fermé, mais elle se lève à 4h du matin, bouscule ses fournisseurs, sacrifie ses dimanches, pour approvisionner les familles du quartier et au-delà.
Mais voilà, à la fin du mouvement, la gérante est déçue :

"Après la grève, les gens nous ont laissé tomber. Dès que les supermarchés ont ouvert, ils nous ont oublié pour aller faire des courses ailleurs. Ils n’ont pas été reconnaissants, à part quelques fidèles".

Depuis le confinement, les clients sont revenus "en masse", à nouveau, "Au si en cas". Lydie Lindor les accueille avec bienveillance mais bichonne les habitués, qui ont droit à une double ration de sourire. Malgré l’affluence, elle trouve aussi le temps de prendre des nouvelles de leurs enfants. 
Lydie Lindor explique :

"Les gens qui viennent au magasin ne sont pas anxieux. D’ailleurs, ils ne réalisent pas ce qu’il se passe en ce moment, même quand on leur dit que le coronavirus est dangereux. En fait, ils sont trop indisciplinés pour comprendre. Ils sortent pour acheter une simple baguette ou juste pour payer une cannette de bière. C’est pour ça qu’on ouvre que le matin. C’est pour les inciter à rester chez eux". 

Au vingt-et-unième jour de confinement, aidée de ses cinq employés, Lydie Lindor fait sa part, dans ce libre-service emblématique qui l’a vue grandir professionnellement. Elle fait sa part et souhaite que ses clients en fassent de même, en s’appliquant, un peu plus, chaque jour, la formule : "Rété a kay zot".