42e jour de confinement, en Martinique, les familles enterrent leur mort en petit comité 

Le Covid-19 a bouleversé les traditions funéraires sur l’île. Les veillées sont interdites et les enterrements ont lieu désormais dans un cercle restreint de participants. Pour les familles, ces restrictions ajoutent à l’épreuve que représente la disparition d’un être cher. 
C’était il y a deux semaines. Le 13 avril 2020, Mynëva fête son anniversaire à Case-Pilote. Elle a 21 ans et refuse de "se laisser abattre par le confinement". Pour marquer le coup, la jeune étudiante organise une visioconférence avec ses sœurs à Cayenne et Paris, ainsi que ses amies en Martinique : elle souffle ses bougies comme en temps normal.

En revanche, Mynëva ne pourra pas parler, ce jour-là, à sa grand-mère, Gisèle Laforce, privée de l’usage de la parole et alitée depuis plusieurs mois.
Gisèle Laforce
Âgée de 79 ans, la vieille dame, qui souffrait de la maladie d’Alzheimer, s’est éteinte mardi dernier à Fort-de-France.
Les filles de Gisèle Laforce se sont occupées des obsèques. L’ainée, Sonia, relate ses démarches :

Ma sœur et moi sommes allées à l’église du Lamentin mais elle était fermée. Nous avons trouvé un numéro de téléphone sur la porte du presbytère. J’ai appelé le prêtre et il a fixé l’heure et le jour de l’enterrement, en rappelant le nombre de participants autorisés. Pas plus de vingt personnes en incluant les quatre membres des pompes funèbres, sinon tout le monde risquait une amende si la police passait. 

C’est dans l’un des petits salons de présentation de l’espace funéraire de la Joyau que s’est déroulée la levée du corps samedi matin.
Privée de veillée, la famille s’est retrouvée à 8h30 devant le cercueil ouvert pour prier et chanter, avant de communier autour de la chanson La Divinité de la Perfecta que Gisèle Laforce aimait beaucoup.

Ooh lè solèy lévé le maten
Adan gran syèl la
Tchè tout ti zwazo an gété
Passke yo kontan
Mwen ka mété ko'm a pryé
La Divinité
Pou i akodé mwen bon ti grass
Pou tout’ la jounè

De la Joyau au Lamentin, la famille s’est retrouvée à 10h devant le cimetière, où a eu lieu la cérémonie religieuse.
Le père Henderson bénit le corps de Gisèle Laforce
Le prêtre a béni à bonne distance le corps de Gisèle Laforce couchée dans le cercueil, resté dans le coffre entrouvert du véhicule des pompes funèbres.  
Sonia Laforce souligne :

J’aurais préféré que la cérémonie se déroule dans l’église, même en gardant une distance entre nous. Les plus âgés auraient pu s’assoir. Il y a une sœur aînée de ma mère qui est fatiguée et qui n’est pas venue parce qu’elle n’aurait pas pu tenir debout. Mes filles à Cayenne et à Paris seraient venues également s’il n’y avait pas le confinement. Ça été dur pour elles. Grâce à l’équipe des pompes funèbres qui a tout filmé, mon frère à Paris et ma sœur à Toulouse ont suivi en visioconférence la levée du corps et l’enterrement. Leur professionnalisme nous a apaisé, comme les paroles du père Henderson.

Au quarante-deuxième jour de confinement, Sonia Laforce se remet petit à petit de l’inhumation de sa mère. L’épreuve a été difficile à vivre. Les restrictions actuelles ont alourdi sa peine. Samedi, après l’enterrement, les participants se sont séparés. Aujourd’hui, ils sont calfeutrés, chacun chez eux, et s’appliquent la formule : "Rété a kay zot".