9e jour de confinement, les stewards et hôtesses de l’air expriment leur malaise 

Les personnels navigants ont été les témoins impuissants de la propagation du coronavirus dans le monde entier. Un Guadeloupéen et une Guyanaise témoignent aujourd’hui, aux côtés d’une Martiniquaise qui travaille dans un aéroport parisien. Leurs noms ont été modifiés.
Au bout du fil, confinée dans son appartement parisien, elle parle avec une petite voix et tousse par intermittences : "Je me suis sentie mal à 5h du matin. J’avais une grosse fatigue. J’ai pris de la vitamine C et je me suis recouchée jusqu’à 10h. Jusqu’ici je n’ai pas de problèmes respiratoires. C’est plutôt bien. Pourvu que ça dure !"

D’ordinaire dynamique et volubile, Maeva, hôtesse de l’air guyanaise, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle présente depuis une semaine tous les symptômes du coronavirus et a cessé le travail pour se soigner et vaincre la maladie. 

"Je fais plein de vols internationaux et j’étais arrivé jusqu’ici à passer entre les mailles du filet. Mais en rentrant de Rio, j’ai commencé à faire de la fièvre, à avoir des courbatures, sans parler de la diarrhée. Mais la chose la plus radicale, c’est le goût, j’avais perdu le goût des aliments. Donc, je dois faire de gros efforts pour manger".


Plus encore qu’avant, Maeva fait attention à tout ce qui l’entoure. Elle lave systématiquement, au réveil, tous les vêtements qu’elle a portés la veille. Elle désinfecte minutieusement les pièces de son appartement. Son quotidien ressemble à la chanson de Zouk Machine : "Nettoyer, balayer, astiquer, kaz la toujou penpan".

Entre l’Asie, l’Europe et les Antilles, la vie professionnelle de Maeva, sans nuages jusqu’ici, a basculé en décembre dernier. Dès l’apparition du coronavirus en Chine, elle prend la mesure du drame planétaire qui se prépare et l’indique dans un mail envoyé à ses amis et conservé, depuis, précieusement. 
passagers en attente d'embarquement à Orly
Mais les aéroports ne désemplissent pas et les avions continuent de voler, comme si de rien n’était. Face à la propagation de la maladie, les compagnies finissent par réagir. "Le personnel navigant bénéficie de masque et de gant mais c’est nous qui décidons si nous les mettons ou pas", indique la jeune hôtesse.

Maeva s’étonne d’ailleurs que des avions puissent encore continuer à prendre les airs cette semaine, même s’il s’agit, pour les vols internationaux, d’effectuer des rapatriements sanitaires, permettant à des voyageurs français de rentrer chez eux et à des passagers étrangers de retourner dans leur pays.

"Les compagnies font voler des gens à vue, parce qu’il y a aussi des enjeux financiers. Les navigants ne subissent pas de test. Tout en étant malade, je pourrais très bien assurer un vol, sans que personne ne s’en rende compte. Dans un avion, les passagers sont collés les uns aux autres. C’est le meilleur moyen de se contaminer".

Maeva est clouée au sol depuis huit jours, tout comme le steward guadeloupéen Rodrigue. De retour de Tokyo, il a été placé en chômage partiel par sa compagnie, mais s’est porté volontaire pour un rapatriement sanitaire le week-end prochain vers l’Afrique du Sud.

Rodrigue s’explique :

"J’ai la foi. Ça n’a rien à voir avec la religion. C’est quelque chose de personnel. Je n’ai pas peur d’être touché par le coronavirus. Les passagers qu’on va chercher ou qu’on ramène chez eux n’arrêtent pas de nous remercier, tellement ils sont reconnaissants. En fait, je me sens beaucoup mieux dans les airs que sur terre. C’est peut-être bizarre mais c’est la vérité. J’ai plus peur du comportement des gens qui ne respectent pas la distance barrière et qui ne se protègent pas que du virus lui-même".  


Combien de stewards et d’hôtesses de l’air ont été contrôlés positifs ? Les chiffres ne sont pas connus. Mais dans le milieu aérien, l’exposition à la maladie est maximale. On trouve en première ligne, les bagagistes, qui manipulent, à longueur de journées, à chaque atterrissage, des dizaines de valises et de bagages en tout genre. 
"Les tapis bagages sont, en plus, rarement nettoyés", souligne Denise, une employée martiniquaise d’un aéroport parisien. D’une façon générale, elle pointe le problème d’hygiène qui a contribué à la propagation du coronavirus, ces dernières semaines.

"Au contrôle de sécurité de l’aéroport, les bacs dans lesquels vous déposez vos vêtements, avant de franchir le portique de détection, sont sales. Les agents qui palpent les passagers ont pu par ailleurs contracter ou refiler la maladie. Les avions eux-mêmes sont des vecteurs de transmission de microbes. Les tablettes et les pochettes, qui contiennent les magazines, sont mal nettoyées".

Embarquement des passagers sur un vol international (illustration).
Pour Denise, l’arrivée du coronavirus aux Antilles ne doit pas être imputée uniquement aux bateaux de croisières. Les flux de passagers entre Paris et Fort-de-France ou Paris et Pointe-à-Pitre ont favorisé également la diffusion de la maladie dans nos îles.

"J’ai un collègue qui est rentré au pays en février, ce que moi je n’aurais pas fait. Nous, qui travaillons à l’aéroport, avec les vols qui arrivent du monde entier, nous sommes plus exposés que les autres. On peut être asymptomatique et contaminer nos familles aux Antilles, au même titre que les Martiniquais et Guadeloupéens qui sont rentrés dans cette période ou que les touristes qui sont partis chez nous".

Denise parle posément mais ne cache pas sa crainte de contracter la maladie, si ce n’est déjà fait.

"J’ai mal à la gorge depuis une semaine. J’improvise avec des huiles essentielles, du jus de citron et du miel. J’ai également acheté du rhum, au cas où. Je ne suis pas en arrêt pour l’instant mais beaucoup d’employés de l’aéroport, où je travaille, le sont. J’en connais au moins une trentaine !"


Dans quelques jours, si elle n’est pas formellement malade, Denise va devoir retourner au travail. Même si l’aéroport sera moins engorgé que d’ordinaire, elle n’a pas oublié cette image qu’une de ses collègues lui a rapportée. Aux "objets trouvés", elle a vu un bagage sur lequel il était écrit : "Passager malade Covid-19".

Mais pour Denise, la reprise sera de courte durée. Roissy ferme déjà progressivement ses terminaux, en s’adaptant aux dernières rotations des vols de rapatriement. Pour Orly, une date a d’ores et déjà été arrêtée. L’activité cessera le 31 mars prochain. 

Au neuvième jour de confinement, le temps suspend son vol (ou presque) dans les aéroports. Les personnels au sol, les stewards et les hôtesses n’affichent plus leur sourire habituel. Mais bientôt, celles et ceux qui travaillent encore, pourront s’appliquer également la formule : "Rété a kay zot".